La déhospitalisation psychiatrique au XXe
siècle. Perspectives francophones transnationales
organisé par Alexandre Klein et Emmanuel Delille
En
partenariat avec la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne
en santé et dans le cadre du projet de recherche IRSC «
Déhospitalisation psychiatrique et accès aux services de santé mentale.
Regards croisés Ontario-Québec, 1950-2012 ».
13h00-15h30
Université d’Ottawa – Salle FSS 1007
La
psychiatrie a connu au cours du XXe siècle une remise en question importante
du modèle sur lequel elle s’était fondée, en tant que science et profession, au
cours du siècle précédent. Déstabilisant la doctrine du traitement moral selon
laquelle l’institution asilaire était un élément central de la thérapeutique,
l’expérience de la folie des soldats au cours des deux guerres mondiales et les
mouvements réformateurs participèrent à l’émergence d’un nouveau paradigme de
soins psychiatriques. La révolution thérapeutique engagée par l’apparition des
neuroleptiques et la généralisation des psychothérapies, les transformations culturelles
et sociales qui gagnèrent les pays industrialisés au cours des années 1950-1960,
ainsi que les critiques de plus en plus fortes des sciences humaines comme des
nouvelles générations de psychiatres vinrent asseoir l’émergence de nouveaux
modes de prise en charge de la folie. L’hospitalo-centrisme
qui avait organisé la psychiatrie du XIXe siècle allait laisser
place à une approche nouvelle basée sur une politique de déhospitalisation.
Si
l’émergence de cette psychiatrie « hors les murs » a fait l’objet,
depuis plusieurs années, de multiples études historiques dans le monde
anglo-saxon,
les travaux concernant la francophonie sont plus récents et restent encore peu nombreux. Pourtant, au Québec, le rapport de la
commission Bédard (1962) a engagé un processus de désinstitutionnalisation important
qui a conduit à l’ouverture de structures nouvelles et à la valorisation de la
prise en charge communautaire. De même, dans le reste du Canada,
les communautés francophones ont également connu un mouvement vers la
déhospitalisation de la santé mentale . En France,
un phénomène similaire vit le jour sous le vocable de sectorisation et contribua à transformer la prise en charge des soins de santé mentale.
Tandis que la Belgique ou la Suisse connurent
elles aussi ce processus de sortie des institutions.
Ce
panel vise à valoriser cette recherche historique sur les expériences de
déhospitalisation psychiatrique dans l’espace francophone et à permettre ainsi
l’instauration d’échanges et d’une mutualisation des connaissances entre
chercheurs de différents pays.
- Benoît Majerus (Université du Luxembourg) Sortir de l’asile, sortir de la psychiatrie ?
Comme
dans les autres pays européens, la Belgique connaît à partir des années
1960 un mouvement social qui plaide en faveur d’une réforme des soins
psychiatriques. Et comme dans les autres pays européens, un projet –
celui de L’Équipe à Bruxelles – va servir de focale pour
défenseurs et critiques d’une prise en charge extra-hospitalière. À
partir d’entretiens et de dossiers de patients, il s’agit de revenir sur
la pratique de L’Équipe dans ses années fondatrices aussi bien
en s'intéressant à la question de l’espace, des équipes
multidisciplinaires ou des (nouvelles?) populations qui y sont prises en
charge.
- Hervé Guillemain (Université du Maine/Cerhio) Les limites de la « désinstitutionnalisation » française.
Peut-on parler de désinstitutionnalisation pour l’histoire de la psychiatrie française de la fin du XXe siècle. Il est évident que la situation n’est pas comparable à celle d’autres pays européens (Grande Bretagne ou Italie par exemple). L’hôpital reste encore aujourd’hui au cœur du système de soin de la maladie mentale. Cependant comme ailleurs en occident une déshospitalisation partielle a été menée dont l’histoire est peu connue. Je propose de parler de cette histoire à partir de deux points d’observation. Le premier ce sont les statistiques nationales qui permettent parfois de comprendre les transferts de patients vers de nouvelles structures et le développement de nouveaux secteurs d’assistance. Le second c’est une institution psychiatrique – l’hôpital du Mans – dont l’histoire et les archives évoquent précisément les limites de cette évolution vers la déshospitalisation. Cette étude (1960-1990) mettra en discussion le rôle des conditions financières imposées aux hôpitaux psychiatriques autant que celui plus connu de l’idéologie du soin rassemblée sous le terme de « secteur ».
- Emmanuel Delille (Centre Marc Bloch, Berlin) Réformes ou modernisation ? La santé mentale en Eure-et-Loir (1947-1970)
En prenant comme
lieu d’observation le Centre Hospitalier de Bonneval, en Eure-et-Loir,
je propose de revisiter la chronologie du processus de réforme de la
psychiatrie publique connu en France sous le nom de « sectorisation »,
en adaptant la chronologie aux politiques réellement appliquées dans ce
département encore très rural après-guerre. Deux dates importantes sont
alors à prendre en compte : 1947, création du Centre de Traitement et de
Réadaptation Sociale de Bonneval, en lieu et place du service des
femmes dirigé par Henri Ey (1900-1977) ; 1970, mise en œuvre de la
sectorisation dans l’ensemble du département d’Eure-et-Loir, à nouveau
sous la direction d’Henri Ey. Si, au lendemain de la Libération, ce
dernier a participé au Manifeste en 24 points rédigé au terme des
Journées Psychiatriques Nationales (mars 1945) et au Livre Blanc de la
Psychiatrie Française (1965-1968), les documents d’archives (plan
manuscrit, cartes, négociations, écrits de patients, etc.) indiquent
plutôt que l’élan rénovateur s'est traduit localement
par une « modernisation du vieil asile » et non pas par une sortie de
l’hôpital psychiatrique. En somme, je propose de mettre
en discussion l’interprétation d’un plan de sectorisation et les
travaux de rénovation réellement effectués à Bonneval, pendant cette
période bien connue des « Trente Glorieuses ».
- Alexandre Klein (Université d’Ottawa) Charles A. Roberts (1918-1996), acteur oublié de la désinstitutionnalisation psychiatrique au Québec
Connu pour avoir été
l’unique membre anglophone de la commission Bédard, laquelle engagea
officiellement la désinstitutionnalisation psychiatrique au Québec dès
1962, le psychiatre terre-neuvien Charles Augustus Roberts (1918-1996)
fut également un acteur central de la réforme de la psychiatrie
canadienne contemporaine. En tant que médecin et surintendant de divers
hôpitaux à travers le pays, mais aussi responsable de la Division de la
santé mentale du ministère fédéral de la santé ou encore membre actif de
l’Association des psychiatres canadiens, Roberts participa activement à
la transformation de la prise en charge en santé mentale qui eut lieu
au Canada au cours de la seconde moitié du XXe siècle, ainsi
qu’à l’institutionnalisation de la psychiatrie canadienne qui
l’accompagna. À l’aune de son parcours singulier, mais malheureusement
peu connu, l’histoire de la psychiatrie québécoise acquiert une tout
autre dimension. La déhospitalisation psychiatrique, qui fut longtemps
pensée comme le fruit de l’engagement de quelques psychiatres
francophones modernistes, se révèle, par l’entremise de la figure de
Roberts, inscrite dans un processus historique et sociologique bien plus
vaste de réformes du système de santé canadien. C’est à cette relecture
de l’histoire de la désinstitutionnalisation psychiatrique au Québec, à
la lumière de son contexte linguistique et sociohistorique, que nous
consacrerons notre communication qui détaillera l’œuvre de Charles A.
Roberts, notamment lors de son séjour québécois comme surintendant du
Verdun Protestant Hospital de Montréal, afin d’en préciser les apports
historiographiques.
- Maria Neagu (Université d’Ottawa) Représentations médiatiques francophones de la désinstitutionnalisation psychiatrique au Canada (1960-2010)
Cette communication
présente les résultats d’une étude exploratoire de la couverture
médiatique de trois journaux francophones ontariens – Le Droit, le Voyageur et le Nord
– sur le passage de l’enfermement asilaire à la réintégration des ex
psychiatrisés au sein de la société, à partir de la première vague de
désinstitutionnalisation massive qui a marqué les années soixante et
soixante-dix, jusqu’aux pratiques alternatives d’aujourd’hui. Ce
phénomène de société, commun pour l’ensemble du Canada, est empreint
d’une réalité singulière pour les communautés francophones du pays
vivant en contexte minoritaire, confrontées à la pénurie des services en
français et des ressources satellites francophones. Les difficultés
d’accès aux services adaptés et la qualité de ces services, conjuguées à
une appréhension généralisée de la maladie mentale, constituent un défi
non négligeable pour les familles et la société appelées à participer à
la réinsertion sociale des ex-psychiatrisés. Si les archives médicales
permettent de retracer des fragments des itinéraires de ces sujets
toujours vulnérables face à leur maladie (or, bon nombre d’entre eux
connaitront des ré-internements successifs), nous souhaitons nous
pencher sur ce rendez-vous d’un succès mitigé entre la société et ses
« fous ». À travers la lorgnette de la presse francophone, nous
tâcherons d’observer les comportements des uns et des autres dans ce
nouveau contexte de ré-apprivoisement réciproque. À travers quels
registres le discours médiatique capte-t-il la présence des
ex-psychiatrisés au sein de la cité ? Qu’en dit-il sur ce phénomène de
société rarement exploré dans l’optique de l’histoire culturelle ? Les
résultats préliminaires de cette enquête laissent entrevoir une
désinstitutionnalisation à multiples facettes. Tantôt on craint le « fou
» coupable d’un acte criminel qui défraie les chroniques des faits
divers, tantôt on tente de démystifier la folie en cédant la parole aux
spécialistes de la question. Le lecteur francophone sera aussi informé
des nouvelles politiques en la matière, mais rarement sera-t-il au fait
des défis réels que pose la pénurie des services de réinsertion.
Contact : aklein[at]uottawa.ca
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