lundi 8 octobre 2012

Médecins et médecines imaginaires

C’est grave, docteur?

Médecins et médecines imaginaires

Colloque annuel du Centre de recherche interuniversitaire en sociocritique des textes
     Université du Québec à Montréal
               25 et 26 avril 2013


« Quand tous mes ennemis particuliers seront morts, les médecins [...] vivront encore. »
Jean-Jacques Rousseau


Qui voudrait goûter à la médecine de Victor Frankenstein? Au bistouri de Charles Bovary? Confier son corps au scalpel d’Hannibal Lecter ou aux forceps du docteur Slop, le « man-midwife » de Tristam Shandy? Que deviendrait le serment d’Hippocrate redéfini par Diafoirus et Dr. No? Si la fiction, selon la définition de J. G. Ballard, consiste à tester des hypothèses extrêmes, combien d’oeuvres littéraires (ou cinématographiques ou télévisuelles) ne pourraient être interprétées comme autant d’expériences visant à éprouver le fameux axiome de M. Smith, qui proférait dans La Cantatrice chauve qu’« [u]n médecin consciencieux doit mourir avec le malade s’ils ne peuvent pas guérir ensemble »?

Maléfiques, incompétents, grotesques, fourbes ou sublimement dévoués, figures christiques ou véritables dangers publics, les personnages de médecins sont si nombreux qu’on serait tenté de promettre, pour pasticher le (bien réel) docteur Gaétan Barrette, qu’on aura sous peu « un médecin par livre ». Du Rondibilis de Rabelais au Docteur Ventouse, bobologue de Claire Brétécher, cliniciens imaginaires et autres toubibs de papier n’ont cessé d’ausculter le grand corps social et d’émettre des pronostics plus ou moins rassurants sur l’avenir du genre humain. Truchements de nos rêves, tel le Bordeu de Diderot, témoins de nos errances (Rieux dans La Peste, Bardamu dans Voyage au bout de la nuit) ou grands fabulateurs se payant la fiole de leurs concitoyens (Knock, de Jules Romains), ils se contentent rarement de juger l’état du malade : ils prennent le pouls du monde, du leur comme du nôtre. C’est à ce titre qu’ils intéressent particulièrement la sociocritique. Le cinquième colloque annuel du CRIST leur sera consacré.

Que signifie, pour une société donnée, l’intervention d’un médecin au sein d’un dispositif textuel? Grâce à quels savoirs (scientifiques, occultes, juridiques), à quelles accointances idéologiques (avec le prêtre, le politicien, le marchand, le notaire, l’artiste, le juge, le policier) les médecins se sont-ils imposés au fil des siècles comme figures privilégiées pour penser le rapport entre texte et imaginaire social? À la suite d’Henry Fielding, qui observait que « chaque médecin a sa maladie favorite » (Tom Jones), on se demandera quels états pathologiques, quels malaises attirent de préférence l’attention des praticiens fictifs. Quelles peurs collectives permettent-ils de canaliser? Quelles tensions, à l’intérieur de la semiosis sociale, leur présence dans les textes (ou à l’écran) parvient-elle à cristalliser?

Grands sémioticiens des corps, les médecins entretiennent avec les signes et les mots un rapport complexe, au sujet duquel il y aura lieu de s’interroger. Si leur « pompeux galimatias » (L’Amour médecin) conforte à l’occasion les malades – du moins ceux qui attendent d’eux, plus encore que de guérir, d’entendre nommer ce dont ils souffrent–, leur jargon fut aussi de tout temps un objet de moqueries. L’auteur d’un fameux quatrain le rappelle au sujet du dottore Balanzone de la commedia dell’arte : « Quand le docteur parle, l’on doute / Si c’est latin ou bas breton ». Ce savant baragouin, il leur arrive pourtant de le manipuler en habiles rhéteurs ou en fins poètes. Qui pourrait rester insensible aux sophistications lexicales d’un Knock (« Ne confondons pas : est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous grattouille? »), comme aux images qu’il invente pour expliquer à une patiente la cause de ses insomnies (« Représentez-vous un crabe, ou un poulpe, ou une gigantesque araignée en train de vous grignoter, de vous suçoter et de vous déchiqueter doucement la cervelle »)? Qui n’a jamais cherché à déchiffrer une ordonnance sans se demander jusqu’où l’on pouvait pousser l’étude de la calligraphie? Y a-t-il une profession qui ait davantage contribué que la leur à perfectionner l’art de la litote? Une maxime des Aventures potagères du Concombre masqué de Nikita Mandryka, affichée au-dessus de la maison d’un célébrissime médecin, indique à quelles extrémités leurs raffinements langagiers peuvent parfois les mener : « Docteur Freud. Voit tout, sait tout (mais n’en dit mot) ».
On se penchera en outre sur les contours imprécis de cette figure polymorphe, propre à cumuler les fonctions les plus diverses. On se demandera, par exemple, à la faveur de quelles discordances politiques, chez Ionesco, « monsieur le médecin du roi » peut être tout à la fois « chirurgien, bactériologue, bourreau et astrologue de la cour ». Comment se définit le médecin, dans les textes, par rapport à ses avatars, voire à ses adversaires déclarés : la sage-femme, l’apothicaire, le thérapeute, l’infirmière, le confesseur, le charlatan? On ne laissera dans l’ombre ni les médecins qui s’ignorent (du fabliau « Le Vilain Mire » à « Mademoiselle Bistouri » de Baudelaire) ni les médecins salaces (« Le Médecin de mamie » de Ronsard, « Dr. Love » de Kiss, Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick). On pourra suivre leurs traces à travers romans, poèmes, pièces de théâtre, bandes dessinées, films, peintures, chansons (qui n’a jamais appelé à son chevet le peu orthodoxe « Doctor Robert » des Beatles?), sans oublier la pléthore de séries télévisuelles qui leur a été consacrée (Dr. House, Urgences, Grey’s Anatomy, Dr. Quinn, Marcus Welby, Doctor Who…). On ne négligera pas non plus les représentations des actes (diagnostics, auscultations) et de leurs conséquences (guérison, aggravation, mort, résurrection). On cherchera à savoir ce que peuvent ces innombrables médecins fictifs, anamorphoses ou calques de ceux que nous présente la semiosis sociale, grands médiateurs entre la vie et la mort, figures éclatées devant composer avec la raison comme avec la folie, avec les corps réels comme avec les théories.

De manière à inscrire cette enquête dans le cadre plus vaste d’une sociocritique de l’imaginaire médical et, plus largement, scientifique, nous accepterons également des propositions de communication portant sur des textes (ou sur des images) où les médecins brillent par leur absence, là où d’autres (sorciers, guérisseurs, voisins de palier, champions de l'automédication) s’attribuent les rôles qui normalement leur échoient (soigner, diagnostiquer, guérir, etc.).


Les propositions de communication (une quinzaine de lignes) doivent être envoyées à Jean-François Chassay (chassay.jean-francois@uqam.ca) ou à Geneviève Lafrance (lafrance.genevieve@uqam.ca) avant le 15 décembre 2012.

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