Microbes et Microbiologie : vers de nouveaux récits ?
Appel à communications
Journée d'étude/Webinaire international - 15 juin 2021
Journée co-organisée par Matheus Alves Duarte da Silva (Post-doctorant, University of St Andrews)
Mathilde Gallay-Keller (doctorante en anthropologie, École des Hautes Études en Science Sociales,
Laboratoire d’Anthropologie Sociale & Laboratoire PALOC)
Dans le dernier tiers du 19ème siècle, la « nouvelle science des microbes » a d’abord été rendue populaire grâce à une communication efficace (Latour 1984 ; Löwy 2015), les microbiologistes mettant eux-mêmes en scène leurs découvertes et leurs succès via la presse, ou encore lors d’Expositions universelles. Ce phénomène est bien illustré par les célèbres photographies de Louis Pasteur entouré d’enfants sauvés par son vaccin antirabique, relayées par les journaux de l’époque. Dès le début du 20ème siècle, la microbiologie a ensuite fait l’objet d’un premier type de mise en récits historiens, à travers le genre singulier de la biographie, essentiellement à la gloire de Louis Pasteur et de Robert Koch. Dans le même temps, et jusqu’au milieu du 20ème siècle, en France, en Allemagne et dans bien d’autres pays, la microbiologie était souvent limitée – comme les autres sciences – à un chapitre dans l’histoire nationale. Quant au courant de l’épistémologie historique, ses importants travaux se concentraient plus sur l’étude de la physiologie et de la biologie comme sciences de la vie (par opposition à l’histoire naturelle), que sur la microbiologie comme objet d’étude à part entière (Canguilhem 1952 ; Foucault 1966), alors que celle-ci était un cas central pour la compréhension des transferts de technologies du « centre » vers les « périphéries » (Stepan 1976 ; Löwy 1990).
À partir des années 1970-80, les science studies ont profondément renouvelé l’ensemble de l’histoire des sciences. Il s’agissait de valoriser les dimensions sociales et culturelles des sciences, d’analyser les relations entre les divers acteurs qui font les sciences (plutôt que de rester centré sur de grandes figures), de prêter attention aux controverses (plutôt qu’aux savoirs établis), de s’intéresser aux aspects matériels du travail scientifique (plutôt que de se contenter de l’étude de la littérature). Plus récemment, des travaux ont essayé de décentrer encore davantage le regard, et de montrer que l’émergence de la science moderne, y compris la microbiologie, n’est pas l’apanage exclusif des sociétés européennes, mais résulte également d’échanges avec d’autres sociétés dans le cadre de pratiques impériales et diplomatiques. Ces échanges, loin d’être unidirectionnels, de l’Europe vers le reste du monde, sont plutôt circulatoires, et ont modifié et façonné globalement les démarches scientifiques – y compris en Europe (Raj 2012 ; Liu 2017 ; Silva 2018 ; Velmet 2020).
À quel point notre vision des microbes a-t-elle profité (ou non) de ces nouvelles manières de faire l’histoire des sciences en général ? Quelles sont les nouvelles questions, les nouveaux objets, les nouvelles méthodes et approches qui façonnent et transforment actuellement notre compréhension de l’émergence de la science des microbes, et des changements techniques et sociaux qu’elle a engendrés jusqu'à nos jours ? Nous invitons les chercheurs à débattre de ces questions le temps de cette journée d’études, afin de connaitre et faire connaitre les travaux les plus actuels et novateurs sur la microbiologie en tant qu’objet des sciences humaines et sociales. Il s’agit ainsi de repeupler l’histoire de la microbiologie des êtres, objets, images et relations qui ont façonné cette science, d’étudier des ensembles matériels ou visuels auxquels il n’a été accordé que trop peu d’importance, de mettre aujour des connexions et des circulations jusqu’ici peu étudiées, d’explorer des lieux et des pratiques souvent jugées secondaires.
- Il pourra s’agir d’études visuelles, matérielles, ou même muséales de la microbiologie, qui renouvellent son histoire en prêtant attention à la matérialité de la science, ou qui accordent de l’importance à ce qui est donné à voir dans le façonnement des récits historiques (Gelson 2014 ; Meerwijk 2020).
- Les communications pourront aussi porter sur des approches circulatoires (circulation des savoirs,
des techniques, des controverses, des microbes, des maladies, des personnes...) qui articulent différents lieux et différentes échelles, des ethnographies de laboratoire aux études multi-sites (Liu 2017 ; Silva 2018 ; Keck 2020).
Nous accorderons aussi une place aux communications qui proposeront une étude des circulations entre différentes cultures scientifiques, en montrant comment la microbiologie a repris à son compte certains savoirs et pratiques issues d’autres sciences, comme la physiologie ou l’histoire naturelle – et inversement (Mendelshon 2002 ; Strasser 2019 ; Gallay-Keller 2020).
- Il pourra s’agir également d’approches non-institutionnelles, présentant les tensions ou les liens entretenus par la microbiologie avec d’autres domaines de formation des savoirs. Comment des usages et des savoirs vernaculaires ou industriels sur les microorganismes ont-ils interféré avec les pratiques et les savoirs de la microbiologie (Sibum 2015 ; Paxson & Helmreich 2017) ? Comment la microbiologie institutionnelle a-t-elle été remise en cause ces dernières années par des pratiques alternatives, telle que la « biologie de garage » ou le « biohacking » (Morgan 2015 ; Wilbanks 2019), et comment intégrer ces mouvements dans une histoire renouvelée de la microbiologie ?
Enfin, nous précisons que, puisqu’il s’agit d’encourager les chercheurs à présenter leurs propres chemins de traverses et manières d’explorer l’histoire de la microbiologie, d’autres approches qui ne sont pas ici explicitement proposées sont bienvenues.
Modalités
Les présentations attendues seront d’une durée de 15/20 minutes, en langue française ou anglaise. Les
propositions pourront émaner de plusieurs disciplines dans le champ des études des sciences (histoire,
anthropologie, sociologie, philosophie...). Des présentations conjointes (2 intervenants sur un même sujet) sont possibles. À la suite de l’évènement, il est notre intention de réunir les meilleurs travaux en un numéro spécial de revue scientifique. Les résumés des communications, en français ou en anglais, et de 250 mots maximum devront être envoyés à Matheus Alves Duarte da Silva (madds1@st-andrews.ac.uk) et Mathilde Gallay-Keller (mathilde.gallaykeller@ehess.fr) jusqu’au 30 mars 2020. Vous pouvez nous contacter pour toutes questions.
Bibliographie indicative
Benchimol, J. (1999). Dos micróbios aos mosquitos: febre amarela e a revolução pasteuriana no Brasil. Rio de Janeiro : Editora FIOCRUZ/Editora UFRJ.
Brives, C. & Zimmer, A. (à paraître). Un tournant microbien ? Revus d’anthropologie des connaissances.
Canguilhem, G. (1951). La connaissance de la vie. Paris : Vrin.
Chakrabarti, P. (2012). Bacteriology in British India: laboratory medicine and the tropics. Rochester: University of Rochester.
Foucault, M. (1966). Les mots et les choses, une archéologie du savoir. Paris : Gallimard.
Gallay-Keller, M. (2020). Des microchampignons modèles pour le “biocontrôle”. Une enquête dans les collections de micro-organismes du Muséum national d’histoire naturelle. Techniques&Culture 73 « Biomimétismes », pp.170-185.
Geison, G. (2014). The Private Science of Louis Pasteur. Princeton: Princeton University Press.
Grote, M. (2018). Petri dish versus Winogradsky column: a longue durée perspective on purity and diversity in microbiology, 1880s–1980s. History and Philosophy of the Life Science, 40 (11). https://doi.org/10.1007/s40656-017-0175-9
Keck, F. (2017). Anthropologie des microbes. L’oubli de l’immunologie et la révolution du microbiome. Techniques & Culture, 68 (2) « Mondes infimes », pp. 230-247.
Keck, F. (2020). Avian Reservoirs. Virus Hunters and Birdwatchers in Chinese Sentinel Posts. Durham: Duke University Press.
Latour, B. (1984). Les Microbes : guerre et paix, suivi de Irréductions. Paris: A.M. Métailié.
Lee, V. (2015). Mold Cultures: Traditional Industry and Microbial Studies in Early Twentieth-Century Japan. In D. Phillips & S. Kingsland (eds.). New Perspectives on the History of Life Sciences and Agriculture, pp. 231-252.
Löwy, I. (1990). Yellow fever in Rio de Janeiro and the Pasteur Institute Mission (1901–1905): The transfer of science to the periphery. Medical History, avril 1990, vol. 34, no 2, pp. 144-163
Löwy, I (2015). Les microbes et les humains. Dans Kapil Raj et Otto Sibum (eds.), Histoire des sciences et des savoirs, t. 2. Modernité et globalisation, Paris, Éditions du Seuil (coll. « Histoire des sciences et des savoirs »), pp.222-241.
Meerwijk, M.B. (2020). Viral Imagery of Dengue Fever in the Age of Bacteriology. Isis, vol. 111(2).
Mendelshon, J. A. (2002). “Like All That Lives”: Biology, Medicine and Bacteria in the Age of Pasteur and Koch. History and Philosophy of the Life Sciences, vol. 24, pp. 3-36.
Meyer, M. (2015). Amateurization and re-materialization in biology: Opening up scientific equipment. In M.Wienroth & E. Rodrigues (dir.). Knowing New Biotechnologies: Social Aspects of Technological Convergence. Londres : Routledge.
Meyer M. (2015). Bricoler le vivant dans des garages. Le virus, le génie et le ministère. Terrain, n° 64, pp. 68-83.
Morange, M. (2010). Émile Duclaux : 1840-1904. Bulletin d’histoire et d’épistémologie des sciences de la vie, 17(1), pp. 69-75.
Morange, M. (2006). À quoi sert l’Histoire des sciences ? Paris : Éditions Quae.
Myelnikov, D. (2018). An Alternative Cure: The Adoption and Survival of Bacteriophage Therapy in the USSR, 1922–1955. Journal of the History of Medicine and Allied Sciences, vol. 73 (4), pp. 385–411.
Paxson, H. & Helmreich, S. (2017). Périls et promesses de l’abondance microbienne. Natures nouvelles et écosystèmes modèles, du fromage artisanal aux mers extraterrestre. Techniques&Culture, 68, pp. 248-285.
Raj, K. (2010). Relocating modern science: circulation and the construction of knowledge in South Asia and Europe, 1650 – 1900. Basingstoke: Palgrave Macmillan.
Sibum, O. (2015). Les sciences et les savoirs traditionnels, in Kapil Raj et Otto Sibum (eds.), Histoire des sciences et des savoirs, t. 2. Modernité et globalisation, Paris, Éditions du Seuil (coll. « Histoire des sciences et des savoirs »), p.285-303.
Silva, MAD. (2018). From Bombay to Rio de Janeiro: the circulation of knowledge and the establishment of the Manguinhos laboratory, 1894-1902. Hist. cienc. saude-Manguinhos [online]. 2018, vol.25, n.3, pp.639-657.
Stepan, N. (1976). Gênese e evolução da ciência brasileira: Oswaldo Cruz e a política de investigação científica e médica. Rio de Janeiro: Artenova/Fundação Oswaldo Cruz.
Strasser, B. J. (2019). Collecting Experiments. Chicago: University of Chicago Press.
Vagneron, F. (2014). Une presse influenzée ? Le traitement journalistique de la pandémie de grippe « russe » à Paris (1889-1890). Le Temps des médias, 23, pp.78-95.
Velmet, A. (2020). Pasteur’s Empire: Bacteriology and Politics in France, its Colonies and the World. Oxford: Oxford University Press.
Wilbanks, R. (2019). Phylogénies de la biologie « do-it-yourself ». Techniques & Culture [on line], Varia, M. Meyer & P. Pitrou (dir.) « Anthropologie de la vie et des nouvelles technologies ». URL :
http://journals.openedition.org/tc/9309
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