samedi 26 août 2017

La précarité sanitaire

La « précarité sanitaire » : corps, politique, expériences 

Appel à communications


Dans le cadre d’un projet soutenu par la MSHPN, « Un service public original entre histoire et devenir : les bains-douches municipaux à Paris et à Turin », et d’une enquête par questionnaire terminée en mars 2017 (Université Paris 8-INED) auprès des usagers des bains-douches parisiens, nous organisons une journée d’étude qui sera suivie d’une publication.

En France, au cœur d’une société d’abondance, après la précarité énergétique[1], une « précarité sanitaire » émerge, de plus en plus visible, de moins en moins tolérable et porteuse d’enjeux multiples[2]. Par cette notion, Coalition Eau[3], qui regroupe la plupart des associations en lutte pour le droit à l’eau, entend décrire « la situation d’une personne ou d’un groupe de personnes n’ayant pas un accès suffisant à l’eau et à l’assainissement ». Cette journée d’étude consacrée à la précarité sanitaire entend aborder les différentes facettes des difficultés d’accès à l’eau, avec tous les effets que ce défaut peut avoir tant au niveau des individus qu’au niveau sociétal. Ainsi, les communications et les débats qui s’ensuivront devraient contribuer à divers domaines de connaissance : la sociologie des normes et de la déviance, l’histoire des sensibilités, des goûts et des dégoûts, les politiques sociales et leurs sources d’inspiration idéologiques (notamment l’hygiénisme et le mouvement moderne, les différents visages de l’ « intégration »), les rapports sociaux de sexe, etc.

Nous suggérons trois axes autour desquels articuler les communications et la réflexion collective, étant entendu que celles-ci peuvent donner lieu à de fécondes combinaisons. Les disciplines susceptibles d’apporter leurs méthodes et leurs savoirs à la connaissance de la « précarité sanitaire » sont nombreuses : sociologie, histoire, anthropologie, démographie, mais aussi science politique et juridique, sans oublier la philosophie. Si la journée vise la France, des perspectives hors de l’hexagone peuvent être pertinentes, surtout si elles donnent matière à des comparaisons internationales ou interrégionales.
Axes thématiques

Le premier axe propose de discuter la notion de « précarité sanitaire ». Est-elle susceptible de donner naissance à une nouvelle catégorie d’action publique ? Est-ce une expression adaptée pour interroger l’émergence d’un phénomène nouveau, et si oui, en quoi ce phénomène est-il nouveau ? Le droit à l’accès à l’eau pour tous s’est affirmé au niveau international. En juillet 2010, l’Assemblée générale de l’ONU a reconnu l’accès à une eau de qualité et à des installations sanitaires comme un « droit humain ». Le Parlement européen, dans une résolution du 3 juillet 2012, s’est exprimé sur la mise en œuvre de la législation de l’Union Européenne relative à l’eau. Les parlementaires ont affirmé que « l’eau est un bien commun de l’humanité, un bien public, et que l’accès à l’eau devrait être un droit fondamental et universel », rappelant « la nécessité d’adapter les règles du marché intérieur aux caractéristiques spécifiques du secteur de l’eau » et invitant « les Etats membres à gérer, dans le respect du principe de subsidiarité, l’eau et les services d’approvisionnement en eau ».[4] En Europe, l’absence d’accès à l’eau n’est pas un phénomène marginal. D’après Solidarité Eau Europe[5], « aujourd'hui encore, 5% des Européens n’ont pas accès à l’eau potable, et 10% n’ont pas accès à l’assainissement ». En France métropolitaine, près de 1,1 million de personnes n’auraient pas accès à l’eau et à l’assainissement, et près de 1,4 million de résidences disposeraient d’installations sanitaires dégradées et d’une évacuation des eaux défectueuse[6].Existe-t-il une jurisprudence sur cette question ? En France, la condamnation récente de Veolia atteste de la protection par la loi (en l’occurrence la loi Brottes[7]) du droit à l’eau, et, en même temps, de rapports de force favorisant la persistance de pratiques illégales de la part des délégataires. Aussi, cette notion est-elle à interroger du côté des politiques et des gouvernances, aux échelles pertinentes, du national au communal, dans le cadre contemporain d’une montée paradoxale des droits individuels (opposables) et d’une fragilisation des droits collectifs.

Le second axe interroge plus spécifiquement l’aspect corporel, sensible, incarné et genré de la précarité sanitaire, sans toutefois laisser à part la question de l’appartenance sociale et des habitudes culturelles. La question centrale que propose cet axe est la suivante : que fait la précarité sanitaire au corps, sachant que le corps est toujours socialisé, même si cela s’effectue dans l’exclusion et le stigmate ? Les représentations du corps, les notions de propre et de sale en rapport avec l’eau sont naturellement au cœur du sujet, tout comme la question du champ d’application et de la pertinence des analyses en termes de biopolitique. Les rapports entre hygiène et sexualité, eau et sexualité, peuvent être abordés du point de vue de l’histoire des idées, avec une perspective novatrice, mais aussi par le biais d’études de cas qui aborderaient la question à partir de lieux ou de pratiques spécifiques. Un autre aspect qui reste à documenter concerne les effets de la privation ou de la restriction de l’accès à l’eau. Une telle privation couvre un vaste champ d’expériences, allant du malaise physique à la souffrance morale, et mérite d’être documentée, précisément dans ses rapports avec les normes en vigueur et les rapports de domination, mais aussi en ce qu’elles enseignent des formes d’entraide, de résistance et de résilience. Le recueil de récits semble particulièrement adapté pour prendre acte des expériences et des ressentis, mais cette démarche n’est pas exclusive d’autres méthodologies, notamment de traitement secondaire de bases de données concernant le logement ou la santé.

Le troisième axe proposé se structure autour de l’espace et des « prises » (affordances) offertes par les aménagements urbains et les dispositifs dans l’espace public. On inclut ici ce qui facilite mais aussi entrave l’accès à l’eau dans l’espace public. Ainsi, la construction progressive d’un bien commun, dont la jouissance semble aller de soi, serait à reprendre pour le documenter à partir du présent. Fontaines, bains publics, comment la puissance publique a-t-elle pensé l’accès à l’eau dans l’aménagement des lieux habités ? L’eau est-elle vue comme une aménité ? Une nécessité ? Un bien commun ? Une marchandise ? Quand a-t-on commencé à associer accès à l’eau et santé publique ? L’histoire des bains-douches n’est-elle pas révélatrice, par ses générosités (Paris) et ses restrictions (Marseille), sans compter les dispositifs éphémères (Calais), d’une géopolitique du gouvernement des corps ? Peut-on identifier des cultures urbaines en matière d’accès à l’eau ? Les disciplines de l’architecture et de l’aménagement sont concernées, mais aussi l’histoire urbaine et la géographie sociale.

Modalités pratiques d'envoi des propositions

Date limite d’envoi d’une proposition : 18 septembre 2017, délai de rigueur

A envoyer aux trois adresses ci-dessous :
Lucie Bony : lucie.bony@cnrs.fr
Sophie Fesdjian : sfesdjian@gmail.com
Claire Lévy-Vroelant : clevyvroelant@gmail.com 

Les propositions de communication comporteront obligatoirement une présentation de l’objet d’étude et de la problématique ainsi que de la méthodologie et des données exploitées. Elles ne devront pas excéder 3 000 signes.

Une réponse sera apportée le 1er octobre 2017.

Les textes des communications retenues seront attendus pour le 19 novembre 2017.

La journée d'étude se déroulera le 15 décembre 2017 (9h30 – 18h) à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord.


Comité scientifique et d'organisation
Lucie Bony (CNRS, UMR Passages),
Sophie Fesdjian (UMR LAVUE)
Claire Lévy-Vroelant (Université Paris 8 Saint-Denis, UMR LAVUE)


Références
[1] Isolde Devalière, « La précarité énergétique, retour sur la genèse d’une préoccupation », Métropolitiques, 3 juin 2011. URL : http://www.metropolitiques.eu/La-precarite-energetique-retour.html

[2] Claire Lévy-Vroelant, « La bataille de l’eau. Entre régies publiques et compagnies privées », Métropolitiques, 26 juin 2017, URL : http://www.metropolitiques.eu/La-bataille-de-l-eau-entre-regies.html





[7] La loi Brottes du 15 avril 2013 interdit à tout distributeur de couper l’alimentation en eau dans une résidence principale même en cas d’impayé. Son décret d’application date du 27 février 2014.

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