L’ivresse, à savoir une réaction psychique et physique due à une boisson consommée en excès, fait partie de la culture européenne de l’Antiquité à nos jours. L’Organisation Mondiale de la Santé la considère aujourd’hui comme un problème mondial à l’origine de 2,5 millions de décès/an et de « nombreux problèmes sociaux et développementaux graves : violence, maltraitance ou négligence des enfants, et absentéisme sur le lieu de travail ».
Ce colloque sur l’ivresse devra s’inscrire dans un démarche pluridisciplinaire et internationale fondée sur l’histoire, l’anthropologie et l’ethnologie mais ouverte aux autres discours : de la médecine à la psychologie, de l’histoire de l’art à la philosophie, de la géographie à l’économie, des lettres classiques et modernes à la sociologie... Le champ d’étude de ce colloque étalé sur deux jours sera européen voire mondial. Il s’agira de confronter les points de vue pour aboutir à un état des lieux de la recherche.
Afin de conserver une unité dans le programme, voici quatre questionnements qui seront autant d’axes de réflexion.
1. Avec quoi s’enivrer et dans quelles quantités ?
La boisson avec laquelle l’on s’enivre est significative d’une culture, aujourd’hui ou par le passé. Le binge drinking fondé sur la consommation rapide d’alcools forts n’a pas la même signification que l’ivresse mondaine à partir de grands crus. La question du seuil à partir duquel un buveur devient ivre est également soulevée. La possibilité de quantifier scientifiquement le volume d’alcool dans le sang est récente. Quels étaient jusqu’alors les seuils à partir desquels un buveur était considéré en état d’ivresse ? Lorsque la science ne permet pas de définir des seuils, qui la remplace ? Les autorités religieuses ? Les autorités politiques ? La société ? Quels volumes sont alors autorisés ? Et dans quelle mesure peut-on observer une certaine continuité des volumes autorisés de l’Antiquité à nos jours? Il faudra essayer, autant que faire se peut, de quantifier l’ivresse. Une démarche comparative permettra de clarifier les choses et de faire ressortir les caractéristiques de chaque période et de chaque aire culturelle.
2. La bonne ivresse. Pourquoi s’enivrer et comment le justifier ?
L’ivresse possède une dimension positive et négative. Dans quels cas s’agit-il d’une bonne ivresse ? Pourquoi l’ivresse est-elle parfois perçue positivement au fil de l’Histoire ? Il faudra se demander comment l’enivrement est justifié de l’Antiquité à aujourd’hui, en faisant ressortir les arguments culturels, sociaux, médicaux, religieux, politiques, économiques, psychologiques ou autres favorables à l’ivresse. Nous tenterons également d’établir des passerelles entre le passé et le présent. Par exemple, la capacité créatrice de l’ivresse (à l’origine de la tragédie et de la comédie grecques) est connue. Dans quelle mesure existe-t-il une continuité entre les auteurs de la Grèce antique et les artistes contemporains ? Comment et dans quelle mesure les auteurs et artistes se sont-ils emparés du sujet (de la littérature à la peinture, des chansons à boire à l’opéra, des représentations de Bacchus ivre à l’art moderne)?
3. L’opposition à l’ivresse : acteurs, discours et pratiques
Selon une périodisation variable, l’ivresse est également critiquée voire combattue. Dans quel cas un enivrement est-il considéré comme une mauvaise ivresse ? Quels sont les arguments avancés ? Il s’agira de souligner quelles autorités (religieuse, politique, juridique, médicale, sociale, morale, économique, etc.) mènent l’offensive contre l’ivresse. Le plus souvent, cette opposition n’est pas absolue. Certains lieux, certains moments, certaines catégories sociales et certaines boissons sont plus directement stigmatisés. Pour quelles raisons ? Il faudra aussi réfléchir aux réponses apportées à la question de l’ivresse. Quelles sont les solutions (politiques, religieuses, sociales…) et les remèdes proposés de l’Antiquité à nos jours ?
Dans la France du début du XVIIe siècle, deux solutions médicales étaient principalement proposées : attendre la dissipation naturelle des vapeurs enivrantes en laissant le buveur cuver, ou accélérer le rétablissement en purgeant l’enivré (vomissement, lavement, saignée). Des remèdes préservatifs à base de coriandre, d’huile d’olive ou de cendre de becs d’hirondelles étaient également envisagés. La question des solutions renvoie aux différences culturelles, de l’Antiquité à nos jours, de la théorie humorale hippocratique à la compréhension chimique des pathologies.
De quelle manière et selon quel rythme les discours et les pratiques de sobriété se diffusent-ils
dans le monde (campagnes de sensibilisation, groupes de pression, associations, règlementations de la commercialisation des boissons alcoolisées…) ? Il conviendra enfin de se demander dans quelle mesure ces différentes luttes contre l’enivrement ont été couronnées de succès. La loi n’est pas toujours conforme à la norme sociale, comme le soulignent par exemple l’édit de François Ier du 30 août 1536 criminalisant l’ivresse et de l’ivrognerie ou la loi du 1" février 1873 qui vise à « combattre les progrès de l'alcoolisme » et surtout à « réprimer l'ivresse publique ». La présentation des normes devra être reliée à la pratique : les mouvements d’opposition ne se terminent-ils pas le plus souvent par un compromis ?
4. Typologie de l’ivresse de l’Antiquité à nos jours
Toutes les contributions devraient permettre d’ébaucher une typologie de l’ivresse : selon les cas par âge, par sexe, par catégorie sociale, par religion, par boisson enivrante, par aire culturelle, par période historique. Cette typologie ne devra pas laisser de côté la question des représentations mentales. Quelle est l’image de l’enivré ? Dans quel cas est-il perçu comme étant un joyeux buveur et dans quel autre devient-il un irresponsable identifié à la lie de l’humanité ? Il s’agira de souligner les continuités et les ruptures entre les ivresses du passé et celles d’aujourd’hui. Quel est le lien entre le potos, ou beuverie réglée qui prend place à la fin des banquets grecs, et les « apéros facebook » de la jeunesse occidentale du XXIe siècle ? Quel est le rapport entre les enivrements sociabilisateurs des jeunes de l’époque moderne et le binge drinking ou le botellón espagnol ? Existe-t-il un lien entre « la culture de l’enivrement d’Ancien Régime » mise en évidence dans la France moderne et les cultures de l’ivresse des différentes aires culturelles ? La comparaison des résultats permettra de faire ressortir les caractères essentiels pour chaque période et chaque aire culturelle.
Les communications se feront en français ou en anglais.
Date limite de dépôt : 1er octobre 2013
Les propositions, comprenant un titre, un résumé de 1500 signes et un curriculum vitae, en français ou en anglais, sont à envoyer à l’adresse suivante :
- Isabelle BIANQUIS (Anthropologie, Université de Tours François-Rabelais)
- Thibaut BOULAY (Histoire ancienne, Université de Tours François-Rabelais)
- Marie CHOQUET (Psychologie INSERM, CHU Cochin, IREB)
- Patrice COUZIGOU (Hépato-gastro-entérologue, CHU Bordeaux, IREB)
- Matthieu LECOUTRE (Histoire moderne, Université de Tours François-Rabelais/Université de
Bourgogne)
- Véronique NAHOUM-GRAPPE (Anthropologie, EHESS, IREB)
- Didier NOURRISSON (Histoire contemporaine, Lyon1, IREB)
- Florent QUELLIER (Histoire moderne, Université de Tours François-Rabelais)
Ce colloque international organisé conjointement par L’Équipe Alimentation (EA 6294-LÉA) de l’université de Tours François-Rabelais et par l’Institut de recherches scientifiques sur les boissons (IREB), se déroulera à Tours les 20 et 21 novembre 2014.
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