mercredi 19 mai 2021

Pour une histoire décentrée des Plannings familiaux

Pour une histoire décentrée des Plannings familiaux : état des lieux documentaire et historiographique


Appel à communication pour une journée d’études 

 

Dates : mercredi 15 et jeudi 16 septembre 2021
L’événement se tiendra exclusivement en visioconférence.
 

Organisatrices:
Irène Favier (LARHRA/UGA): irene.favier@univ-grenoble-alpes.fr
Amélie Nuq (LARHRA/UGA): amelie.nuq@univ-grenoble-alpes.fr
 


Il y a soixante ans ouvrait la première permanence du Planning familial en France, sur la place de l’Etoile à Grenoble. Au sein de l’association iséroise, la demande sociale est aujourd’hui forte pour mieux connaître la genèse et les débuts du mouvement, et pour entendre une histoire à parts plus égales. Il s’agit d’une part d’éclairer le rôle des militant.es anonymes et de proposer d’autre part un récit plus « râpeux », laissant une place aux dissensions et aux conflits. C’est dans cette perspective que Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel ont placé leur « histoire des féminismes de 1789 à nos jours » : la notion de « nébuleuses contestataires féministes », qu’elles mobilisent, recouvre des choix politiques et stratégiques, des sensibilités politiques, identitaires, culturelles et des enjeux sociaux hétérogènes, qui sont tant la traduction de dissensus que de forces de convergences permettant de forger un mouvement social et politique autour de grandes causes communes (Pavard, Rochefort, Zancarini-Fournel, 2020, p. 7). Le 60ème anniversaire du « Planning » de Grenoble est l’occasion, 15 ans après la tenue du colloque du 8 mars 2006 qui avait marqué les 50 ans de la naissance de la Maternité heureuse, de faire un état des lieux historiographique et documentaire sur un mouvement occupant une place particulière au sein des féminismes et, plus largement, de la société française.

En 2006 justement, Christine Bard appelait de ses voeux un colloque sur les Plannings départementaux et régionaux (Bard, 2006, p.12). Elle déplorait alors que les recherches fussent trop nationales et pas assez comparatives, prenant trop peu en compte la diversité régionale et ne reliant pas assez le Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) à son environnement, à ses partenaires institutionnels notamment. D’un point de vue documentaire, elle estimait qu’on était alors au milieu du gué. Certes, on connaissait les archives rassemblées au siège du Planning, dans le 11ème arrondissement de Paris, les fonds Simone Iff et Catherine Valabrègue conservés à la Bibliothèque Marguerite Durand ou la documentation qu’hébergeait le Centre des archives du féminisme à Angers. Mais aujourd’hui encore, il n’existe pas d’inventaire des sources relatives aux liens avec l’International Planned Parenthood Federation (IPPF) ou des archives locales, si tant est que celles-ci aient partout été conservées. L’écriture de l’histoire du Planning et des Plannings oblige ainsi à poursuivre l’« incessante quête des sources », bien connue de l’histoire des femmes et du genre (Ripa, 2020, p.728). Mais la présente journée d’études s’inscrit aussi dans le chemin tracé, depuis le début des années 2010, par les études qui déplacent l’histoire des idées féministes vers l’histoire de celles et ceux qui les ont portées en cartographiant les différents espaces géographiques et temporels, ainsi que les différents courants qui ont fait et font le féminisme (cf Bard et Chaperon, 2017). Il s’agit ainsi de déplacer la focale vers des mouvements locaux, l’historiographie de l’histoire du féminisme ayant longtemps été « parisiano-centrée ». 

Cette journée d’études vise ainsi à interroger l’histoire des Plannings familiaux dans leurs diverses échelles et leurs réseaux. Le cas grenoblois invite à cette approche géo-historique, notamment à travers la rivalité nouée entre la ville et Paris. Au début des années 1960, les tournées réalisées depuis le « national » sont mal perçues à Grenoble, qui répond par une « Lettre des arriérées de province ». Le collectif grenoblois semble en effet posséder une capacité d’influer sur l’agenda politique national. Par exemple, on forme à Grenoble à la méthode Karman, une méthode d’avortement par aspiration, et non dans le seul appartement parisien de Delphine Seyrig. Grenoble devient aussi la caisse de résonance d’affaires qui prennent rapidement une ampleur nationale (cf Annie Ferrey-Martin). Trompeuse, cette rivalité tend à éclipser tout un tissu de relations inter-régionales nouées entre les Planning nationaux, où les militantes s’observent, correspondent, circulent. L’analyse gagne aussi à prendre en compte d’autres espaces : dans l’agglomération grenobloise, plusieurs centres de planification sont créés, qui développent des formes d’action originale. Ainsi à Saint-Egrève est mise en place, sous l’impulsion de Claude Cros, puéricultrice de formation, une action centrée sur la parentalité qui est déjugée depuis la « maison-mère » de Grenoble, où l’intimité familiale des militant.es reste volontairement non interrogée. Les réseaux comptent aussi, tant les engagements additionnels - politiques (Gauche prolétarienne, Parti socialiste, Les Verts), religieux (protestantisme, catholicisme) ou associatifs (MLAC, GIS) - semblent avoir influé sur la trajectoire des actrices.eurs.

Selon ces prismes (multiscalaire, interscalaire et réticulaire), la journée d’étude souhaiterait accueillir des communications portant à la fois sur les Planning familiaux, sur des structures investies dans les questions sexuelles et reproductives (telles qu’AIDES, par exemple), mais aussi sur d’autres structures associatives. La JE s’organise en effet avec le soutien de l’Institut français du monde associatif (IFMA)1, dont les objets invitent à la comparaison.

Dans un deuxième temps, cette manifestation scientifique souhaite ouvrir la discussion à un état des lieux documentaire, les perspectives historiographies précédemment mentionnées requérant une appréciation de la faisabilité de certaines études. Déjà entamée lors d’un colloque international tenu à Angers en 20182, la constitution d’un aperçu des sources disponibles selon une focale plus resserrée sur les échelles locales apparaît nécessaire. Cette journée d’études est dès lors ouverte à des communications issues de professionnel.les des archives, de la documentation et de la muséographie.


Dans cette double perspective, scientifique et documentaire, la journée d’études souhaiterait aborder les thèmes suivants :


Cartographie de l’action des Plannings familiaux locaux…et de leurs angles morts

La mise en regard d’études à plus grandes échelles sur les Plannings familiaux vise à produire un début de cartographie (métropolitaine a priori à ce stade, mais d’autre propositions seront bienvenues) de leurs actions. Elle a aussi pour but de s’interroger sur les angles morts, autrement dit sur les territoires marqués par le phénomène de non-recours : certaines régions sont peut-être sous-représentées, les territoires ruraux étant moins « couverts » par l’action de certains Plannings faute de moyens.


A qui rend-on des comptes ? Financeurs et interlocuteurs institutionnels

Les communications pourront porter sur les modes de financement des Plannings, les  stratégies de négociation et les éventuels frottements qu’ils impliquent avec le tissu politique local. Elles pourront également mettre en lumière les modes d’engagement, bénévole ou salarié, des militant.es des Plannings, et les débats auxquels ces modèles ont pu donner lieu.


Rivalités, complémentarités : jeux d’échelles

Certain.es militant.es ont pu trouver dans les divers niveaux géographiques qu’offraient le MFPF une ressource ; d’autres une source d’antagonisme ou de controverse quant aux modèles et stratégies à suivre. Les communications pourront examiner l’articulation entre ces diverses échelles, qu’elle soit propice à tension ou bénéfique aux acteur.rices concerné.es.


Petites mains et grandes figures

L’échelle individuelle est une focale que la JE aimerait aborder avec attention, tant une des implications de l’enrichissement multi scalaire de l’approche par le national consiste en la survenue dans le récit d’acteur.rices et de points de vue peut-être moins connus. Quelle polyphonie, quelles dissonances la prise en compte d’acteur.rices locaux suscite-t-elle?


Données personnelles recueillies lors des enquêtes : quel régime juridique? Quelles procédures en vigueur ?

L’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD) en 2018 est venu renforcer l’attention des chercheur.ses quant aux modalités du recueil et au maniement des données personnelles produites lors des enquêtes, ethnographiques comme archivistiques. De quelles ressources les chercheur.ses ont-ils/elles pu bénéficier dans leurs diverses institutions de rattachement ? Quels protocoles ont-ils/elles mis en oeuvre afin d’offrir des garanties aux interrogé.es tout en s’inscrivant de façon cohérente dans leurs lignes scientifiques ?


Stockage et conservation des sources : quels choix locaux?

Les Planning conservent-ils leurs archives ? Si oui, sous quelles modalités ? Vers quelles institutions partenaires se tournent-ils pour mener à bien ce travail ? Qu’en attendent-ils, en termes patrimoniaux comme scientifiques ?


Diffusion et valorisation : quelle muséographie pour les questions sexuelles et reproductives ?

Les communications pourront enfin aborder des expériences - finalisées ou en cours, menées à bien ou inachevées - de mise en valeur et de présentation au public d’objets et/ou sources relatifs aux questions sexuelles et reproductives. Comment et par quels biais raconter visuellement et à l’oral cette histoire ?


Les propositions de communication pourront provenir de disciplines telles que l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, la géographie, la muséographie, les archives. Elles seront envoyées au plus tard le lundi 14 juin 2021 aux organisatrices sous la forme de courts textes de 500 mots maximum, accompagnés d’une courte présentation de l’auteur.e.


Bibliographie :
BARD Christine, DIZIER-METZ Annie, NEVEU Valérie et FAU-VINCENTI Véronique, Guide des
sources de l’histoire du féminisme : de la Révolution française à nos jours, Rennes, France, Presses universitaires de Rennes, 2006, 442 p.
BARD Christine (ed.), Dictionnaire des féministes : France, XVIIIe-XXIe siècle, Paris, PUF, 2017,
1700 p.
BARD Christine, CENTRE DE RECHERCHES HISTORIQUES DE L’OUEST, CENTRE D’HISTOIRE DE SCIENCES PO et ASSOCIATION ARCHIVES DU FEMINISME, Les féministes de la deuxième vague [colloque « Les féministes de la 2e vague, actrices du changement social », Maison des sciences humaines-Confluences, Université d’Angers, 20-22 mai 2010, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, 260 p.
BLANC-TAILLEUR Marion, A la recherche d’un profil associatif original : quelques spécificités du planning familial de Grenoble (1975-2000), Université Pierre-Mendès-France, Grenoble, 2005, 140 p.
BLANC-TAILLEUR Marion, Le planning familial à travers l’exemple de Grenoble, de la loi Neuwirth à la loi Veil (1967-1975), Université Pierre-Mendès-France, Grenoble, 2004, 201 p.
CHAPERON Sylvie, Les années Beauvoir : 1945-1970, Paris, Fayard, 2000.
CHAPERON Sylvie, ROUCH Marine et ZELLER Justine, « Introduction au dossier : Les années 1968,
la décennie féministe et homosexuelle en région », Les Cahiers de Framespa. Nouveaux champs de l’histoire sociale, 1 novembre 2018, no 29.
CONTAMIN Jean-Gabriel et DELACROIX Roland, « Les transformations des formes d’engagement
au prisme du local », Politix, 30 mars 2009, n° 85, no 1, p. 81-104.
CREMEL Sophie et SPINELLA Rose, Le Planning Familial et le féminisme à Grenoble : ou la lutte des femmes des années soixante aux années quatre-vingt, IEP Grenoble, Grenoble, 1988, 98 p.
DEVREUX Anne-Marie, « De la dissuasion à la normalisation. Le rôle des conseillères dans
l’entretien pré-IVG - Persée », Revue française de sociologie, 1982, no 23-3, p. 455-471.
FILLIEULE Olivier, BEROUD Sophie, MASCLET Camille et SOMMIER Isabelle, Changer le monde,
changer sa vie : enquête sur les militantes et les militants des années 1968 en France, Arles, Actes Sud, 2018, 1118 p.
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reproduire la norme de genre au nom de la subversion ? », Cahiers du Genre, 5 décembre 2013, n° 55, no 2, p. 89-108.
FRIEDMANN Isabelle Éditeur scientifique, MOSSUZ-LAVAU Janine et MOUVEMENT FRANÇAIS
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GIACINTI Margot, Le Planning Familial de Grenoble (1960-1972) : genèse d’une lutte féministe dans
l’illégalité, IEP Lyon, Lyon, 2016, 219 p.
GIRAUD Pierre-François, Un nouveau regard sur le planning : l’association vauclusienne de planning familial : 1962-1986, Mémoire de maîtrise, Université d’Avignon, 2001.
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JABOULEY Esther, La création du PF à Lyon, Mémoire de maîtrise, Lyon 2, 1997.
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