jeudi 22 mai 2014

Le soin, histoire d'une relation

Le soin, histoire d'une relation 
(Europe - XIXe-XXe siècles)

Journée d'études



La journée se déroulera le mercredi 4 juin 2014 de 9h à 17h30 à la Sorbonne puis à Sciences Po, sous
la présidence  de Dominique Kalifa et Paul-André  Rosental

L’histoire sociale de la médecine s’est largement constituée autour de l’étude des acteurs (médecin, malade, infirmière, personnel religieux), des lieux (hôpital, domicile, asile, dispensaire), des institutions (Assistance publique, médecine militaire, congrégations soignantes), et des pratiques (thermalisme, vaccination, homéopathie, électrothérapie, puériculture). Si le terme de soin y revient souvent, il est pourtant rarement étudié dans sa dimension relationnelle1.
Proche de celle du soin, la notion de care a fait l’objet, depuis les travaux de C. Gilligan dans les années 19802 , d’un effort philosophique et sociologique de définition et de théorisation. En revanche, la relation de soin reste le plus souvent envisagée en histoire comme un ensemble de pratiques plutôt que comme une forme de rapport social. Le soin est pourtant avant tout une relation intersubjective3 qu'il importe d'historiciser. Pour explorer cette relation depuis l’avènement de la médecine clinique, cette journée cherche à questionner le sens que revêt le terme de soin (1), puis la dimension sociale et relationnelle qu’il emprunte en se penchant sur les rapports de force (2) et les interactions (3) qui sont à la fois impliqués et produits dans le soin.

Nommer et délimiter le soin

Comment les praticiens envisagent-ils leurs rôles et leurs actes ? Comment trouver le « soin » dans les archives de la pratique médicale ? Ces questions font d’autant plus problème que le terme semble rarement employé dans les archives, et renvoie aussi bien à l’action de rendre la santé que de porter attention à quelqu’un (Larousse du XIXe siècle). Travailler sur la relation de soin (doit-on d’ailleurs en parler au singulier ou au pluriel ?) suppose d’abord de réfléchir à la façon dont on nomme les rapports qui unissent le soignant au soigné, le médecin au malade, le patient au psychiatre, la religieuse au pauvre malade. Dans cette perspective, nous espérons que les cadres de réflexion de cette journée permettront d’identifier les acceptions et les usages de ce mot à différents moments.
S’interroger sur le sens et les mots donnés par les acteurs à la relation produite lors d’une interaction médicale contraint à questionner ce qu’y cherchent soignants et soignés. A quoi sert le soin ? La guérison est l’horizon d’attente de la plupart de ceux qui prodiguent et reçoivent des soins, mais il en existe d’autres, comme la prévention. A ce titre, la dimension morale de l'approche médicale du personnel soignant doit aussi être interrogée. Penser la relation de soin permet ainsi de redéfinir la grande diversité d’actes et d’intentions qu’elle peut recouvrir.


Le soin : relation de pouvoir, pouvoir d'une relation

La relation de soin est une expérience partagée dans laquelle existe de façon plus ou moins prononcée une dissymétrie sociale et culturelle. Partir de l’interaction soignante, c’est poser la question de ce qui contribue à instaurer des rapports de pouvoir et des possibilités de négociation entre soignants et soignés. Le médecin s’impose-t-il toujours au malade ? A quelles conditions l’acte de soin peut-il échapper à l’infériorisation du patient, à la réification du malade ? Ces questions sont d’autant plus cruciales que la sollicitude et la volonté de guérir peuvent masquer les dimensions coercitives et autoritaires à l’œuvre. Dépassant la simple perspective médicale, faire l’histoire de cette relation invite à repenser ce qui se joue socialement et moralement dans le soin.
Nous souhaitons pour cela porter une attention particulière aux lieux (lit, salle, cabinet médical) où se produisent les relations de soin, afin de regarder ce qui s’y passe et entendre ce qui s’y formule. Une attention aux attitudes corporelles et aux mots employés permettra de questionner les ambivalences de cette relation. Cette méthode d'observation permettra peut-être d'envisager des périodisations propres à l’histoire du soin.

La relation de soin : une relation productrice d’identités

La période contemporaine est un temps d’accélération sans précédent dans la production des savoirs médicaux et dans la professionnalisation des métiers de soin ; toutefois l’histoire de ces processus ne permet pas à elle seule de réfléchir à la construction de l’identité des soignants et des soignés. Dans une perspective goffmanienne qui fait de l’interaction le moment où se constitue et se donne à voir l’identité des individus4 , la relation de soin peut être envisagée comme une relation de face-à-face où chacun des acteurs présents voit son rôle défini dans l’instant du soin. Privilégier cette approche conduit probablement à chercher de nouvelles sources pour l’histoire de la médecine. Comment saisir l’expérience des acteurs ? Quel est le rôle de la relation soignants-soignés et soignants-soignants dans la construction de leurs identités personnelles et professionnelles ?

A la recherche de ce que soigner et prendre soin veulent dire, nous interrogerons lors de cette journée les méthodes et les sources mobilisables par les historiens pour saisir la relation de soin. Nous aimerions que les communications, qu’elles abordent la relation de soin à domicile ou en institution, fassent jouer différents contextes politiques (colonial, autoritaire, laïque) et scientifiques (de la naissance de la médecine clinique au processus de spécialisation disciplinaire). En partant de l’interaction soignante, nous voudrions montrer que cette échelle d’observation au « ras du sol » permet d’interroger autrement les évolutions d’une histoire sociale de la médecine.
1 On notera toutefois l’étude dans les travaux anglo-saxons de la figure du « patient » dans le face-à-face thérapeutique. Voir notamment Philip Rieder, « L’histoire du « patient » : aléa, moyen ou finalité de l’histoire médicale ? », Gesnerus, 60, 2003, p.260-271.
2 Marie Garrau, Alice Le Goff, Care, justice, dépendance. Introduction aux théories du care, Paris, PUF, 2010. Carol Gilligan, In a Different Voice. Psychological Theory and Women’s Development, Cambridge, Harvard University Press, 1982 ; trad. Fr. Une si grande différence, 1986, rééd. revue Une voix différente. Pour une éthique du care, Paris, Flammarion, 2008.
3 Frédéric Worms, Soin et politique, Paris, PUF, 2012.
4 Erwing Goffman, Asiles. Études sur les conditions sociales des malades mentaux [1961], Paris, Editions de Minuit, 1968 ; Erving Goffman, Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, Éditions de Minuit, 1975.

Responsable(s)


Programme

Matinée : salle Marc Bloch, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 17 rue de la Sorbonne, 75005 Paris

Introduction

9h00. Mathilde Rossigneux-Méheust (Centre d’histoire du XIXe siècle, Paris1) et Anne Jusseaume (Centre d’histoire de Sciences Po) :
« Le soin comme relation sociale : bilan historiographique et nouvelles perspectives ».


Nommer et délimiter le soin

10h00. Fabrice Cahen (Institut national d'études démographiques) :
« Le traitement des femmes avortées dans les hôpitaux parisiens (1900-1975) ».

10h30. Benoît Majerus (IPSE, Université du Luxembourg) :
« Surveiller et punir (et soigner?). Sur les pratiques psychiatriques au XXe siècle ».


Le soin : relation de pouvoir, pouvoir d'une relation

11h30. Hervé Guillemain (CERHIO) :
«Le soin des schizophrènes dans la France des années 1930. Une observation au ras du sol à partir des dossiers de patients ».

12h. Paul Marquis (Centre d'histoire de Sciences Po) :
« Soin ou surveillance ? Les relations psychiatres-soignants-malades en contexte colonial (Algérie, 1945-1952) ».

Après-midi : salle Jean Monnet, Centre d'histoire de Sciences Po, 56 rue Jacob, 75006 Paris


La relation de soin : une relation productrice d’identités

14h30. Mathilde Rossigneux-Méheust (Centre d’histoire du XIXe siècle, Paris1) :
« Le rôle du soin dans les opérations d’étiquetage des vieillards parisiens assistés en institution (1840-1914) ».

15h00. Claire Fredj (Université Paris Ouest Nanterre – La Défense –IDHE) :
« Un patient colonial ? Médecins français et soins aux indigènes dans l'Algérie colonisée (fin 19e siècle-années1930) ».

15h30. Claire Barillé (IDHES) :
« Le rôle du soin dans la relation médecin malade à l'hôpital : l'émergence du patient (1850-1914) ».

16h. Anne Jusseaume (Centre d'histoire de Sciences Po) :
« Des religieuses soignantes ? La relation soeur-malade dans les hôpitaux parisiens au XIXe siècle ».

17h. Conclusions d’Olivier Faure (RESEA –LARHRA, Lyon III).
 

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