Appel à communications
1er- 2 décembre 2022 (Amiens)
Ce colloque sur l’histoire des pères et de la paternité en Occident de la Renaissance à nos jours a pour objectif d’éclairer les profondes mutations de la figure paternelle au cours des derniers siècles et de combler certains vides historiographiques. À la croisée de l’histoire, des sciences sociales et de l’anthropologie, l’ambition de cette rencontre est donc de proposer sur un temps long une histoire plurielle de la paternité en Occident en la considérant comme un objet de recherche se rapportant autant à la sphère privée qu’à la sphère publique.
Quatre axes thématiques sont privilégiés :
Axe 1 : Les pères et la petite enfance
Axe 2 : Émotions et sentiments paternels
Axe 3 : Les relations pères/enfants : transmissions des savoirs et des pratiques
Axe 4 : Le bon et le mauvais père : modèles, paternité et espace public
Argumentaire
Ce colloque sur l’histoire des pères et de la paternité en Occident de la Renaissance à nos jours a pour objectif d’éclairer les profondes mutations de la figure paternelle au cours des derniers siècles et de combler certains vides historiographiques.
L’histoire des pères et de la paternité s’est développée tardivement dans les pays occidentaux par rapport à d’autres champs de l’histoire de la famille et de la parenté, en plein essor à partir des années 1960-1970. En France, il faut attendre la fin des années 1980 et les années 1990 pour que soient publiés les premiers ouvrages sur le sujet [Knibiehler, 1987 ; Delumeau, Roche, 1990]. Depuis lors, de multiples travaux historiques ont été menés, privilégiant certains angles d’études (juridiques, éducatifs, etc.) ou certaines périodes, notamment le Moyen Age [Lett, 1997 ; Baschet 2000 ; Payan, 2006 ; Certin, 2014]. Dans d’autres pays européens, en particulier anglo-saxons, les travaux sur la question ont été plus nombreux, contribuant à renouveler les perspectives, notamment sous l’angle du genre [Broughton, Rogers 2013 ; Strange, 2015]. Deux publications collectives récentes témoignent de la vitalité de ce champ de recherche [Certin, 2016 ; Doyon, 2021] et invitent à poursuivre l’étude des sujets encore peu explorés, notamment pour la période moderne et contemporaine.
Les relations de la paternité à la cité et au politique, souvent appréhendées sous le seul angle symbolique, méritent ainsi d’être davantage étudiées [Avezou, 2003 ; Cohen, 2007]. « L’histoire de la paternité concrète », reste également mal connue, en particulier « la dimension personnelle et intime de la paternité, soit la relation des pères avec leurs enfants », comme le signale l’historienne Anne Verjus [Verjus, 2013].
À la croisée de l’histoire, des sciences sociales, de l’anthropologie, l’ambition de ce colloque est donc de proposer sur un temps long une histoire plurielle de la paternité en Occident en la considérant comme un objet de recherche se rapportant autant à la sphère privée qu’à la sphère publique. La définition de la paternité sera envisagée ici au sens large afin de pouvoir aborder tant le père charnel et social que spirituel, ainsi que l’articulation de ces différentes facettes de la paternité. L’examen minutieux d’archives, de sources du for privé, d’iconographies, d’oeuvres littéraires ou médiatiques sera au coeur de cette rencontre qui cherche à saisir comment chaque époque conçoit la paternité (normes et représentations, expériences et vécu). La mobilisation du concept de genre sera appréciée, notamment pour étudier les relations pères/fils et pères/filles et pour mettre en évidence la place de la paternité
dans l’identité masculine et la définition de la masculinité [Tosh, 1999].
Angles d’étude
Axe 1 : Les pères et la petite enfance
Jusqu’à une époque très récente, le soin quotidien des enfants dans les premières années de leur existence relevait essentiellement des femmes, et en particulier des mères. Les pères passent pour avoir été traditionnellement peu impliqués dans la prise en charge des tout-petits, avant que n’émerge depuis les années 1970 le modèle des « nouveaux-pères », plus investis dans les premiers moments de la vie de leurs enfants. Il apparaît cependant que la réalité est plus complexe, les situations variées et l’évolution aucunement linéaire au cours des derniers siècles. Au Moyen Age, Didier Lett a déjà relevé de nombreux exemples de tendresse paternelle et d’implication des pères dans le soin de leurs enfants, bien avant l’âge de raison [Lett, 1997].
Eggle Becchi a aussi montré comment les pères des élites à l’époque des Lumières se faisaient volontiers puériculteurs [Becchi, 2004]. Les écrits privés révèlent également qu’à l’époque moderne et au XIXe siècle, certains hommes s’investissaient concrètement pendant la grossesse et l’accouchement et dans les soins du jeune enfant [Berthiaud, 2011], avant que cela ne devienne la norme – plus ou moins assumée d’ailleurs – dans le dernier tiers du XXe siècle. Les modalités concrètes de cet investissement paternel et ses évolutions seraient à retracer plus précisément, notamment pour percevoir les variations éventuelles entre les milieux sociaux et la manière dont le rôle des pères s’articule avec celui des mères et des autres acteurs impliqués dans le soin des jeunes enfants (membres de la famille, nourrice, domestique, sage-femme, médecin).
Axe 2 : Émotions et sentiments paternels
La question des sentiments des pères pour leurs enfants, et en particulier de l’amour paternel, a été abordée de manière pionnière par Daniel Roche dans son article « L'amour paternel à Paris au XVIIIe siècle » [Roche, 1983]. Depuis, divers travaux, centrés en particulier sur le Moyen Age [Lett, 1997] ou basés sur les écrits du for privé, ont abordé le sujet mais bien des aspects restent à explorer. Manon Pignot a pu montrer comment les lettres des pères à leurs enfants lors de la Grande Guerre ont permis l’« expression nouvelle d’une sensibilité, qui passe par l’expression de la tendresse physique » [Pignot, 2012, p. 297], contribuant à « la révélation d’un sentiment paternel » jugé inédit. D’autres contextes de séparation prolongée et d’absence ont pu être propices à l’expression des sentiments paternels et à leur conservation dans les sources. Les guerres révolutionnaires et de l’Empire, les situations d’exil ou d’emprisonnement sont par exemple des occasions d’étudier l’expérience de la paternité à distance et parfois aussi les sentiments qui trouvent alors une occasion de s’exprimer. Certains moments particuliers de la vie de l’enfant suscitent également des émotions fortes et s’avèrent propices pour mesurer l’investissement sentimental des pères avec leur progéniture. Outre la naissance, évoquée précédemment, c’est notamment le cas des maladies et surtout de la mort de l’enfant [King, 1994]. Il faut toutefois se garder d’idéaliser ces rapports père-enfants et aborder tout le registre des attitudes et des sentiments paternels, qui peuvent aussi prendre la forme de l’indifférence, de l’hostilité ou de la violence. Il conviendra également d’envisager l’influence de la place dans la fratrie et du sexe de l’enfant dans ces relations. En prenant appui sur une histoire des émotions et des sensibilités, profondément renouvelée ces dernières décennies, on s’attachera ainsi à étudier les modalités d’expression des sentiments paternels, ainsi que l’évolution des normes en vigueur pendant la période étudiée.
Axe 3 : Les relations pères-enfants : transmissions des savoirs et des pratiques
Si les relations père-enfants ont retenu l’attention des historiens, sociologues et anthropologues depuis déjà plusieurs années, celles-ci ont souvent été étudiées au prisme de la mission éducative et moralisante qui incombe au père de famille depuis des temps reculés [Delumeau et Roche, 1990]. En charge de l'instruction spirituelle de ses héritiers ainsi que de la transmission de valeurs édifiantes, le père apparaît souvent comme un modèle d’autorité inculquant la discipline et/ou adepte de punitions corporelles. Réduire l’investissement paternel auprès de sa progéniture à ces seuls comportements a cependant tendance à figer la relation père/enfant dans la distance, dans la soumission ou dans le rejet. Il en ressort aussi une image stéréotypée, longtemps entretenue par l’historiographie. Le renouvellement des approches qui s’est imposé en France à la fin des années 1990 a heureusement permis de nuancer ce tableau.
En explorant comment l’engagement paternel peut se manifester au travers d’activités du quotidien (travail, loisirs, etc.), nous ambitionnons de réévaluer la relation que les pères peuvent construire avec leur(s) enfant(s) en particulier dans le cadre domestique et professionnel. Il s’agirait notamment d’étudier les différentes formes de transmission paternelle : la passation de savoirs et de gestes nécessaires à l’apprentissage d’un métier par exemple, la délivrance de conseils utiles dans la vie sociale ou les manières dont les pères transmettent leur expérience de la paternité aux générations suivantes. À l’image de l’analyse entreprise par Philippe Lejeune sur le Journal de Marc de Bombelles [Lejeune, 2016], ces contributions permettraient de nourrir une histoire concrète de la paternité en examinant au plus près l’implication des pères auprès de leur(s) enfant(s).
Axe 4 : Le bon et le mauvais père : modèles, paternité et espace public
Les attentes de notre société contemporaine à l’égard de la paternité s’expriment à travers divers supports (traités d’éducation, fictions, médias, sondages, réseaux sociaux…) et participent, depuis les années 1970, à l’émergence du modèle du « nouveau père ». Plus impliqué, celui-ci s’investirait auprès de ses enfants dès leur plus jeune âge, assumerait les soins quotidiens avec la mère tout en continuant à pourvoir financièrement aux besoins de la famille.
Ce modèle, dont l’émergence est consécutive à l’affirmation du principe d’égalité entre les hommes et les femmes, rompt avec les figures traditionnelles de la paternité, telle celle du pater familias ou celle du père effacé voire absent [Dermott, 2008]. Parce que les représentations culturelles reflètent et façonnent des images communément acceptées sur le rôle et la place du père au sein de la cellule familiale, elles méritent de retenir notre attention.
Considérer la paternité comme une construction sociale et culturelle invite à s’intéresser à l’imaginaire entourant la figure paternelle et à ses différentes déclinaisons, positives autant que négatives. À partir des mythes du père idéal (et de ses contraires), plébiscités par le passé puis constamment renouvelés, il s’agira d’identifier les caractéristiques de ces archétypes circulant en Occident, d’appréhender les supports sur lesquels apparaissent ces images et les injonctions qui pèsent sur les hommes au moment où ils embrassent la paternité. Le modèle formé par Joseph à partir du XVe siècle [Payan, 2006], celui « des bons pères bons gouvernants » perpétué dans l’Empire à la même époque [Certin, 2011, p. 8] ou, à l’opposé, la figure repoussoir de Vautrin dans le Père Goriot traduisent une perpétuelle évolution des
normes et des représentations. L’enjeu ici est donc de cerner les rapports que les hommes en âge de procréer entretiennent avec ces références et comment chaque individu parvient à se construire en imitant plus ou moins celles-ci ou en s’en démarquant. Il s’agira notamment de se pencher sur l’évolution des rapports entre paternité et « l’injonction de virilité » [A. Corbin, 2011, t. 2, p. 9] depuis la première modernité jusqu’à nos jours. Dans cette optique, des travaux traitant de la stérilité, du contrôle des naissances, de la bâtardise, ou de la capacité à engendrer des naissances multiples voire une famille nombreuse pourraient enrichir nos connaissances.
En outre, on se penchera sur la manière dont la paternité investit la sphère publique au point qu’être père devient progressivement un des éléments définitoires d’un individu. Ainsi, en se donnant à voir comme le fondateur d’une longue lignée, le chef de famille expose au reste de la société sa capacité à donner la vie, à éduquer, à assumer économiquement les siens et à assurer la pérennité de son nom. En conséquence, il en retire un surcroît de pouvoir. Dès lors, interroger la communication des puissants sous l’angle de l’état florissant de la famille permettrait de mieux comprendre comment la paternité, pensée comme un relationnel privilégié d’un père à ses enfants, s’insinue dans le champ politique mais aussi s’affirme dans les milieux bourgeois voire populaires [Teuscher, 2004 ; Certin, 2011].
Bibliographie sélective
AVEZOU Laurent, « Louis XII. Père du peuple : grandeur et décadence d'un mythe politique, du XVIe
au XIXe siècle », Revue historique, 2003/1 (n° 625), p. 95-125.
BASCHET Jérôme, Le Sein du père. Abraham et la paternité dans l’Occident médiéval, Paris,
Gallimard, 2000.
BECCHI Egle, « Corpi infantili et nuove paternità : agli inizi delle puericultura », in Patrizia Guarnieri
(dir.), Bambini e salute in Europa 1750-2000, in Medicina & Storia, rivista di storia della Medicina e
della Sanità, IV, 7, 2004, p. 5-30.
BERTHIAUD Emmanuelle, « Attendre un enfant » : Vécu et représentations de la grossesse aux XVIIIe
et XIXe siècles (France), thèse de doctorat, sous la dir. de S. Beauvalet, UPJV Amiens, 2011.
BROUGHTON Trev Lynn, ROGERS Helen, Gender and Fatherhood in the Nineteenth Century,
Basingstoke/New York, Palgrave Macmillan, 2007.
CERTIN Aude-Marie, « Pères de la mémoire et mémoire des pères dans l’Empire à la fin du Moyen
Âge et au début de l’époque moderne », Revue de l'IFHA [En ligne], 3 | 2011, URL :
http://journals.openedition.org/ifha/196
CERTIN Aude-Marie, La cité des pères. Paternité, mémoire, société dans les villes méridionales de
l’Empire du milieu du XIVe siècle au milieu du XVIe siècle (Nuremberg, Augsbourg, Francfort-sur-le
Main), thèse de doctorat sous la dir. de P. Monnet et J.-C. Schmitt, EHESS, 2014 (à paraître).
CERTIN Aude-Marie (dir.), Formes et réformes de la paternité à la fin du Moyen Age et au début de
l'époque moderne, Francfort, Peter Lang, 2016.
COHEN Antonin, « Le “père de l'Europe”. La construction sociale d'un récit des origines », Actes de la
recherche en sciences sociales, 2007/1-2 (n° 166-167), p. 14-29.
CORBIN Alain, COURTINE Jean-Jacques et VIGARELLO Georges (dir.), Histoire de la virilité, Paris,
Le Seuil, 2011, 3 vol.
CREST Aurélie du, Modèle familial et pouvoir monarchique (XVIe-XVIIIe siècles), Aix/Marseille,
Presses universitaires d’Aix Marseille, 2002.
DELUMEAU Jean, ROCHE Daniel (dir.), Histoire des pères et de la paternité, Paris, Larousse, 1990.
DERMOTT Esther, Intimate Fatherhood: A Sociological Analysis, Londres, New York, Routledge,
2008.
DOYON Julie, ARMANI Sabine (dir.), L’Empire paternel. Familles, pouvoirs, transmission (Antiquité
romaine, époque moderne), Genève, Georg, Coll. « L’Equinoxe », 2021.
KING, Margaret L., The Death of the Child Valerio Marcello, Chicago et Londres, The University of
Chicago Press, 1994.
KNIBIEHLER Yvonne, Les pères aussi ont une histoire, Paris, Hachette, 1987.
HALLAMA Peter, « Histoire de la paternité aux XIXe et XXe siècles », Encyclopédie pour une histoire
nouvelle de l'Europe [en ligne], 2016, URL : https://ehne.fr/fr/node/12353
LEJEUNE Philippe, Aux origines du journal personnel France 1750-1815, Paris, H. Champion, 2016.
LETT Didier, L’enfant des miracles. Enfance et société au Moyen Age (XIIe-XIIIe siècle), Paris, Aubier,
1997.
LETT Didier (dir.), « Être père au Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 4,
1997.
5
PAYAN Paul, Joseph. Une image de la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 2006.
PIGNOT Manon, Allons enfants de la patrie. Génération Grande Guerre, Paris, Éd. du Seuil, 2012.
ROCHE Daniel, « L'amour paternel à Paris au XVIIIe siècle », Annales de démographie historique,
« Mères et nourrissons », 1983, p. 73-80.
SHEPARD Alexandra, « From Anxious Patriarchs to Refined Gentlemen? Manhood in Britain, circa
1500–1700 », Journal of British Studies, Vol. 44, n° 2 (April 2005), p. 281-295.
STRANGE Julie-Marie, Fatherhood and the British Working Class, 1865-1914, Cambridge, Cambridge
University Press, 2015.
TEUSCHER Simon, « Parenté, politique et comptabilité. Chroniques familiales autour de 1500 (Suisse
et Allemagne du Sud) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2004/4 (59e année), p. 847-858.
TOSH John, A Man’s Place. Masculinity and the Middle-Class Home in Victorian England, New
Haven/Londres, Yale University Press, 1999.
VERJUS Anne, « La paternité au fil de l'histoire », Informations sociales, 2013, 176 (2), p. 14-22.
Modalités de soumission des propositions
Les propositions de communication doivent comprendre :
o Un titre (même provisoire)
o Un résumé d’une page maximum
o Une courte présentation personnelle précisant l’université, le laboratoire de
recherche, les thématiques de recherche et les principales publications.
Les propositions doivent être envoyées à emmanuelle.berthiaud@u-picardie.fr et
isaure.boitel@u-picardie.fr
La date limite pour répondre à cet appel est fixée au 11 avril 2022.
Les candidat.e.s seront informé.e.s de la décision au cours du mois de mai 2022.
Modalités pratiques
Le colloque se tiendra jeudi 1er et vendredi 2 décembre 2022 au Logis du Roy, Passage du Logis du roi, à Amiens (Haut-de-France). Les frais d’hébergement et de voyage ainsi que les repas seront pris en charge pour les intervenants. Le colloque donnera lieu à une publication, ce qui implique une remise des communications écrites en mars 2023.
Un compte twitter a été créé pour suivre l'actualité du colloque : @paternite2022
Organisatrices
Emmanuelle Berthiaud (maîtresse de conférences en histoire moderne, CHSSC, UPJV)
Isaure Boitel (maîtresse de conférences en histoire moderne, CHSSC, UPJV)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire