samedi 2 novembre 2019

Matières vivantes

Matières vivantes


Appel à contribution pour la revue Tracés (n° 40)

Numéro coordonné par Amina Damerdji, Anthony Pecqueux & Matthieu Renault

Ce numéro de la revue Tracés entend rassembler des démarches qui ont à cœur de re-matérialiser leurs objets et de considérer comme vivante la matière ainsi interrogée. En parlant de « matières vivantes », nous engageons les auteurs et les autrices à considérer cette matérialité comme constitutive des objets qu’elles ou ils étudient. Les propositions pourront aborder (notamment) les processus concrets de re-matérialisation; leurs enjeux éthiques et politiques; et les décentrements et recompositions que de telles démarches ne manquent pas d’occasionner.

Peuvent être proposés des articles, notes, traductions et entretiens.

Date limite des propositions d’articles complets : 15 avril 2020.

Des propositions de résumés peuvent être envoyés jusqu’au 15 janvier 2020 à la coordinatrice et aux coordinateurs du numéro pour avis.

Voir les modalités complètes de soumission ci-dessous.

“Vivante, tu étais ce corps vêtu et non vêtu.” Dire-vivant: tel est le projet que le poète oulipien Jacques Roubaud formule à la fin de Quelque chose noir consacré à sa femme morte, Alix-Cléo Roubaud. Réussir à faire d’un cadavre, ce corps réduit à son organicité biologique caduque, une matière littéraire vivante: ce projet poétique représente un défi qui n’est pas étranger à celui que nous formulons ici, à savoir promouvoir des démarches qui ont à cœur de re-matérialiser leurs objets et de considérer comme vivante la matière ainsi interrogée. En parlant de “matières vivantes”, nous engageons les auteurs et les autrices à considérer cette matérialité comme constitutive des objets qu’elles ou ils étudient. Cet appel s’inspire notamment des recherches regroupées sous le terme de “nouveaux matérialismes” (Coole, Frost, 2010): cette expression désigne une floraison de travaux ayant en commun d’aller chercher la matière où on ne l’attend pas et de ré-agencer à partir de là nos manières de rendre compte du monde, en débusquant en retour les nouvelles formes d’idéalisme contemporain. Ces “nouveaux matérialismes” en tirent une leçon essentielle: “les choses, les humains et le monde sont toujours plus matériels que ce que vous croyez. Plus matériels, cela veut dire ici plus reliés” (Neyrat, 2016, p. 122). Plus généralement, cet appel à articles est ouvert à toutes les démarches et perspectives qui prêtent une attention particulière à la matérialité et qui en questionnent les enjeux.
Au-delà des implications d’une telle approche en termes de philosophie des sciences et d’histoire des savoirs, quel profit les enquêtes en sciences humaines et sociales peuvent-elles tirer de cette position? Quels sont les enjeux politiques et éthiques d’une telle démarche? Quels décentrements et recompositions de leurs objets, concepts et problèmes peut-elle encore occasionner? Voici, sans exhaustivité, quelques-unes des questions que souhaite poser ce numéro, largement exploratoire, de Tracés. Par “exploratoire”, il faut entendre qu’il circonscrit moins un domaine d’objets ou d’enquête, ou encore un espace notionnel, que des manières de prendre en compte et au sérieux la matière, ou plutôt les matières en tant que vivantes: celles qui nous composent voire nous re-composent (comme après une greffe ou une prothèse); celles qui nous entourent, au sein desquelles nous vivons et qui nous font vivre; celles que nous croyons faire, mais qui ne cessent aussi de se faire elle-même, etc.


1. Rematérialiser

Désignant un tournant théorique, un material turn, amorcé à la fin des années 1990 depuis plusieurs champs disciplinaires ou studies, les « nouveaux matérialismes » partagent une triple présupposition.

La première est, selon la formule de Diana Coole et Samantha Frost dans leur introduction à New Materialisms: Ontology, Agency, Politics (2010), le constat d’un “épuisement des théories marxistes traditionnelles”, inaptes à penser nos rapports avec la matière physique qui nous environne comme avec la matière organique qui nous compose. Ainsi, dans le cas du changement climatique et des derniers avatars du capitalisme global, Jason Moore, dans Capitalism in the Web of Life. Ecology and the Accumulation of Capital (2015), propose comme clef de compréhension globale et transversale du monde dans lequel nous vivons, la restructuration d’une dialectique entre nature (êtres humains inclus) et culture qui, depuis des siècles, se serait exercée au détriment du premier terme, la nature, sans cesse appauvrie. En quoi ce type d’approche permet-elle de comprendre les nouveaux modes de mobilisation des luttes écologiques comme ceux, par exemple, qui défendent la création d’un statut juridique pour la protection des cours d’eau, montagnes et autres ressources naturelles? On peut également penser aux manifestant-e-s qui, pour s’opposer à la destruction d’arbres, ne se contentent pas de s’y accrocher mais se mettent à les habiter pleinement et à entretenir des relations avec l’ensemble du vivant. Ou encore aux ZAD, bien mal nommées “occupations”, alors qu’il s’agit précisément de composer avec la zone (par exemple, dans le cas de Notre-Dame-des-Landes: Barbe, 2016). Quels concepts issus du matérialisme historique, et d’autres traditions matérialistes, peuvent aujourd’hui être remodelés pour inclure, au-delà des structures économiques et institutionnelles, la matière organique qui nous compose et le monde, y compris physique, qui nous entoure? Comme nous en avertit Jason Edwards, pour comprendre les problèmes de demain, “nous aurons besoin de rappeler le matérialisme du matérialisme historique” (Edwards, 2010), c’est-à-dire non pas sa lettre mais son esprit en opérant, en somme, un retour à la matière.

Le deuxième point de départ de ce mouvement est une tentative pour pointer les limites d’un strict constructivisme et tâcher de les dépasser. Dans Sexing the Body. Genders Politics and the Construction of Sexuality paru en 2000, la biologiste Anne Fausto-Sterling fait un pas de côté par rapport aux travaux qui, dans la lignée de Trouble dans le genre de Judith Butler (2005 (1990)), mettent exclusivement l’accent sur la dimension socialement et “performativement” construite du genre. Il est significatif à cet égard que Butler elle-même ait cru nécessaire de parer à cette critique dans un essai au titre parlant Bodies that Matter (2009 (1993)) – dont la traduction française par Ces corps qui comptent masque la référence à la matière1. Remède, alors capital, aux théories essentialistes, le constructivisme a néanmoins opéré, selon Fausto-Serling, une torsion qui oblitère l’expérience physique d’être un corps sexué et tout ce qu’elle peut impliquer dans nos sociétés. L’identité et la différence se construisent dans une complexe interaction entre corps biologique, monde social et environnement naturel. En quoi une telle perspective permet-elle de renouveler les objets traditionnels des études de genre? Comment l’adapter aux études sur la race marquées par un ultra-constructivisme (Fornel et Lemieux, 2007), rempart salutaire contre le racisme biologique et ses rejetons contemporains, mais qui bien souvent écartent de fait la physicalité de l’expérience d’un sujet renvoyé à sa couleur de peau, à son phénotype, etc., comme l’avait remarqué de manière précoce Frantz Fanon (Fanon, 2011 (1952))? De telles perspectives permettent en outre d’outiller les enquêtes aux prises avec toutes les hybridations qui marquent les corps contemporains: les prothèses qui actualisent de plus en plus le cyborg imaginé par Donna Haraway (2007 (1985)), mais aussi les greffes, y compris potentiellement d’organes issus d’animaux (Rémy, 2009). Les travaux portant sur de tels “objets” sont vivement attendus.

Critiquer la prééminence accordée au langage est un troisième point commun à ces nouveaux matérialismes. Se décentrer du langage implique en retour de se montrer attentif aux corps, aux gestes, aux techniques, aux “objets” et à toutes les “associations hétérogènes” qui les caractérisent (Murdoch, 2012). Sur ce plan, ces nouveaux matérialismes sont susceptibles d’entrer en dialogue avec les visual studies où les artefacts sont envisagés comme porteurs de situations qui modifient l’objet montré; ou avec la sociologie et l’anthropologie de l’art qui ont également été renouvelées par des approches “matérielles” en rupture avec les approches centrées sur les discours; mais encore avec les études littéraires dites matérialistes qui refusent de séparer l’analyse d’un texte de son ou ses contextes de production et de réception. Si la sociologie de la littérature, en particulier dans sa version bourdieusienne (Sapiro, 2014), est une des manières d’investir ce terrain, l’anthropologie de l’écriture (Fraenkel, 1992) et l’histoire du livre, de la lecture et de l’édition (Chartier, 1993) ont également mis au point des outils susceptibles de dés-idéaliser les textes et de les comprendre dans leur matérialité. En quoi la position dans le champ littéraire ou l’engagement politique de l’autrice ou de l’auteur, l’intervention du personnel d’édition ou l’intériorisation des contraintes liées à la réception sont-ils nécessaires à la compréhension des textes littéraires? Des enquêtes littéraires ou linguistiques ancrées dans les processus matériels de production et de réception des textes ou des séquences de conversation sont ici particulièrement encouragées. On peut encore se référer au récent essai du chercheur espagnol López Alós (2019) Crítica de la razón precaria. La vida intelectual ante la obligación de lo extraordinario (Critique de la raison précaire. La vie intellectuelle face à l’obligation de l’extraordinaire), qui étudie les conséquences de la précarité matérielle des chercheurs sur leur production intellectuelle. Cet essai, qui vient d’être couronné par le prestigieux prix Catarata, ouvre lui aussi des pistes intéressantes, allant bien au-delà de la théorie “mécanique” du reflet, au sein de ce récent et pluridisciplinaire Material Turn.


2. Matière et organismes : des enjeux éthiques et politiques

Si l’on s’accorde pour dire que toute “matière vivante” est, d’une manière ou d’une autre, un composé de matières (auto-)organisées, les problématiques esquissées ci-dessus nous imposent de repenser l’organisme en tant que réalité biologique, mais aussi sociale et politique. “‘Organisme’ ce n’est pas beau comme un nom d’oiseau […] mais le mot ne sonne-t-il pas curieusement à nos oreilles ? Qui sait ce qu’il désigne? Un état particulier de la matière ou n’importe quel être vivant choisi pour être un objet d’expérimentation scientifique” (Wolfe, 2004, p. 28)? À défaut de pouvoir donner une définition univoque du mot “organisme”, on peut remarquer que l’une des principales fonctions que la notion a revêtues dans les débats scientifiques et philosophiques des derniers siècles, fut de s’opposer, au nom d’une conception holiste de l’irréductible spécificité du vivant, aux prétentions hégémoniques du “mécanicisme” et, partant, à la menace, réelle ou fantasmée, du déterminisme et du réductionnisme; un danger que la progressive molécularisation de la biologie n’aura cessé de faire renaître, allant jusqu’à faire dire à un physicien tel que Niels Bohr que “si l’on veut pousser l’observation d’un organisme aussi loin que possible au point de vue de la théorie atomique, il faudra pratiquer sur lui une intervention qui le tue” (ibid., p. 29). Cette formule suffit à indiquer qu’”en la matière”, enjeux scientifiques et enjeux éthiques sont toujours intimement liés.

Après avoir été longtemps boudé par les sciences humaines et sociales2, le corps a commencé à devenir, dans les années 1960, un objet légitime de recherche. Citons à titre d’exemples: les travaux de Michel Foucault sur le corps comme cible première du pouvoir (1964; 1975; 1976-2018); l’attention aux gestes et pratiques corporelles comme clés de lecture du social chez Pierre Bourdieu ou Erving Goffman; les analyses réunies dans la trilogie Histoire du corps dirigée par Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (2006); etc. Néanmoins, comme le remarque Dominique Guillo dans La Tentation du corps ce “regain d’intérêt” pour les représentations et les pratiques du corps ne constitue pas nécessairement un “regain d’intérêt pour le corps comme réalité matérielle” (Guillo, 2007). Et pour cause, les divers renouvellements du darwinisme social invitent à la méfiance, qu’il suffise de mentionner l’usage des neurosciences à des fins de naturalisation d’une bonne pédagogie scolaire comme dans Les Lois naturelles de l’enfant, récent livre à succès de Céline Alvarez. D’autant plus que les sciences cognitives bénéficient de financements et d’une reconnaissance dans l’espace public sans commune mesure avec le sort réservé aux sciences humaines et sociales. Ces dernières ne pourraient-elles pas néanmoins occuper le terrain d’une critique des conditions matérielles – profil social des cobayes et des scientifiques, financements etc. – dans lesquelles ces expérimentations, présentées comme indépendantes de toutes contraintes sociales, sont réalisées? Dans ce domaine, l’apport de la pensée féministe, et plus spécifiquement des feminist science studies, à la thématisation des politiques de la connaissance biologique est capital. Bonnie Spanier a ainsi pu montrer comment les logiques de la division (binaire) hétérosexuelle œuvraient jusque dans la biologie moléculaire, y compris pour décrire des formes de reproduction non-sexuée, à travers par exemple l’usage arbitraire des notions de cellules “mâles” (donneuses) et “femmes” (receveuses) (Spanier, 1995).

Nous nous intéressons ici également à ce qu’on peut appeler, à la suite de Bernard Stiegler, une “organologie générale” conçue comme une méthode d’analyse des relations entre “trois types d’’organes’: physiologiques, techniques et sociaux.” Le rapport duel entre la nature et le social semble ainsi pouvoir être dépassé dans un troisième terme, celui d’organe social, dont la signification n’est peut-être pas seulement métaphorique. Des travaux sur l’organicité du social sont donc attendus comme, inversement, des réflexions critiques sur les conceptions de l’organisme comme société. Cette idée du corps-société, introduite notamment par Alfred Espinas suite à des recherches sur les organismes pluricellulaires et dont on peut percevoir des échos jusque dans la philosophie des instincts de Nietzsche à la même période (Stiegler, 2001), fut clairement formulée par Charles Whitman Otis en 1890: “Pour les mêmes raisons que le sociologue affirme que la société est un organisme, le biologiste déclare que l’organisme est une société” (d’Hombres, 2009). Si ces thèses ne remettaient pas encore fondamentalement en cause les frontières entre réalités biologiques et réalités sociales, elles ne se limitaient pas pour autant à établir entre elles des analogies, mais supposaient déjà l’existence de rapports dialectiques autrement plus complexes – qui devraient du reste nous interdire de concevoir des notions comme celle de “colonie de cellules” ou, plus ancienne, de “république des réflexes” chez von Uexküll (Wolfe, 2004, p. 29), comme le fruit d’un transfert unilatéral du langage de la biologie vers celui de la politique. Quelles sont les conditions sociales et les implications éthiques de tels processus de traduction d’un domaine à l’autre, et réciproquement? À quel point ont-ils pu se populariser et se diffuser en dehors du champ scientifique? Nous encourageons les contributions qui se confronteront à de tels questionnements.

S’il est légitime de parler de “nouvel organicisme”, force est de constater que ses implications politiques sont profondément différentes de celles de son prédécesseur des siècles passés, dans la mesure où, pour le dire sommairement, il substitue l’autonomie (dans la relation) à l’hétéronomie, à l’égard du corps-organisme social. Yves Citton a cependant montré qu’un imaginaire de l’auto-organisation nourrissait déjà, au XVIIIe siècle, à la croisée de la science et de la politique, le matérialisme de d’Holbach, Helvétius et d’autres en étant étroitement lié à “l’invention d’un imaginaire spinoziste dans la France des Lumières” (Citton, 2006). Ce n’est à cet égard pas un hasard si l’écologie profonde de Næss s’est revendiquée d’une filiation spinoziste et si certains aujourd’hui se proposent de développer une “biologie spinoziste” (Atlan, 2018); ou encore si on a pu identifier dans la pensée de Spinoza les prémisses de la catégorie de “transindividuel” (Balibar, 2018) introduite par le philosophe des techniques Gilbert Simondon dans les années 1960. Ce dernier exemple nous rappelle que le retour à l’ontologie spinoziste est indissociable du retour politique, “autonomiste” en particulier (Negri, 2006), à Spinoza initié dans les années 1960 en réponse à la crise traversée par le marxisme (Renault, Sibertin-Blanc, 2018). Ces travaux, parmi d’autres, constituent à n’en pas douter une invitation à repenser politiquement l’organisation au-delà de l’opposition, souvent stérile, entre “horizontalité” et “verticalité”, et à renouveler les conceptions de l’autonomie et de la relationalité des luttes au-delà du mot d’ordre, souvent creux, de leur convergence.

Sont donc sollicitées dans cet axe des contributions – enquêtes sociologiques et anthropologiques, travaux d’histoire et/ou de philosophie des sciences et des techniques… – explorant les intersections, passées, présentes, et pourquoi pas futures (science-fiction, utopie) entre théorie des organismes biologiques, politique du vivant et renouvellement des formes d’organisation politique/militante.


3. Décentrements – recompositions

Un dernier axe voudrait prendre acte d’une des conséquences de ces perspectives : les décentrements qu’elles opèrent par rapport à l’humain (et le mâle), ses langages et ses pratiques, par rapport à tout ce qui a été / est appelé à occuper une place centrale, prééminente dans notre façon de concevoir le monde et la manière de le rendre habitable. Qu’il s’agisse de “matière vibrante” (Bennett, 2009, qui investigue tant le métal que les gants de travail ou les oméga-3 et l’humus) ou de terre qui parle (Abram, 2013), d’animaux d’”espèces compagnes” (Haraway, 2010) ou d’espèces a priori plus éloignées, tous ces décentrements dessinent un monde autre- ou plus-qu’humain, au sein duquel ce qui importe s’élargit à tout le vivant, voire contribue à rendre vivants des “choses” ou des “objets” généralement considérés comme inertes ou comme des formes de vie secondaires tels que les lacs, les fleuves, les montagnes – bref à en faire des matières vivantes.

Cela signifie que ces décentrements sont tout autant des repeuplements, au sens où ils nous font compter avec tout un ensemble d’entités qui jusqu’à présent ne comptaient pas ou si peu: ils nous obligent, en premier lieu à “faire avec” elles. Plusieurs tentatives ont été faites pour penser les conséquences de ces repeuplements, à l’instar de celle de Bruno Latour qui a proposé la mise en place d’un “parlement des choses” (1994), c’est-à-dire que soient représentés sur le plan politique les non-humains qui nous sont associés; ou encore pour faire valoir des qualités “non-pures”, c’est-à-dire les qualités par lesquelles on se compromet au lieu de se réfugier derrière une posture morale, comme la diplomatie (Morizot, 2017) afin de mettre à l’épreuve une réelle cohabitation avec les loups, les ours et autres espèces sauvages. Pour autant, il reste à analyser ces recompositions ou re-membrements, selon l’expression employée par Donna Haraway (le français rendant bien mal la polysémie de re-member) pour articuler héritage et renouvellement et en faire quelque chose d’organique, qui ne soit pas qu’une posture mais qui infuse les comportements les plus quotidiens.

Cela signifie encore qu’il reste, au-delà des seuls concepts, à montrer aussi finement que possible des recompositions déjà à l’œuvre: des cohabitations par lesquelles des entités vivantes apprennent les unes des autres, sans que cela se fasse de manière forcément symbiotique (le voisinage impliquant toute la palette des relations possibles). Nous encourageons ainsi les propositions d’articles qui chercheront à décrire et analyser de telles cohabitations à plusieurs échelles: celle du corps greffé par exemple, ou du corps qui apprend à vivre avec une prothèse; ou celle du milieu (Deleuze, Guattari, 1980), au sens où partir du milieu implique d’observer les relations qui le composent; jusqu’aux échelles politiques ou judiciaires, si par exemple des non-humains se mettent à intenter et gagner des procès (Stone, 2017 (1972); Vanuxem, 2018).



Bibliographie indicative

Abram David, 2013, Comment la terre s’est tue. Pour une écologie des sens, Paris, La découverte.

Alaimo Stacy, Hekman Susan, 2007, Material Feminisms, Bloomington, Indian University Press.

Atlan Henri, 2018, Cours de philosophie biologique et cognitiviste. Spinoza et la biologie actuelle, Paris, Odile Jacob.

Balibar Étienne, 2018, Spinoza politique. Le transindividuel, Paris, PUF.

Barbe Frédéric, 2016, “La ‘zone à défendre’ de Notre-Dame-des-Landes ou l’habiter comme politique”, Norois n° 238-239, p. 109-130.

Benett Jane, 2009, Vibrant Matter: A Political Ecology of Things, Durham / London, Duke University Press.

Butler Judith, 2005 (1990), Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, Paris, La découverte.

Butler Judith, 2009 (1993), Ces corps qui comptent. De la matérialité et des limites discursives du « sexe », Paris, Editions Amsterdam.

Chartier Roger (dir.), 1993, Pratiques de la lecture, Paris, Payot.

Citton Yves, 2006, L’envers de la liberté. L’invention d’un imaginaire spinoziste dans la France des Lumières, Paris, Éditions Amsterdam.

Coole Diana, Frost Samantha (ed.), 2010, New Materialisms: Ontology, Agency, Politics, Durham / London, Duke University Press.

Corbin Alain, Courtine Jean-Jacques, Vigarello Georges (dir.), 2006, Histoire du corps, 3 vol., Paris, Le Seuil ; vol. 1 : De la Renaissance aux Lumières, 2005 ; vol. 2 : De la Révolution à la Grande Guerre, 2005 ; vol. 3 : Les mutations du regard. Le XXe siècle.

Deleuze Gilles, Guattari Félix, 1980, Mille plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Éditions de Minuit.

d’Hombres Emmanuel, 2009, “‘Un organisme est une société, et réciproquement?’ La délimitation des champs d’extension des sciences de la vie et des sciences sociales chez Alfred Espinas (1877)”, Revue d’histoire des sciences, n° 62, p. 395-422.

Edwards Jason, 2010, “The Materialism of Historical Materialism”, in Coole Diana, Frost Samantha (ed.), New Materialisms: Ontology, Agency, Politics, Durham / London, Duke University Press.

Fanon Frantz, 2011 (1952), Peau noire, masques blancs, in Oeuvres, Paris, La Découverte.

Fausto-Sterling Anne, 2000, Sexing the Body. Genders Politics and the Construction of Sexuality, New-York, Basic Books.

de Fornel Michel, Lemieux Cyril (dir.), 2007, Naturalisme vs constructivisme, Paris, Éditions de l’EHESS.

Foucault Michel, 1964, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard.

Foucault Michel, 1975, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard.

Foucault Michel, Histoire de la sexualité, 4 vol. Paris, Gallimard ; vol. 1 : La volonté de savoir, 1976 ; vol. 2 : L’usage des plaisirs, 1984 ; vol. 3 : Le Souci de soi, 1984 ; vol. 4 : Les Aveux de la chair, 2018.

Fraenkel Béatrice, 1992, La signature. Genèse d’un signe, Paris, Gallimard.

Guillo Dominique, 2007, “Les avatars de l’organisme dans les sciences sociales françaises”, in Guillo Dominique, Martin Olivier et Memmi Dominique (dir.), La Tentation du corps, Paris, EHESS

Harding Sandra, 1986, The Science Question in Feminism, Ithaca / London, Cornell University Press.

Haraway Donna J, 1976, Crystals, Fabrics and Fields. Metaphysics of Organicism in Twientieth-Century Developmental Biology, New Haven / London, Yale University Press.

Haraway Donna J, 1989, Primate Visions. Gender, Race, and Nature in the World of Modern Science, New York, Routledge.

Haraway Donna J, 2007 (1985), “Manifeste cyborg : science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle”, in Manifeste cyborg et autres essais. Sciences – fictions – féminismes. Anthologie établie par Laurence Allard, Delphine Gardey et Nathalie Magnan, Paris, Exils éditeurs, p. 29-105.

Haraway Donna J, 2010 (2003), Manifeste des espèces compagnes. Chiens, humains et autres partenaires, Paris, Éditions de l’éclat.

Keil Daniel, 2017, “The Ontological Prison. New Materialisms and their Dead Ends”, Kontradikce/Contradictions, vol. 1 n° 2, p. 41-62.

Latour Bruno, 1994, “Esquisse d’un parlement des choses”, Ecologie politique, n°10 p. 97-107.

López Alós Javier, 2019, Crítica de la razón precaria. La vida intelectual ante la obligación de lo extraordinario, Madrid, La Catarata.

Moore Jason, 2015, Capitalism in the Web of Life. Ecology and the Accumulation of Capital, London / New-York, Verso.

Moreno Alvero, 2004, “Auto-organisation, autonomie et identité”, Revue internationale de philosophie, n° 228, p. 135-150.

Morizot Baptiste, 2017, “Nouvelles alliances avec la terre. Une cohabitation diplomatique avec le vivant”, Tracés. Revue de Sciences humaines, n° 33, p. 73-96.

Morton Timothy, 2007, Ecology Without Nature. Rethinking Environmental Aesthetics, Cambridge / London, Cambridge University Press.

Murdoch Jonathan, 2012 (1997), “Vers une géographie des associations hétérogènes”, traduit par Claire Tollis, EspacesTemps.net [En ligne], consulté le 11 juin 2012.

Negri Antonio, 2006 (1982), L’Anomalie sauvage. Puissance et pouvoir chez Spinoza, Paris, Éditions Amsterdam.

Neyrat Frédéric, 2016, “La matière sombre. Courte étude sur les nouveaux matérialismes et leur sombre revers”, Lignes n° 51, p. 117-130.

Rémy Catherine, 2009, “Le cochon est-il l’avenir de l’homme ? Les xénogreffes et l’hybridation du corps humain”, Terrain n° 52, p. 112-125.

Renault Matthieu, Sibertin-Blanc Guillaume, 2018, “Se réapproprier Spinoza. Usages et mésusages d’un philosophe à la mode”, Revue du Crieur n° 10, p. 144-159.

Sapiro Gisèle, 2014, La Sociologie de la littérature, Paris, La découverte.

Spanier, Bonnie, 1995, “Biological Determinism and Homosexuality”, National Women’s Studies Association Journal, 7, p. 54-71.

Stiegler Barbara, 2001, Nietzsche et la biologie, Paris, PUF.

Stone Christopher, 2017 (1972), Les arbres peuvent-ils plaider ?, Paris, Le passager clandestin.

Vanuxem Sarah, 2018, La propriété de la terre, Marseille, Éditions Wildproject.

Wolfe Charles T., 2004, “La catégorie d’’organisme’ dans la philosophie de la biologie. Retour sur les dangers du réductionnisme”, Multitudes n° 16, p. 27-40.




Modalités de soumission
L’appel à contribution a valeur de cadrage et permet la sélection des contributions en fonction de leur pertinence par rapport au thème et aux enjeux du numéro. Il a, en outre, vocation à suggérer aux rédacteurs potentiels quelques pistes générales de réflexion.

Articles

Les articles représentent des contributions originales à la recherche, qui suivent les normes habituelles de la production scientifique. Ils doivent tous se positionner par rapport à l’appel à contributions.

Différents types d’approches sont possibles, permettant de diversifier la manière d’aborder la thématique : nous accueillons tant des articles à vocation essentiellement théorique, que des contributions fondées sur des recherches empiriques, où les enjeux méthodologiques seront précisés et discutés.

Tracés étant une revue interdisciplinaire, les articles doivent pouvoir être compréhensibles et pertinents pour des lecteurs et des lectrices non spécialistes; ils peuvent également faire appel à des méthodes et des références de plusieurs disciplines, ou interroger les présupposés ou les outils empiriques et théoriques d’une discipline à partir du point de vue d’une autre discipline.

Les articles soumis ne peuvent excéder 40 000 signes (espaces, notes, et bibliographie incluses).

Notes

Nous publions des notes critiques qui présentent un ensemble de travaux (éventuellement un ouvrage en particulier), une controverse scientifique, ou l’état d’une question actuelle. Elles doivent dans tous les cas se rattacher explicitement à la thématique du numéro et permettre d’éclairer des orientations de recherche ou des débats inhérents à cette dernière, notamment pour des lecteurs et des lectrices non spécialistes des disciplines concernées.

Les notes soumises ne peuvent excéder 25 000 signes (espaces, notes, et bibliographie incluses).

Entretiens

Des entretiens avec des chercheurs, chercheuses ou d’autres expert-e-s des questions étudiées sont également publiés dans chaque numéro. Les contributeurs et les contributrices qui souhaiteraient en réaliser sont invité-e-s à prendre contact directement avec le comité de rédaction (redactraces [a] groupes.renater.fr).

Traductions

Les traductions sont l’occasion de mettre à la disposition du public des textes peu ou pas connus en France et qui constituent un apport capital à la question traitée. Il doit s’agir d’une traduction originale. Le choix du texte devra se faire en accord avec le comité de rédaction et les questions de droits devront être réglées en amont de la publication.

Il est donc demandé aux contributeurs et aux contributrices de bien préciser pour quelle rubrique l’article est proposé. La soumission d’articles en anglais est également possible, mais si l’article venait à être retenu pour la publication, sa traduction nécessaire en français demeure à la charge de l’auteur-e.

Procédure

Les auteur-e-s devront envoyer leur contribution (article complet) avant le 15 avril 2020. Celle-ci sera envoyée au comité de coordination du numéro 40 de Tracés (soumission-articles.traces@groupes.renater.fr), à savoir Amina Damerdji (aminadamerdji@gmail.com), Anthony Pecqueux (Anthony.PECQUEUX@msh-lse.fr) & Matthieu Renault (matthieu.renault@gmail.com).
Les auteur-e-s peuvent informer en amont les coordinateurs de leur projet par courrier électronique en indiquant le titre de leur contribution, la rubrique dans laquelle ils le proposent, ainsi qu’un bref résumé du propos. La date limite des propositions est fixée au 15 janvier 2020. Un retour est fait aux auteur-e-s sur la recevabilité de leur proposition.
Chaque article est lu est par un-e membre du comité de rédaction et par deux évaluateurs et évaluatrices extérieur-e-s. Nous maintenons l’anonymat des lecteurs et lectrices et des auteur-e-s. A l’aide de ces rapports de lecture, les coordinateurs et la coordinatrice du numéro rendent un avis sur la publication et décident des modifications à demander aux auteur-e-s afin de pouvoir publier l’article.
Dans le cas de propositions trop éloignées de l’appel à contribution ou des exigences scientifiques de la revue, les coordinateurs et la coordinatrice se réservent le droit, en accord avec le comité de rédaction, de rendre un avis négatif sur la publication sans faire appel à une évaluation extérieure. Hormis ces exceptions, une réponse motivée et argumentée est transmise aux auteur-e-s suite à la délibération du comité de lecture.
Nous demandons aux contributeurs et contributrices de tenir compte des recommandations en matière de présentation indiquées sur notre site.
Les articles envoyés à la revue Tracés doivent être des articles originaux. L’auteur-e s’engage à réserver l’exclusivité de sa proposition à Tracés jusqu’à ce que l’avis du comité de lecture soit rendu. Elle ou il s’engage également à ne pas retirer son article une fois que la publication a été acceptée et que l’article a été retravaillé en fonction des commentaires des lecteurs et lectrices.
NB : L’insertion d’images et de supports iconographiques en noir et blanc et en couleurs est possible en nombre limité (Précisez-le dans votre déclaration d’intention). Celles-ci doivent être livrées libres de droit (sauf exception, la revue ne prend pas en charge les droits de reproduction); elles limitent le nombre de signes à hauteur de 2500 signes par image pleine page, et de 1500 signes par image demi-format. Pour des projets spécifiques, il est possible de faire établir un devis pour une cahier hors-texte.
Que la traductrice Charlotte Nordmann a reportée finement dans le sous-titre : De la matérialité et des limites discursives du « sexe », là où le sous-titre anglais ne comprend que : On the Discursive Limits of « Sex » []
À l’exception au moins de l’anthropologie – et au-delà du classique de Marcel Mauss : la description des corps fait partie intégrante des monographies classiques. []

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire