lundi 28 octobre 2019

Les femmes en sciences et techniques

Gouverner les sciences et les techniques, gouverner par les sciences et les techniques : quels enjeux pour les femmes ? (fin XIXe siècle – début XXIe siècle)


Appel à communications


29-30 juin 2020 Moscou (Russie)


L’histoire des femmes dans les sciences et les techniques a fait l’objet d’un véritable renouveau historiographique ces dernières années. Les travaux réalisés ont notamment montré que leur présence dans ces domaines, si elle s’était renforcée à partir de la fin du xixe siècle, était loin d’avoir été le résultat d’un processus continu et inéluctable : leur accession a été difficile et réversible, avec le maintien d’importantes discriminations jusqu’à nos jours.

Ce colloque souhaite participer à ce mouvement historiographique en s’intéressant peut-être moins aux femmes dans les sciences et les techniques en tant qu’actrices de pratiques situées qu’en se focalisant sur une dimension qui fait l’objet d’une préoccupation croissante de nos jours : à savoir la place et le rôle des femmes dans le gouvernement des sciences et des techniques, et dans le gouvernement par les sciences et les techniques.
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Ce colloque veut ainsi comprendre et historiciser les mécanismes variés et cumulatifs qui ont déterminé – bloqué, freiné, voire favorisé – la carrière des scientifiques et des ingénieures et leur accession à de hautes responsabilités, et ceci depuis la fin xixe siècle quand elles ont commencé à investir les sphères scientifiques et techniques du fait de l’essor de la scolarisation des filles. Paradoxalement, si ces domaines ont été des creusets de l’idéologie du progrès et de l’émancipation, les femmes y sont restées en position subordonnée : aujourd’hui encore, elles ne sont pas si nombreuses à y occuper des postes de direction et d’autorité. Mais se poser la question de leur accès aux instances de gouvernement des sciences et des techniques nécessite de se donner une perspective large qui, tout en évitant l’écueil de la collection de biographies, analyse par quels moyens les femmes, faute d’accès à ces instances, sont tout de même parvenues à peser sur le gouvernement des sciences et des techniques – que ce soit par leurs travaux ou en investissant des lieux périphériques. Cela suppose en retour de s’interroger sur les politiques déployées par des acteurs variés pour promouvoir les femmes dans ces domaines et vaincre les résistances rencontrées : il convient d’analyser le rôle joué par les sciences et les techniques en tant que ressources pour des politiques actives à l’endroit des femmes.

Ce colloque entend donc étudier un double mouvement, avec des femmes à la fois sujets et objets du gouvernement des sciences et des techniques.

Tous les domaines scientifiques et techniques peuvent être abordés, des mieux établis à ceux qui l’ont progressivement été au cours du xxe siècle et où la place des femmes a pu changer, l’aérospatial, le nucléaire et l’informatique en particulier. De même, toutes les aires culturelles et/ou tous les régimes politiques (libéraux et autoritaires) sont susceptibles d’être étudiés. L’exemple de la Russie où, au lendemain de la révolution d’Octobre, les bolcheviks affirmaient vouloir émanciper les femmes, tandis qu’ils prétendaient fonder leur projet de transformation sociale sur les savoirs scientifiques et techniques, signale tout l’intérêt qu’il peut y avoir à décentrer le regard et à comparer les aires culturelles et/ou les régimes politique – la comparaison devrait en retour nous autoriser à questionner les clivages nationaux, culturels et/ou politiques.

Différentes pistes de travail sont envisageables.

La première porte sur les femmes ayant accédé à des postes de direction : la formation scientifique ou technique reçue, leur carrière, et ce qui leur a permis d’accéder à des fonctions élevées dans l’éducation, la recherche ou l’industrie. Ainsi, en Grande-Bretagne, le cas de la biochimiste Marjory Stephenson, première femme à accéder à la Royal Society en 1945, alors que les barrières légales de l’accès aux sociétés savantes et à l’université avaient été supprimées en 1919, montre la résistance de la Royal Society à faire évoluer des statuts discriminatoires, ainsi que le rôle des critiques adressées dans la presse dans leur levée en 1943. Le questionnement ne porte pas que sur l’absence ou la présence des femmes, il concerne aussi le fonctionnement des institutions scientifiques et techniques, y compris dans les nominations : c’est s’attacher à caractériser le « plafond de verre » auquel les scientifiques et ingénieures se sont heurtées et à identifier les formes historiques et concrètes qu’il a pris. L’interrogation concerne enfin la manière dont les femmes ont cherché à contourner les difficultés qu’on leur a opposées dans les lieux légitimes de production et d’enseignement des sciences et des techniques en investissant d’autres espaces, telles les associations et les sociétés savantes.

Une deuxième piste peut être de se demander si les scientifiques et les ingénieures, une fois à des postes de direction, ont mis en œuvre des politiques spécifiques. Cette question d’un gouvernement typiquement féminin des sciences et des techniques est épineuse. Déjà soulevée dans l’historiographie à propos de la production des savoirs, elle a montré ses limites. Cependant, l’exemple de la chimiste Ida Maclean qui, après avoir été nommée assistant lecturer au département de chimie de l’université de Manchester en 1906, est devenue en 1920 la première femme à accéder à la London Chemical Society où elle a poursuivi son engagement de longue date en faveur des femmes à l’université, invite à porter l’attention sur au moins deux phénomènes. Le premier a trait aux mesures prises au sein des institutions scientifiques et techniques pour y améliorer la situation des femmes. Le second concerne les problèmes mis en avant par les femmes ayant accédé à des fonctions élevées : il s’agit de voir si elles ont soulevé des problèmes négligés ou non vus par les hommes et quelles actions elles ont lancées sinon pour les résoudre, du moins pour les traiter.

Une troisième piste vise à analyser comment différents protagonistes ont eu recours aux sciences et aux techniques pour remédier aux inégalités de genre dans la société. L’historiographie a souligné combien les savoirs – en particulier ceux issus de la biologie, mais pas seulement – avaient reproduit les préjugés de genre et naturalisé les inégalités entre les hommes et les femmes. Toujours dans la perspective de sonder la neutralité des sciences, l’interrogation porte toutefois ici plutôt sur la manière dont les savoirs ont pu contredire les stéréotypes et les normes de genre, et ceci en vue de comprendre comment on les a utilisés pour mettre en œuvre des politiques en faveur d’une meilleure reconnaissance statutaire et/ou salariale des femmes. Le cas certainement le mieux connu est celui des États-Unis où, avec la discrimination positive instaurée en 1967 pour les étudiantes comme pour les enseignantes, les universités sont devenues des lieux d’action et de réflexion pour les mouvements féministes. Mais l’État n’a pas été le seul acteur à œuvrer pour les femmes dans la société : des fondations et des grandes entreprises l’ont fait et continuent de le faire. À travers l’étude de ces initiatives, il doit aussi s’agir d’éclairer comment s’est construite l’articulation entre savoirs scientifiques, reconnaissance statutaire et redistribution économique. Lorsque ces initiatives ont coexisté avec des mesures d’émancipation visant d’autres groupes sociaux, il faudra tâcher d’analyser comment elles ont pu s’entrecroiser.

Une dernière piste a trait à la mise en récit de la réussite des femmes dans les sciences et les techniques. Le but est d’étudier non seulement comment les commentateurs la décrivent et l’expliquent, mais aussi comment des scientifiques et des ingénieures qui ont atteint des positions élevées le font elles-mêmes. Car il apparaît que la mise en récit de ces trajectoires par les hommes et les femmes mobilise souvent des motifs clairement sexués. Or ces discours ne sont pas sans incidence sur les préjugés et les stéréotypes de genre, que ce soit dans le sens de leur consolidation ou au contraire de leur déconstruction. Par exemple, les portraits de la mathématicienne Sofia Kovalevskaïa ont tantôt insisté sur ses qualités d’analyse, tantôt souligné combien elle était dépourvue de qualités féminines. L’examen de ces récits de trajectoire peut donc aider à appréhender le poids des représentations sur les choix de carrière des femmes.

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Ce colloque est organisé à la mémoire de Larissa Zakharova (1977-2019) qui, spécialiste de l’Union soviétique, a consacré une partie de ses travaux à l’histoire des techniques (https://www.cercec.fr/membre/larissa-dufaud-zakharova/). Portant sur les communications, son dernier ouvrage est intitulé : De Moscou aux confins les plus profonds. Communications, pouvoir et société en Union soviétique (à paraître aux Éditions de l’EHESS).

Le colloque, au cours duquel les interventions se feront en anglais, se tiendra les 29 et 30 juin 2020 à Moscou. Il entend donner lieu à un livre. Sont donc sollicitées des propositions inédites : les « papiers » devront être envoyés au moins deux semaines avant le colloque et les textes, remis au 1er novembre 2020 au plus tard.

Dans la mesure du possible, les organisateurs prendront en charge les frais de déplacement et de logement. 

Les propositions, de 3000 caractères max., doivent être déposées en anglais ou en français avant le 1er décembre 2019, sur le site de la conférence : https://gst2020.sciencesconf.org/submission/submit

Les questions peuvent être adressées à l’adresse suivante : gst2020@sciencesconf.org

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Organisateurs

Alain Blum (CERCEC / EHESS / INED)

Patrice Bret (CAK / CNRS)

Valérie Burgos Blondelle (Comité pour l’histoire du CNRS)

Françoise Daucé (CERCEC / EHESS / IUF)

Grégory Dufaud (Sciences Po Lyon / CEFR de Moscou / LARHRA)

Liliane Hilaire-Pérez (Université Paris-Diderot / EHESS / IUF)

Isabelle Lémonon Waxin (CAK / Cermes3)

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