dimanche 30 octobre 2022

Genre et médicalisation

Genre et médicalisation


Colloque


28 et 29 novembre 2022, Amphithéâtre Pasquier, Campus des Cordeliers, 15-21 Rue de l'École de Médecine, 75006 Paris

Programme : https://genrehubiomed.sciencesconf.org/program

Le terme de « médicalisation » fait référence à une démarche qui consiste à « définir un problème en termes médicaux, généralement en tant que maladie ou anomalie, ou à recourir à une intervention médicale pour le traiter » (Conrad, 2005 : 3, notre traduction). Les premiers travaux consacrés à la médicalisation sont apparus dans les années 1960 et 1970 (Pitts, 1968 ; Freidson, 1970 ; Zola, 1972), dans le sillage du travail de Parsons (1951), théoricien de la médecine comme institution de contrôle social. Ces œuvres pionnières avaient une approche critique de la médicalisation, et ont souvent employé ce terme au sens de « sur-médicalisation ». Ce faisant, ils ont corrélé la médicalisation à l’autorité grandissante des médecins dans les sociétés modernes, contribuant à mettre en exergue le pouvoir de ces praticiens dans les processus de définition et de contrôle de ce qui est reconnu comme « pathologique ».

Dans les années 1970, les travaux sur la médicalisation se sont donc appuyés sur de grands courants intellectuels, comme le constructivisme social, mais ils ont aussi bénéficié de pratiques politiques et sociales, et en particulier des mouvements pour la santé des femmes qui émergent aux États-Unis et dans de nombreux pays occidentaux. Dans la production scientifique sur la médicalisation, l’influence de ces mouvements féministes se ressent à tel point que, pour Susan E. Bell et Anne E. Fegert : « même si le concept de médicalisation n’est pas genré, il a été historiquement rattaché aux femmes » (2012 : 127, notre traduction).

En effet, les travaux pionniers qui sont publiés dans les années 1970 se concentrent essentiellement sur les « liens entre les corps des femmes et l’accroissement du contrôle / de la médicalisation de ces corps par une profession médicale majoritairement masculine et un socle de connaissances genré » (Bell et Fegert, 2012 : 129, notre traduction). Ce faisant, ces travaux se sont intéressés à des expériences genrées, comme l’accouchement, ou la menstruation (Leavitt, 1984: McCrea, 1983), et aux relations de pouvoir inhérentes aux rapports entre patient·e·s et médecins.

Dans les années 1980, Riessman (1983) et Bell (1987) ont joué un rôle central dans la critique de la pensée de la médicalisation comme processus imposé par le haut et au sein duquel les patient·e·s auraient un statut passif de victimes. Cette tendance a ensuite été confirmée par des travaux qui, plus récemment, ont élargi les conceptualisations de la médicalisation. Ils permettent de réfléchir aux différentes manières dont la médicalisation affecte les hommes et les femmes, et aux prises des patient·e·s sur la médicalisation ou la démédicalisation de leur condition. Ces travaux ont notamment montré en quoi il était problématique d’appréhender la médicalisation genrée par le truchement d’une pensée elle-même dichotomique (Clarke et al., 2003). Dans cette perspective, la complexité que présente l’intersection entre d’une part médicalisation et d’autre part questions de genre et de sexualité peut apparaître de différentes façons :

En médecine, les biais de genre ne se traduisent pas seulement par la sur-médicalisation de phénomènes socio-culturels, ils peuvent également entraîner la sous-médicalisation de certaines pathologies. Rester sans diagnostic empêche par exemple d’accéder au statut légitime de patient·e, avec tous les droits et privilèges qui accompagnent ce statut (Glenton, 2003; Nettleton, 2005). La question se pose avec une acuité particulière dans le cas de conditions où non seulement les recherches, mais aussi les traitements sont insuffisants – comme la fatigue chronique, la fibromyalgie, l’endométriose, etc.



L’influence du genre dans la médicalisation a souvent été envisagée en termes binaires, alors qu’en réalité, elle a historiquement affecté les communautés intersexes et transgenres notamment (Giami, 2012; Johnson, 2019).



Les patient·e·s ont longtemps été considéré·e·s principalement comme des victimes du processus de médicalisation. Pourtant, des études récentes ont mis l’accent sur l’importance de la participation active des patient·e·s, tant au niveau individuel que collectif (Figert, 2010). Il est ainsi légitime d’envisager de quelle manière l’essor actuel des patient·e·s expert·e·s est susceptible de faire évoluer la médicalisation. Notamment, dans quelle mesure les pathographies et leur mise en récit (littéraire, picturale, cinématographique, etc.) constituent-elles une forme de participation active à la médicalisation (Jutel et Russel, 2021) ?

Dès 1992, Conrad notait que « le genre est un facteur important dans la compréhension de la médicalisation » (Conrad, 1992 : 222, notre traduction). C’est pourquoi ce colloque entend explorer ce que la catégorie du « genre » peut apporter aux études sur la médicalisation.

Alors qu’il est commun en médecine de faire usage à la fois des catégories du « sexe » (biologique) et du « genre » (social), la seconde étant utilisée de plus en plus fréquemment, il importe de rappeler qu’un point de vue binaire sur le sexe et le genre peut induire en erreur.

Comme le note Epstein, bien que l’on tende à traiter le sexe comme une « variable dichotomique » (Epstein, 2007 : 253, notre traduction) en médecine, nos critères de différenciation restent relativement ambigus, et les frontières biologiques sont elles-mêmes instables, car découlant de constructions sociales et politiques. Ainsi, ce colloque encourage particulièrement les approches scientifiques du genre et de la médicalisation qui ne se limitent pas à une perspective dichotomique.

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