vendredi 25 octobre 2019

Dévaluations et contestations des savoirs légitimes

Dévaluations et contestations des savoirs légitimes


Appel à communications



Colloque organisé par le Centre Européen de Sociologie et de Science Politique (CESSP)
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne – Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

10-11 juin 2020

Les savoirs consacrés et les institutions qui les produisent et les diffusent voient actuellement leur légitimité contestée. Par exemple, dans le domaine de la santé, la médecine dite « conventionnelle » fait l’objet de critiques de la part de mouvements l’accusant de minimiser la dangerosité de ses pratiques (à l’image des mobilisations anti-vaccins) et des partisans d’autres techniques de soin (comme la naturopathie, l’aromathérapie, etc.) (e.g. Smith et Graham 2019). Dans le secteur du journalisme, les médias dits « traditionnels » voient la remise en cause de leur partialité (Bourdieu, 1996; Champagne, 2016) décuplée par la multiplication de canaux d’information alternatifs, supports de la diffusion massive de contenus – amateurs comme professionnels – critiques des arènes médiatiques dominantes (Badouard 2017 ; Ferron 2006). Dans la sphère scientifique, certaines disciplines comme les sciences du climat, les études de genre (Massei 2017) ou la sociologie voient leurs conclusions contestées au motif de leurs biais idéologiques supposés. Parallèlement, le renforcement récent de l’injonction à l’interdisciplinarité (Gingras et Heilbron 2016), les pressions croissantes à voir les connaissances scientifiques validées par un « impact » médiatique important (Flinders 2013) et la multiplication des revues et des conférences aux procédures d’évaluation plus ou moins rigoureuses (Beal 2012) complexifient le paysage scientifique et brouillent la frontière entre les savoirs validés par les pairs et ceux qui passent pour tel. La mode des « canulars » scientifiques rend d’ailleurs visibles certaines failles des savoirs à prétention scientifique en les tournant en dérision.

Les travaux existants tendent à étudier ces évolutions de manière sectorielle. Ce faisant, ils s’approprient fréquemment les grilles de lecture des acteurs de ces secteurs. Par exemple, les études des changements survenus dans le domaine de la médecine analysent souvent ceux-ci en termes de risques posés pour la santé publique par la diffusion des attitudes de « résistances » aux pratiques traditionnelles (e.g. Setbon et Raude 2010). De la même manière, les recherches sur les évolutions du secteur du journalisme se focalisent sur les logiques de diffusion des « infox » et sur les effets qu’elles peuvent avoir sur la vie démocratique (e.g. Allcott et Gentzkow 2017). Il en va de même pour le climato-scepticisme, fréquemment étudié sous l’angle de sa diffusion et des méthodes qui peuvent être déployées pour la limiter (e.g. Bain et al. 2012). Ainsi, d’un point de vue normatif, ces phénomènes sont majoritairement lus, dans les publications scientifiques comme dans le débat public, comme des pathologies qu’il faudrait contenir et guérir.

La sectorisation des travaux et leur reprise des grilles de lecture indigènes font écran à la construction de savoirs distanciés. Le pari de cette journée d’étude est qu’en dépit de leurs différences empiriques, ces multiples évolutions peuvent être analysées de concert pour mettre au jour les ressorts d’un processus commun : la dépréciation de la valeur des savoirs légitimes et des institutions qui les produisent. Il ne s’agit pas ici de questionner uniquement la fluctuation de la valeur des savoirs et les luttes dont ils font l’objet. Celles-ci sont depuis longtemps ce qui se joue dans les révolutions scientifiques (Kuhn 1962) et l’émergence des avant-gardes intellectuelles (Brun 2014), par exemple. De même, il ne s’agit pas de limiter l’analyse au fait que des organisations puissent naître ou décliner en lien avec la fortune de certaines connaissances. Ceci est également un phénomène connu – ainsi, par exemple, de laboratoires (Bontems et Gingras 2007) ou d’organisations professionnelles scientifiques (Boncourt 2015). Enfin, il ne s’agit pas de constater simplement la porosité relative des champs de production de connaissance, dont témoigne depuis longtemps le travail de professionnels qualifiés (juristes, économistes, biologistes, etc.) au sein d’entreprises privées. Il s’agit bien, en revanche, de questionner ce qui se joue dans la dérégulation et la remise en cause de l’autorité des grandes institutions qui, traditionnellement, jouent un rôle de consécration et de diffusion des savoirs dans les sociétés contemporaines – telles les sciences ou le journalisme. 

Les différentes formes de la dévaluation et de la contestation des savoirs légitimes semblent mettre en jeu des dynamiques similaires qui constituent autant d’axes de réflexion pour les propositions de communication : 

1) La première, chronologiquement, est celle des conditions et des modalités d’émergence de ces processus. Peut-on, d’une part, analyser ces processus comme les produits de stratégies individuelles ? Le cas échéant, a-t-on affaire à des stratégies motivées par des objectifs d’ordre intellectuel (promouvoir telle ou telle idée), économique (accumuler des ressources matérielles) ou autre ? Quelles sont, d’autre part, les configurations sociales qui créent les conditions de ces processus ? Les institutions existantes sont-elles dans un état de faiblesse particulier ? Les rapports de forces matériels et symboliques préalables sont-ils en train d’évoluer ? Des idées particulières sont-elles en voie de diffusion ? Quels sont les rôles du néolibéralisme, du nouveau management public et de la montée en puissance des logiques de marché ?

2) La deuxième est celle des répertoires d’action. Comment se mobilise-t-on pour promouvoir des discours ou des modes de consécration « alternatifs » ? Quels rôles jouent les nouvelles formes de communication – au premier rang desquelles les réseaux sociaux – aux côtés d’autres modalités d’action (création de structures organisationnelles, lobbying, recours au droit, etc.) ? En miroir, comment les institutions jusqu’alors dominantes réagissent-elles pour réaffirmer leur autorité ?

3) La troisième est celle des ressources mises en jeu dans ces luttes pour la production des discours légitimes. D’une part, sur quelles ressources économiques, sociales, organisationnelles et financières les mobilisations s’appuient-elles (McCright et Dunlap 2011) ? Quels sont les flux financiers qui sous-tendent les fluctuations de la valeur des connaissances ? Comment analyser, en d’autres termes, l’économie politique de ces transformations des champs – ou des marchés – de production des savoirs ? D’autre part, sur le plan symbolique, quels sont les registres de légitimation qui sont mobilisés dans ces processus ? Comment analyser l’usage tour à tour stigmatisant ou valorisant de certains labels (« complot », « alternatif », « oublié », etc.) et figures tutélaires (proximité au « peuple », aux « racines », à la « nature », etc.) ?

4) Il s’agit enfin de comprendre, en dernière analyse, quels sont les effets de ces processus sur les hiérarchies qui structurent les champs de production des savoirs. Au niveau individuel, comment est construite la (perte de) valeur d’un discours, d’une théorie, d’une œuvre ? Par quels mécanismes acquiert-on, ou perd-on, l’autorité nécessaire pour parler et être audible (Comby 2015) ? Qu’est-ce qui fait la valeur d’un discours et de son locuteur ? Au niveau structurel, comment évolue la (dé)régulation des champs de production de connaissances et des champs professionnels qui leur sont associés ? Les logiques de consécration se transforment-elles et, si oui, comment ? Observe-t-on des malentendus, ou au contraire des consensus, sur la valeur des produits intellectuels en circulation ?

Les propositions de communication (300 à 500 mots) peuvent être envoyées à l’adresse colloquecessp2020@gmail.com jusqu’au 15 décembre 2019. Elles s’ancreront dans un matériau empirique. Elles pourront porter sur des terrains sectoriels et nationaux variés et reposer sur divers types de méthodes. Elles pourront aussi prendre pour objet des cas historiques entrant en résonance avec les évolutions contemporaines, à l’image par exemple des critiques émises par la sociologie marxiste dans les années 1970 à l’encontre des formes d’autorité acquises par les professionnels de la production des savoirs (Sapiro 2019). Le colloque vise la production d’une publication collective.

Calendrier
Date limite de proposition de communication : 15 décembre 2019.
• Notifications d’acceptation : janvier 2020.
• Envoi des contributions : mai 2020.
• Colloque : 10 et 11 juin 2020

Comité d’organisation

Antoine Aubert, Thibaud Boncourt, Jean-Michel Chahsiche, Quentin Fondu, Claire Ruffio, Arnaud Saint-Martin, Gisèle Sapiro.

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