lundi 26 mars 2018

Corps et pouvoir

Corps et pouvoir

Appel à communications

Colloque international et interdisciplinaire jeunes chercheurs du laboratoire Littératures, Imaginaire, Sociétés (LIS)

11-12 octobre 2018

Université de Lorraine – Nancy

Dans notre société contemporaine, le pouvoir semble très souvent se désincarner : les individus peuvent aujourd’hui ordonner, débattre, ergoter ou s’insurger par des biais plus modernes, notamment ceux induits par la diversité actuelle des médias, sans bouger autre chose que leurs dix doigts. Comment penser alors le corps comme un outil de pouvoir, et faire de lui un moyen d’empowerment ou de pérennisation de son autorité ?

Se poser la question, c’est oublier que le corps est non seulement porteur d’un imaginaire ancien qui nourrit aujourd’hui encore les productions culturelles, les fantasmes et les représentations sociétales, mais également qu’il reste un fort outil d’asservissement comme de transgression, particulièrement dans un contexte où l’on attire l’attention sur les violences sexuelles et médicales, où l’on interroge les représentations liées au genre et où on tâche de bannir la brutalité de nos habitudes éducatives et de nos méthodes de transmission.

En dépit de progrès manifestes par rapport aux périodes dont parle Michel Foucault dans Surveiller et punir, l’asservissement des corps reste au cœur des enjeux de pouvoir contemporains : les lieux comme les prisons ou les hôpitaux psychiatriques – réels ou représentés dans la fiction – dont la fonction première est bien l’enfermement dans un environnement où pudeur, hygiène et liberté corporelle sont entravées, semblent être des instruments de contrôle qui filtrent la population et séparent les « aptes » des « inaptes » à la société telle que l’envisagent les dirigeants de ce monde. Par ailleurs, le capitalisme emploie les corps tous les jours, soit par l'usage des individus dans une optique de production qui tient plus de l’ordre de la machine que de l’humain, soit pour en faire des arguments de vente quand des femmes ou, plus récemment, des hommes érotisés ornent les publicités pour vendre tous types de biens. Dans un autre registre encore, les injonctions à la féminité, à la virilité, à la minceur, à la jeunesse, etc. sont aussi une manière de s’assurer que le monde se conforme au mieux à une vision normée de l’humain idéal.

Mais les corps sont aussi, à l’inverse, les instruments premiers de la rébellion. Quand les masses se soulèvent, elles le font le plus souvent dans l’action, voire dans la violence physique. Occupation de l’espace, révoltes brutales et affrontements au corps à corps ne sont pas tombés en désuétude, à la vie comme à la scène, à l’écran comme dans la littérature : il suffit, pour s’en convaincre, de regarder tant les contestataires de “Nuit Debout” que les insurgés de Mad Max : Fury Road (2015) ou la vengeance plus personnelle de Black Mamba contre une figure d’autorité paternaliste dans Kill Bill (2003 et 2004). Par ailleurs, la corporéité sert parfois une posture à la fois personnelle et politisée quand elle est utilisée pour rejeter les injonctions et s’afficher alors en dehors des normes : body-postivism, apparence queer ou bi-genrée, refus des standards de la beauté féminine, etc.

Ce colloque se propose ainsi d’interroger les relations entre corps et enjeux de pouvoirs au sein des productions culturelles, mais également la manière dont celles-ci reflètent les représentations de la société dont elle est issue. En ce sens, les propositions d’intervention pourront être dirigées selon les trois axes suivants. Ces axes ne sont cependant pas exclusifs et tout•e intervenant•e est invité•e à proposer d’autres pistes de réflexion qu’elle/il juge pertinentes à mettre en lien avec notre sujet.

Le corps comme outil de dialogue et de conflit
Gouvernants et gouvernés usent souvent du corps comme moyen implicite de dialoguer. L’idée de gouvernant recouvre évidemment des réalités diverses : si les rois de jadis infligeaient des sévices physiques pour asseoir leur pouvoir, l’autorité peut également prendre d’autres formes : médecins qui abusent de leur statut pour imposer au corps d’autrui un traitement non consenti, comme dans les services psychiatriques du récent 12 jours de Raymond Depardon (2017), ou encore parents qui utilisent la punition physique comme moyen d’apprentissage comme le père tyrannique de Tree of life (2011).

Les dominants peuvent également vouloir non pas asservir ou contrôler mais plutôt exploiter : l’autre est alors traité en animal, voire en rouage d’une machine bien huilée mise au service des puissants, telle la population ouvrière et maltraitée du dernier wagon du Snowpiercer (2013).

Bien sûr, la problématique existe tout autant du côté des gouvernés, preuve en est – parmi d’autres – des blocus et émeutes qui nourrissent bien souvent les univers fictionnels dystopiques comme Hunger Games (2008-2010), ou du fantasme de « l’élu » qui optimise ses facultés au combat pour affronter les figures dominantes – on pense alors à Neo de Matrix (1999-2003)

Le corps en réaction aux injonctions sociales
Le corps est également au cœur de la relation entre oppresseurs et opprimés. Les injonctions sociales sont en effet souvent implicites, à la fois non formulées et profondément ancrées dans les normes et repères de notre société. Les personnes – et personnages – sont alors soit dans l’acceptation soit dans le rejet de ces normes

L’obédience peut bien se vivre : les héroïnes usent du charme qu’on leur demande d’avoir pour tromper l’adversaire, les héros se complaisent dans leur rôle de gros bras – la bande d’Expandables (2010) peut en témoigner. Certains se prêtent volontiers à des transformations corporelles qui se font rite d’appartenance sociale : tatouages, scarification… L’acceptation peut être, au contraire, une forme d’abnégation ou de sacrifice, notamment lorsqu’on intègre les normes physiques au point d’en arriver à un dégoût de soi, les causes possibles étant nombreuses : menstrues, vieillissement, poids, handicap, couleur de peau…

Il est également intéressant de réfléchir à la manière dont les injonctions peuvent être intégrées de manière inconsciente, renvoyant alors à l’hexis corporelle théorisée par Bourdieu ou aux techniques du corps de Mauss. Il y a là matière à étudier la manière machinale dont les clivages inhérents aux rapports de domination s’illustrent parfois dans les attitudes corporelles.

A l’inverse, certains transgressent les injonctions par de multiples biais : performances artistiques, mise en scène atypique de la nudité ou de l’érotisme, ou encore brouillage culturel et normatif du genre ou des standards physiques à travers le body-transform, la chirurgie ou le non-binarisme. L’émergence des représentations de la transsexualité – les séries Orange is the New Black (2013) ou Sense8 (2015) s’en font exemples - sont un des indices du rejet de l’hégémonie corporelle et de revendication du droit à la différence.

Le corps associé au pouvoir de l’esprit
Le corps se fait aussi matériau d’un dialogue intime et personnel. Ce peut être alors entre lui et l’esprit une alliance ou au contraire un affrontement.

Le (devrait-on dire les ?) personnage de Split (2017) change non seulement de style vestimentaire mais aussi de postures physiques en fonction des identités qu’il revêt, montrant ainsi comment le corps se soumet aux prescriptions de l’esprit.

Parfois, c’est le corps qui semble trahir les valeurs de l’esprit, et pousse à commettre des actions que le mental abhorre, tel un membre incontrôlable et tueur dans La Main qui tue (1998) ou Evil Dead II (1987).

Une transformation physique, bien réelle ou fantasmée, peut aussi marcher en collaboration avec un état psychologique : la somatisation traduit nos méandres psychiques – une idée mise au sens propre dans le film Chromosome 3 (1979) où une thérapie transforme les névroses en symptômes physiques – autant que les symptômes se font avertissements. Les hallucinations sont vecteurs de soulagement ou de courage ; les projections mentales d’un corps possible peuvent nous pousser à concrétiser, même inconsciemment, nos envies ou combats, quitte à imaginer alors des Tyler Durden fondant le Fight Club (1999).

Modalités de participation 
Interdisciplinaire, ce colloque accueillera les jeunes chercheurs en Lettres, Arts, Sciences humaines et sociales. Les propositions de communication (titre et résumé de 300 mots, accompagnés d’une courte notice biobibliographique) devront être envisagées pour une communication de vingt minutes et seront à soumettre au comité organisateur (jeuneschercheurslis2018@gmail.com) avant le 31 mai 2018.

Pistes bibliographiques
Bernard, Michel, Le Corps, Paris, Seuil, 1995.
Bourdieu Pierre, La Domination masculine, Paris, Seuil, 1998.
Boutang Adrienne, « Todd Solondz et le problème du voyeurisme : montrez ces corps que je ne saurais voir ! », Corps, 2011/1, no 9, “Corps et sciences sociales ; Corps de cinéma”, Paris, CNRS, p. 208-216.
Butler Judith, Gender Trouble, Londres, Routhledge Kegan & Paul, 1990.
Fraisse Geneviève, Les Excès du genre, Paris, Lignes, 2014.
Foucault Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.
Héritier Françoise, Masculin-Féminin, Paris, Odile Jacob, 2007.
Jullier Laurent, « Un corps de cinéma. Comme les autres et comme aucun autre », avant-propos au dossier « Un corps de cinéma », B. Andrieu & L. Jullier dir., in Corps, 2011/1, no 9, “Corps et sciences sociales ; Corps de cinéma”, Paris, CNRS.
Lahaye Marie-Hélène, Accouchement : les femmes méritent mieux, Paris, Michalon, 2018.
Mauss Marcel, « Les Techniques du corps », Journal de Psychologie, vol. XXXII, no 3-4, 15 mars-15 avril 1936.
Moisseeff Marika « La Procréation dans les mythes contemporains : une histoire de science-fiction », Anthropologie et sociétés, no 29 (2), 2005, p. 69-94.
Paveau Marie-Anne, Le Discours pornographique, Paris, La Musardine, 2014.

Organisatrice de l'événement
Zimmermann Camille

Comité scientifique
Bauer Marie-Hélène
Boissonneau Mélanie
Boutang Adrienne
Groetzinger Lucie
Labrude Guillaume
Lehmann Apolline
Mess Lilia
Zimmermann Camille

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