Mutations des professions de santé et attractivité des territoires
Appel à communication
Colloque
Chaire Santé, Vulnérabilités, Territoires/Sciences Po Lille, 27-28 novembre 2025
L’accès au soin est devenu une préoccupation majeure des pouvoirs publics. Depuis une quinzaine d’années, plusieurs rapports parlementaires énumèrent des mesures visant à enrayer le creusement des inégalités entre les territoires en matière d’offre médicale en France. En parallèle, la notion de « désert médical » s’est imposée dans le discours politico-médiatique pour décrire ce phénomène de raréfaction de l’offre en matière de santé (Chevillard et alii, 2018), au risque de proposer une vision réductrice, isolant la profession médicale du reste des services publics et ignorant la diversité des métiers du champ sanitaire. Organisé dans le cadre de la Chaire Santé, Vulnérabilités, Territoires, ce colloque a pour objectif d’interroger les relations que peuvent entretenir ces dynamiques territoriales d’accès au soin avec les reconfigurations professionnelles à l’oeuvre dans le champ de la santé, dans une perspective pluridisciplinaire.
Axe 1 : Professions de santé, quelles recompositions ?
Envisager le monde de la santé sous l’angle des dynamiques professionnelles conduit d’abord à s’interroger sur les mutations que connaît ce secteur et les effets de ces transformations sur les pratiques et les stratégies des acteurs et actrices du soin. Alors que la sociologie des professions s’est largement construite autour de l’analyse du cas des médecins (Freidson), les sciences sociales envisagent désormais le champ de la santé à travers la diversité des professions, médicales et paramédicales, autant que des modes d’exercice (libéral, hospitalier, salarié). On s’interrogera donc sur les reconfigurations de la structure du corps médical, sous l’effet de sa féminisation (Hardy, 2013) ou de la démocratisation de l’accès aux études de santé, tout en analysant l’émergence et l’institutionnalisation de nouvelles professions de santé. La médicalisation de la profession d’infirmier, envisagée parfois comme une solution à la désertification médicale, s’incarne notamment dans la création des infirmiers de pratique avancée, dont les attributions recoupent certaines missions traditionnellement dévolues au médecin (Galfout et alii, 2024) rappelant le rôle confié au XIXe siècle aux officiers de santé (Faure). Le développement de la recherche en sciences infirmières en France entraîne également la création d’un domaine de savoirs qui peut enrichir la prise en soin des populations vulnérables et apporter des réponses aux disparités territoriales en matière de santé (Projet PEIPA, Julie Devictor). Les relations entre médecins et autres professions de santé feront également l’objet d’une attention particulière, alors que les formes de collaboration se multiplient, au sein des maisons de santé pluriprofessionnelles par exemple. Ces structures contribuent au renforcement de la relation d'interdépendance entre professionnels libéraux et autorités publiques, contribuant à la création d’un nouveau « statut libéral sous contraintes » (Moyal, 2019).
Les pratiques professionnelles connaissent également d’importantes mutations, liées à de nouvelles aspirations des praticiens (attention plus forte au besoin de concilier vie privée et vie professionnelle) et à un changement de rapport au travail (réduction du temps de travail, recours au temps partiel, refus de l’exercice solitaire). On pourra également envisager le rôle du numérique dans ces reconfigurations, notamment à travers l’utilisation des plateformes telles
que Doctolib dans les changements organisationnels. L’impact de la pandémie de Covid-19 fera également l’objet d’une attention spécifique afin de déterminer dans quelle mesure les réorganisations professionnelles qu’elle a provoquées ont pu accélérer des processus à l’oeuvre ou au contraire les ralentir, voire y mettre un terme au profit d’autres mutations.
Axe 2 : Les inégalités territoriales en matière de santé, quels constats et quels diagnostics ?
L’analyse des dynamiques territoriales en matière d’accès au soin constituera un deuxième axe de réflexion. Si l’inégale répartition de l’offre médicale dans certaines régions est mise en évidence depuis le XVIIIe siècle (Carini-Belloni, 2022), le phénomène s’est accentué au cours des dernières années (Vigneron, 2011). Ainsi, la densité de médecins généralistes libéraux n’a cessé de diminuer entre 2012 et 2022 (-13 % pour la région Hauts-de-France et -12 % en France métropolitaine), tandis que l’inégale répartition des praticiens sur le territoire conduit, de fait, à des disparités importantes pour certaines spécialités comme la psychiatrie (3,9 pour 100 000 habitants dans les Hauts-de-France contre 9,2 pour l’ensemble du territoire métropolitain). Ces chiffres, qui servent à la production de cartes visant à mettre en évidence des formes de désertification médicale, doivent être croisées à d’autres données liées à l’analyse des besoins de santé d’une population (Déplaude, 2011) pour affiner description de l’accessibilité spatiale aux soins en France (comme l’accessibilité potentielle localisée). On se posera alors la question des indicateurs utilisés pour identifier les zones déficitaires ou sous dotées par les pouvoirs publics, tout en s’interrogeant sur la spécificité de la santé publique par rapport à d’autres secteurs en termes de dynamiques (éducation, culture, sport, commerces). La dimension territoriale dans le choix d’implantation des professionnels de santé constituera également une piste de réflexion (Dumontet et alii, 2016)
Axe 3 : Le rôle des acteurs institutionnels dans la réduction des inégalités d’accès au soin
La crainte du corps médical de voir remise en question la liberté d’installation apparaît aujourd’hui comme un puissant facteur de mobilisation professionnelle, tandis que la régulation de l’installation des dentistes entrée en vigueur début 2025 révèle les tentatives de contrôle de la répartition des professionnels sur le territoire. Cependant, au-delà de l’alternative classique entre politiques incitatives et exercice de la contrainte, on se penchera sur la diversité des mesures adoptées pour tenter de « repeupler » des zones sous-dotées par l’État ou les collectivités territoriales (Chevillard et alii, 2015). Dans le sillage de nombreux travaux en économie de la santé, on s’interrogera sur le rôle des politiques publiques dans la réduction des inégalités territoriales en matière de santé. On se penchera sur l’éventail des mesures déployées, à commencer par celles qui concernent la formation et l’installation des jeunes médecins (contrat d’engagement de service public, aides à l’installation…), dont le caractère éclaté et peu coordonnée peut nuire à la lisibilité (Barnay, 2024). Plus largement, les évolutions récentes du gouvernement de la santé publique – la mise en place des ARS et du schéma régional, de la création des communautés professionnelles territoriales de santé ou encore de la suppression du numerus clausus (Déplaude, 2019) – permettent d’envisager le rôle de l’État régulateur sur les professionnels de la santé (Hassenteufel, 1997 ; Schweyer, 2010). Enfin, les stratégies locales pour recruter des professionnels de santé (ARS, collectivités locales, élus, organisations professionnelles, syndicats) et le recours au marketing territorial dans des zones peu attractives seront étudiées, en lien avec les politiques d’aménagement du territoire (Chamard, Gayet, 2014 ; Alaux et alii, 2024).
Dans une perspective résolument interdisciplinaire, cet appel à communications s’adresse aux chercheuses et chercheurs en sciences humaines et sociales (sociologie, science politique, droit, économie, histoire, géographie) autant qu’en sciences de la santé (santé publique, sciences infirmières). Pour rejoindre les préoccupations de recherche de la Chaire Santé, Vulnérabilités, Territoires, les études portant sur la région Hauts-de-France seront les bienvenues, même si tous les espaces pourront être envisagés, pour permettre les comparaisons entre terrains d’enquête. Les communications pourront être faites en français ou en anglais.
Le colloque aura lieu à Sciences Po Lille, 9 rue Angellier.
Pour répondre à l’appel à communication, merci d’adresser pour le 30 avril un résumé de la proposition en 5000 signes accompagné d’une brève biographie de l’auteur·e à l’adresse suivante : charles-antoine.wanecq@sciencespo-lille.eu
Comité d’organisation :
-Sandrine Lévêque, PU en science politique, Sciences Po Lille, CERAPS
-Paul Quindroit, MCF en sciences infirmières, UFR3S, Université de Lille, METRICS
-Charles-Antoine Wanecq, Post-doctorant en histoire, Sciences Po Lille, IRHiS
-Jingyue Xing-Bongioanni, MCF en sociologie, Université de Lille, CLERSE
-Hélène Farcy, Responsable Territoire et partenariats, UFR3S, Université de Lille
Comité scientifique :
-Guillaume Chevillard, docteur en géographie, maître de recherches à l’IRDES
-Karine Faure, PU-PH, chef de service des maladies infectieuses au CHU de Lille, Vice-doyenne Recherche, UFR3S, Université de Lille
-Hélène Gorge, MCF HDR en sciences de gestion, ILIS, Université de Lille, LUMEN
-Mathilde Horn, PU-PH en psychiatrie, UFR3S, Université de Lille
-Christine Le Clainche, PU en économie, Université de Lille, LEM
-Pierre Mathiot, PU en science politique, Sciences Po Lille, CERAPS
-Etienne Peyrat, MCF en histoire, Sciences Po Lille, IRHiS
-Philippe Sabot, PU en philosophie, Université de Lille, STL
-Johanne Saison, PU en droit public, Université de Lille, CRDP
Suggestions bibliographiques
AGUILARD S., COLSON S., INTHAVONG K., 2017, « Stratégies d’implantation d’un infirmier de pratique avancée en milieu hospitalier : une revue de littérature », Santé Publique, 29, 2, p. 241-254.
ALAUX C., CARMOUZE L., ROCHETTE C., « Démarches d’attractivité des métropoles en matière de santé et de bien-être », in EDDAZI F, DOURNEL S ALLORANT P. GUÉRIT F., 2024, Intercommunalité et santé: un nouvel acteur de la santé publique ?, Le Kremlin-Bicêtre, Mare & Martin, p. 269-285.
BARNAY T., 2024, « Réguler la répartition des médecins libéraux sur le territoire. Quelles réponses aux enjeux économiques et de santé publique ? », Revue française des affaires sociales, 244, 4, p. 232‑255.
BISSONNETTE L., WILSON K., BELL S., SHAH T.I., 2012, « Neighbourhoods and potential access to health care: The role of spatial and aspatial factors », Health & Place, 18, 4, p. 841-853.
BOURGUIGNON M., DOIGNON Y., EGGERICKX T., SANDERSON J.-P., VANWAMBEKE S., 2024, « La mortalité selon les causes de décès : approches spatio-temporelles », Espace populations sociétés. Space populations societies, 2023/3-2024/1.
CARINI-BELLONI B., 2022, Dynamiques professionnelles et spatiales de l’offre de soins primaires. Étude sociologique des centres de santé en France (19e-21e siècles), Thèse de doctorat, Paris 13.
CHAMARD C., GAYET J, ALAUX C., GOLLAIN V., BOISVERT Y., 2014, Le marketing territorial: comment développer l’attractivité et l’hospitalité des territoires ?, Louvain-La-Neuve, De Boeck.
CHAZE M., LANGLOIS É., MÉRIADE L., ROCHETTE C., 2021, « Intérêts et limites d’une approche cartographique et géographique pour le management des parcours de soins en santé : l’exemple de l’Auvergne », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, 3, p. 397-420.
CHEVILLARD G., MOUSQUES J., LUCAS-GABRIELLI V., BOURGUEIL Y., RICAN S., SALEM G., 2015, « Mesure de l’impact d’une politique publique visant à favoriser l’installation et le maintien de médecins généralistes : l’exemple du soutien au développement des maisons et pôles de santé en France », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, 4, p. 657-694.
CHEVILLARD G., LUCAS-GABRIELLI V., MOUSQUES J., 2018, « “Déserts médicaux” en France : état des lieux et perspectives de recherches », L’Espace géographique, 47, 4, p. 362-380.
CHEVILLARD G., MOUSQUÈS J., 2018, « Accessibilité aux soins et attractivité territoriale : proposition d’une typologie des territoires de vie français », Cybergeo: European Journal of Geography.
CORIS M., BOMPART L., DUFAU J., 2022, La problématique de l’accès aux soins face aux défis de la déprise médicale : quelles perspectives territoriales ?, Rapport, Bordeaux Sciences Economiques UMR 6060.
DAGOT C., 2024, « Perceptions et motivations des jeunes médecins à exercer en zones désertifiées face aux incitations des élus locaux : entre discours stéréotypés et pratiques effectives », Revue française des affaires sociales, 244, 4, p. 256‑284.
DELATTRE E., SAMSON A.-L., 2013, « Stratégies de localisation des médecins généralistes français : mécanismes économiques ou hédonistes ? », Economie et Statistique, 455-456.
DENOYEL-JAUMARD A., CHASLES V., 2016, « Lecture géographique des “déserts médicaux” », Revue générale de droit médical, 58, p. 25-38.
DÉPLAUDE M.-O., 2009, « Une fiction d’institution : les “besoins de santé” de la population », in Comment se construisent les problèmes de santé publique, La Découverte, p. 255‑272.
DUMONTET M., SAMSON A.-L., FRANC C., 2016, « Comment les médecins choisissent-ils leur lieu d’exercice ? », Revue française d’économie, 4, p. 221-267.
FAURE O., 2020, Contre les déserts médicaux: les officiers de santé en France dans le premier XIXe siècle, Tours, Presses universitaires François-Rabelais.
FREIDSON E., 1970, La profession médicale, Paris, Payot.
GALFOUT S.M., SCHWINGROUBER J., COLSON S., 2024, « Infirmier en pratique avancée : un leadership en expansion », Éducation Permanente, 241, 4, p. 115-121.
GELLY M., MARIETTE A., PITTI L., 2021, « Santé critique. Inégalités sociales et rapports de domination dans le champ de la santé », Actes de la recherche en sciences sociales, 236-237, 1, p. 4-19.
HARDY A.-C., 2013, « Les transformations du genre médical », Recherche, santé, social, p. 111-132.
HASSENTEUFEL P., 1997, Les médecins face à l’État: une comparaison européenne, Paris, France, Presses de Sciences Po.
HONTA M., 2021, « Médicaliser les inégalités sociospatiales. La légitimation sanitaire des mises en politique de la lutte contre la précarité en milieu rural », Revue française des affaires sociales, 3, p. 69-87.
JEDAT V., DESNOUHES A., ANDRIEUX M., BESNIER M., ARCHAMBAULT P., 2022, « État des lieux des actions favorisant l’installation des médecins généralistes en France métropolitaine », Santé Publique, 34, 2, p. 231-241.
MÉRIADE L., ROCHETTE C., TALBOT D., 2019, « Towards a management of public governance tensions in health care institutions? A proposal for a response through the analysis of proximities », Innovations, 60, 3, p. 169-199.
MOYAL A., 2019, « Rationalisation des pratiques professionnelles en maisons de santé pluriprofessionnelles. Le paradoxe d’un exercice libéral sous contraintes », Revue française de science politique, 69, 5, p. 821‑843.
PITTI L., 2021, « Le renouveau d’une utopie ? Lutter contre les inégalités sociales de santé en médecine générale : les métamorphoses de la médecine sociale dans les quartiers populaires en France, des années 1970 à aujourd’hui », Revue française des affaires sociales, 3, p. 305-317.
SCHWEYER F.-X., 2010, « Ni artisan, ni salarié. Conditions et enjeux de l’installation en médecine générale libérale », dans Singuliers généralistes, Presses de l’EHESP, p. 379-402.
VIGNERON E., 2011, Les inégalités de santé dans les territoires français: état des lieux et voies de progrès, Issy-les-Moulineaux, Elsevier Masson.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire