Appel à communications
Journée d’étude
28 octobre 2021 / INHA, Paris
Début 2020, la Galerie nationale du Jeu de Paume a présenté une exposition intitulée « Le supermarché des images » sur une proposition de Peter Szendy. Le philosophe y développait les pistes explorées dans son ouvrage Le supermarché du visible. Essai d’iconomie (2017) sur le rapport intime entre image et économie. En s’appuyant sur Deleuze inspiré de Marx, Szendy y rappelle que « l’argent est l’envers de toutes les images ». Si cet axiome traduit un regain d’intérêt pour les enjeux financiers en histoire de l’art, en histoire de la photographie et dans les études visuelles, il semble avoir été euphémisé dans l’analyse des corpus d’images accompagnant les pratiques scientifiques, elle-même en pleine effervescence. La réalisation de tels visuels peut pourtant s’avérer très coûteuse en temps et en moyens humains, techniques et financiers. En témoigne la production de la première image d’un trou noir en 2019, qui a mobilisé d’innombrables équipes de recherche, plusieurs mètres cubes de stockage, des équipements rares et des heures de travail, impliquant des investissements financiers importants. Le coût et la valeur des images pesant d’un poids certain sur les connaissances produites et diffusées, ils méritent donc d’être examinés de manière approfondie.
Cette journée d’étude propose d’adopter une perspective matérialiste pour penser la part visuelle des sciences, en s’intéressant précisément aux facteurs économiques qui innervent la production et la circulation des images dans ce contexte. Il s’agira d’examiner les questions financières qui traversent le visuel dans les pratiques scientifiques, pour déterminer les moyens mobilisés dans sa fabrication, sa diffusion et sa gestion, afin d’éclairer leurs incidences sur les savoirs auxquels il contribue. On s’interrogera notamment sur l’émergence et les évolutions d’un marché ou de marchés différenciés de l’image scientifique, par exemple à partir de la mise en place de stratégies commerciales et de phénomènes de concurrences. Par ce biais, l’enjeu sera de mieux cerner les relations entre différentes échelles de valeurs (marchande, épistémologique, esthétique), dans la fabrique et la diffusion des visuels en sciences. En prenant les images comme point d’articulation, cette journée d’étude visera ainsi à déterminer quels sont les effets de leurs facteurs économiques sur la production des savoirs scientifiques et plus largement comment les intérêts économiques convergent ou s’opposent aux intérêts scientifiques.
Le large cadrage chronologique adopté, du XVIIIe siècle à l’époque actuelle, permettra d’interroger à nouveaux frais la multiplication exponentielle des images en sciences à partir du siècle des Lumières et des révolutions industrielles. Leur foisonnement suppose en effet une modification de l’économie de leur fabrique et de leur diffusion, dont les implications épistémologiques doivent être questionnées. De même, l’ouverture des cadrages disciplinaires et géographiques permettra d’identifier des spécificités, des parallélismes ou des transferts, en synchronie et en diachronie. En se plaçant à la croisée des disciplines et des méthodes, cette journée d’étude a donc pour ambition de permettre une approche résolument exploratoire des enjeux économiques du visuel en sciences.
Dans le cadre de cette réflexion, la journée d’étude articulera deux grands fils directeurs. Une attention particulière sera portée aux collaborations que tissent, par les images, les différent∙e∙s actrices et acteurs des sciences, comme aux rapports de force qu’elles et ils peuvent entretenir à travers elles (institutions, sociétés savantes, communautés scientifiques, savantes et savants, chercheuses et chercheurs, amatrices et amateurs, actrices et acteurs de la sphère publique ou privée, impliqué∙e∙s dans les domaines de l’édition, de la scénographie, du dessin, de la cartographie et de l’infographie, de la photographie, de la gravure, de la sculpture, de l’impression, du cinéma, de la communication, de la presse et des médias, etc.). On cherchera également à déterminer si la question économique des images se pose de façon distincte selon les champs disciplinaires et les branches du savoir auxquels la journée s’attache dans leur ensemble (sciences naturelles, formelles, humaines et sociales) ou, inversement, si l’approche transdisciplinaire permet d’identifier l’essor d’un marché global des images en sciences.
Les propositions de communication pourront adopter l’angle de l’étude de cas, proposer une analyse comparative ou bien une approche plus panoramique, sur le mode de la synthèse thématique par exemple. Les différentes entrées problématiques envisagées sont les suivantes (liste indicative) :
- Financement, production, industries :
Quel est le rôle des industriels ou des financements privés dans le développement de techniques et d’instruments de production d’images en sciences, ainsi que dans leur mise en circulation ? Existe-il des porosités entre les moyens de production de visuels dans les industries culturelles et ceux que mobilisent les institutions scientifiques pour produire leur imagerie propre ? Sur quels mécanismes de transaction (commande, achat, subvention, contrat, vente aux enchères, etc.) ces échanges reposent-ils ? Enfin, comment les images peuvent-elles être mobilisées pour justifier et débloquer des financements publics ou privés en sciences ?
- Acteur.rice.s de la fabrication, spécialisation et coopérations :
Qui fabrique les images ? Quelles implications les scientifiques ont-ils dans la production de leurs propres images ? Comment se sont professionnalisés les métiers de la production, de l’édition et de la diffusion d’images scientifiques et de quelle formation leurs acteurs ont-ils bénéficié ? Comment s’opèrent leur recrutement, la division du travail et leur collaboration avec les savant∙e∙s et les scientifiques ?
- Estimation, attribution et fluctuation de la valeur :
Quel(s) lien(s) entre le coût de fabrication d’une image scientifique et sa valeur d’usage ? Comment, pourquoi et selon quels critères une image, en sciences, se dote-elle de valeur économique ? Celle-ci a-t-elle un effet sur la valeur épistémologique de l’image et qui est légitime pour la déterminer ? Les mécanismes de la rareté, ou inversement de la profusion, ont-ils un effet sur l’estimation de ces valeurs ? Quel est le rôle des contextes sur leur attribution et comment sont-elles reconfigurées ? Les valeurs économique, scientifique, symbolique, artistique et patrimoniale des images en sciences tendent-elles à se renforcer dans le temps, ou au contraire à s’exclure ?
- Gestion et traitement :
Comment était gérée matériellement la documentation visuelle dans les sciences, par qui et pour quel coût ? Quel rôle ont joué les collections, les photothèques, les départements iconographiques, les banques d’images scientifiques, dans la conservation, le traitement et la mise à disposition des images ? À quelle échelle et supportés par quels types de financements ? Qui vend les images ou leurs reproductions et quels effets sur leurs modes et leurs espaces de circulation ?
- Droits, usages et législations :
Quel(s) impact(s) des cadres législatifs et de la reconnaissance d’une propriété intellectuelle sur la production, la circulation, l’exploitation commerciale et le choix des images en sciences ? Des intérêts divergents suscitent-ils des contournements et des conflits autour des droits de propriété et d’usage des images ? L’avènement du numérique contribue-t-il à reconfigurer les règles, les propriétés et les usages ?
- Économies parallèles :
Quelles images échappent à l’économie marchande et selon quels mécanismes ? Quelles images sont en libre accès et qu’est-ce que cela révèle de la place des contenus scientifiques dans la culture partagée ? Quelle place occupent des micro-économies, des économies alternatives, collectives – à l’instar du libre aujourd’hui –, au sein d’une économie plus large des images en sciences ? Cela est-il corrélé à l’invention de modalités différentes et marginales de légitimation des savoirs par l’image ?
La journée d’étude est prévue le 28 octobre 2021 à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA, Paris) et aura pour suite une publication collective. Les communications de 30 minutes pourront être données en français ou en anglais. Les frais de déplacements pourront être pris en charge selon les besoins.
Les propositions d’intervention, en français ou en anglais, sous forme d’une problématique résumée (3000 signes/500 mots), sont à faire parvenir d’ici au 30 avril 2021 aux organisatrices :
Elsa De Smet (IRIS/OCAV/PSL ; elsa.desmet@ehess.fr),
Anaïs Mauuarin (Labex Hastec/CAK ; anais.mauuarin@ehess.fr),
Laureline Meizel (Institut pour la photographie/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne-EA 4100-HiCSA ; laureline.meizel@gmail.com).
Calendrier
Date limite pour l’envoi des propositions : 30 avril 2021
Réponse des organisatrices : 20 mai 2021
Journée d’étude à l’INHA (Paris) : 28 octobre 2021
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