Appel à contribution
La journée d’étude se veut interdisciplinaire (histoire, sciences politiques, sociologie) et transpériodique puisqu’elle se propose de rassembler des travaux (achevés ou en cours) autour de la relation entre pouvoir et maladie, à la fois au niveau des conséquences des états pathologiques sur les puissants mais aussi au niveau de l’exercice du pouvoir, dans ses dérives ou par sa critique, comme une forme de maladie.
La figure du Prince malade est un poncif des systèmes monarchiques qui ne pensent la transmission du pouvoir qu’au moment du décès ou de l’abdication. En parallèle, l’exercice du pouvoir, de l’Antiquité à nos jours, est censé être synonyme d’une souffrance ou d’une fatigue en même temps qu’une forme de passion susceptible de déboucher sur la tyrannie et la cruauté, conçues alors comme des manifestations d’une forme de folie alimentée par l’autorité et la démesure qu’elle implique souvent. Les images du dictateur fou, paranoïaque ou cyclothymique, du monarque narcissique, apathique ou pervers, interrogent sur l’usage normatif de catégories médicales, genrées, morales et politiques qui sont étroitement associées, et au-delà de toute métaphore, dans le verdict ou le diagnostic historique.
L’objectif est d’étudier les interactions entre pouvoirs et états pathologiques (décrits comme tels au moment où ils se manifestent ou longtemps après) tant dans le cas d’une perturbation de l’autorité que dans celui d’une critique médicale de la puissance souveraine et de ses agents (dans les régimes autoritaires ou autres). L’enjeu est d’observer le dialogue entre politisation des faits pathologiques (la maladie du Prince est une crise politique) et, à l’inverse, la médicalisation du politique (les erreurs de gouvernance témoignent d’une déviance du Prince ou du régime voire d’une « maladie » plus globale du système).
Depuis l’Antiquité, l’exercice du pouvoir est scruté en tant que pratique exposée à des risques et des aléas multiples. L’ « ivresse » à laquelle on l’associe est en soi une expression révélatrice, à partir du langage courant, de la tendance à lire et à interpréter les actes déviants ou excessifs du pouvoir souverain comme les effets d’une maladie du Prince (When Illness Strikes the Leader, J. M. Post, R. S. Robins (dir.), Yale University Press, 1993). Entre les périodes antiques et modernes, les systèmes politiques ont eu tendance à centraliser, à des échelles différentes, la prise de décision en accentuant l’importance des épisodes pathologiques ou des handicaps dont pouvaient souffrir les dirigeants ou les dirigeantes (X. Le Person, « Practiques » et « practiqueurs ». La vie politique à la fin du règne de Henri III, Droz, 2002 ; S. Perez, La santé de Louis XIV. Une biohistoire du roi-Soleil, rééd., Perrin, 2010). Les cas de tyrans sanguinaires, d’empereurs fous, de rois goutteux ou impuissants, de reines névrosées, de successeurs handicapés ou « simples d’esprit », ont ponctué l’Histoire. Et ces topoi ont été renouvelés au cours de la période moderne dans une optique plus ou moins juridique : le roi de France a beau avoir deux corps, comme son homologue anglais, il souffre et meurt comme à peu près n’importe qui (R. Giesey, Le Roi ne meurt jamais, Flammarion, 1987/ S. Perez, « Le roi meurt un jour », introduction à La Mort des rois, Millon, 2006). Mais si chacun en convient, le droit successoral ferme les yeux sur la maladie pour ne tenir compte que du décès : pour le juriste, le Prince ne serait-il jamais malade ?
Au 19e et 20e s, les figures protéiformes du souverain, du président, voire du dictateur, ont renouvelé cette vision tout en restant fidèle à l’utilisation de métaphores ou de descriptions relevant du discours médical (la problématique est aussi abordée dans des ouvrages de vulgarisation : P. Accoce, P. Rentchnik, Ces malades qui nous gouvernent, Stock, rééd., 1996 ; D. Owen, In Sickness and in Health : The Politics of Medicine, Quartet Books, 1976). Les figures inquiétantes du monstre, du pervers, du paranoïaque sont entrées dans les annales de régimes plus ou moins dictatoriaux en instaurant un dialogue tacite entre politique et médecine (synthèse transculturelle par A.-M. Moulin, Le Médecin du Prince, O. Jacob, 2010), entre état pathologique et droit naturel, entre médecine, genre et nation (E. Dorlin, La Matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, La Découverte, 2006). Tombés malades « naturellement » ou rendus tels par leur fonction, le Pater Patria comme le dictateur, de Caligula à Hitler, semblent enfermés dans un tableau pathologique qui tente de diagnostiquer et d’évaluer l’action politique à la lueur du discours médical voire spécifiquement psychiatrique, que ce soit au sens littéral (D. Pick, The Pursuit of the Nazi Mind : Hitler, Hess, and the Analysts, Oxford University Press, 2012) ou, plus classiquement, métaphorique (S. Sontag, La Maladie comme métaphore, rééd., Bourgois, 2009).
Si les épisodes de maladie fragilisent théoriquement l’autorité personnelle, l’exercice de la puissance souveraine, qu’elle se fonde sur un contrat social, sur un coup d’Etat ou sur le droit divin, rendent toujours complexe la question de la santé d’une personne censée être publique. Et, dans bien des cas, celle-ci tend à dissimuler son état réel (à ce que l’historien, le journaliste et/ou le médecin peuvent en connaître notamment pour des périodes reculées, cf. la thèse d’histoire de M. Winter, soutenue à l’EHESS en 2003, « Corps, maladie et pouvoir à l’époque carolingienne »). La raison d’Etat censure souvent les bulletins de santé en esquivant le problème de la compétence physique et mentale de la dirigeante ou du dirigeant (le cas Mitterrand-Gubler est-il réellement exceptionnel ? voir, pour d’autres pays, R. Mc Dermott, Presidential Leadership, Illness, and Decision Making, Cambridge University Press, 2008) en même temps qu’elle peut aussi être considérée, dans ses dérives autoritaires, paternalistes ou répressives, comme le symptôme d’une maladie dont souffriraient, au final, tous les régimes.
A ce titre, il revient aux sociologues, politistes et aux historien.ne.s de clarifier les choses en interrogeant une sémantique du pouvoir qui varie peu sur la longue durée.
Axes thématiques
Les communications retenues, qu’elles relèvent du champ historique, politique, sociologique ou anthropologique, s’inscriront au moins dans l’un des trois axes méthodologiques suivants :
- utiliser un ou plusieurs exemples concrets traités sous forme d’étude de cas (cf. J.- Cl. Passeron, J. Revel, Penser par cas, Ed. de l’EHESS, 2005), en contextualisant l’exemple choisi (si possible de façon interdisciplinaire) et en le confrontant à un modèle qu’il valide ou non.
- déconstruire le déterminisme trivial qui associe les errements du pouvoir à la déviance d’un individu ou d’un groupe, qui relie l’excès ou le déficit d’autorité à une manifestation pathologique. Evidemment, cette lecture constitue elle-même un objet historique ou sociologique dans la mesure où elle exprime une critique du pouvoir.
- trier et analyser les notions et catégories, forcément normatives, qui permettent de penser, de dire ou de critiquer, la faiblesse, la mauvaise santé ou la brutalité excessive (considérée comme pathologique) de l’empereur, du roi, du/ de la président.e, du leader, du tyran, etc.
Modalités d'envoi des soumissions
Un résumé de la communication envisagée (300 mots maximum) et un CV (accompagné d’une bibliographie sélective des travaux réalisés sur le thème de la manifestation) devront parvenir
avant le 21 juin 2014.
Organisateurs : Dominique Memmi, Stanis Perez.
Comité scientifique
Catherine Achin, Université de Paris XII-Créteil, CRESPPA
Xavier Le Person, Université de Paris IV-Sorbonne, IEP Paris
Frédérique Matonti, Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, CRPS/CNRS
Dominique Memmi, CNRS/CSU, MSH Paris-Nord
Stanis Perez, Université de Paris XIII-Villetaneuse, Pléiade, MSH Paris-Nord
Benjamin Stora, Université de Paris XIII-Villetaneuse, IGEN
Benjamin Stora, Université de Paris XIII-Villetaneuse, IGEN
Contact : Stanis Perez (stanis.perez@mshparisnord.fr)
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