La mélancolie
Appel à contribution
Numéro 19 d’Alkemie - Revue de littérature et philosophie
Peut-on mesurer les variations d’une idée, désignée par un vieux vocable, dont l’existence s’étale sur deux millénaires et demi ? La mélancolie, car c’est d’elle qu’il s’agit, signifie à la lettre « bile noire » (gr. melaina cholè) et provient du discours médical de l’antiquité grecque. Hippocrate l’avait intégrée au système des quatre humeurs (aux côtés de la bile jaune, du sang et du flegme) dont l’équilibre devait rendre compte de l’état de santé de l’individu tout comme la présence en excès de l’une ou de l’autre était considérée comme responsable d’altérations et de souffrances que seul l’art médical était capable d’endiguer. À la même époque, la mélancolie désigne également une maladie provoquée par l’humeur noire et peut prendre des formes variées qu’il est inutile de répertorier ici. Disons, pour être bref, qu’elle peut porter atteinte au corps ou à l’âme et qu’il revient au médecin de distinguer entre une pathologie somatique et une maladie de l’âme.
Mais tout cela se complique considérablement dès que la philosophie s’en mêle. Le Problème XXX,1 du pseudo-Aristote introduit un bémol dans l’approche psycho-pathologique, en érigeant l’humeur noire en principe distinctif du génie : tout homme d’exception, qu’il soit poète, philosophe ou artiste est nécessairement mélancolique. Il y a donc dans cette humeur quelque chose qui n’est pas tout à fait délétère, puisque tout créateur en est marqué. Qui plus est, ce statut ambivalent est mis en scène dans une série de lettres apocryphes du début de l’ère chrétienne, attribué (à tort, mais intentionnellement) à Hippocrate, où le médecin appelé à Abdère pour soigner le rire incontinent et à propos de tout de Démocrite (symptôme d’une folie supposée être provoquée par la bile noire) se rend à l’évidence : non seulement le philosophe n’est pas fou, mais son rire est la marque d’une euthymie qui le place incontestablement parmi les sages.
Ce partage du concept entre philosophie et médecine sera durable. À part l’acédiedes moines du désert, que le discours théologique place du côté des péchés capitaux, mais que l’on peut considérer comme une mélancolie spécifique du monachisme, rien ne viendra troubler la stabilité épistémologique de la mélancolie, exclusivement rattachée au discours médical jusqu’à la fin du Moyen-Âge. La Renaissance apporte néanmoins un autre regard, dû à Dürer et à la manière dont l’artiste met en scène la mélancolie. Dans la célèbre gravure de 1514, Melencolia I, le sujet explose, l’allégorie aidant, en une polysémie que désormais rien ne saura apaiser. À travers cette image, il est question de médecine, bien entendu, mais aussi d’astrologie, de don divinatoire, de déplacements épistémologiques dus à l’évolution des sciences, de géométrie, d’architecture et de beaux-arts. Autant dire que la mélancolie sera désormais un concept transversal, et fédérateur de par la diversité même des grands territoires de la création et du savoir qu’elle parcourt à grands pas. Elle sera également un moyen de subversion, ouvert à tous les champs et à toutes les démarches, au rebondissement facile et imprévisible. Malgré le retour de la mélancolie à l’intérieur du paradigme médical avec la psychiatrie du XIXe siècle et son entrée triomphale dans la psychanalyse freudienne et l’analyse existentielle au XXe, elle n’en reste pas moins présente et active sur le terrain artistique et philosophique.
L’extrême variabilité du contenu conceptuel de la mélancolie conduit à la considérer comme une idée polymorphe, qui englobe toute une série de corrélatifs : l’ennui, la tristesse, le sentiment du vide, la nostalgie, l’acedia, la violence sont autant de pseudonymes d’une mélancolie essentielle, unique et multiple à la fois, constitutive de la culture européenne. Les arts et les lettres sont les premières à en tirer bénéfice, mais on ne peut pas occulter le propos de Heidegger, selon lequel on ne peut philosopher que mélancoliquement. Kierkegaard et Cioran sont de grands mélancoliques, Nietzsche peut-être aussi… la liste reste ouverte. — Constantin Zaharia
Les contributions, inédites et en langue française, sont à envoyer jusqu’au 1er janvier 2017. Les textes doivent être transmis au comité de rédaction, à l'adresse mihaela_g_enache@yahoo.com (en format Word, 30 000 signes maximum, espaces compris). Nous vous prions d'accompagner votre article d’une courte présentation bio-bibliographique (400 signes) en français, d'un résumé (300 signes) et de cinq mots-clefs en anglais et en français.
Date limite : 1er janvier 2017.
Site de la revue Alkemie : http://www.revue-alkemie.com
Directrice : Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR (mihaela_g_enache@yahoo.com)
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