vendredi 17 janvier 2025

Protéger les corps au travail

Protéger les corps au travail: Dispositifs techniques, matérialités sanitaires et imaginaires politiques

Appel à communications

Université de Genève, 18-19 Septembre 2025

[English version below]

Comment protéger les corps au travail dans des environnements malsains ? Masques, gants, lunettes, casques, ventilateurs, hottes, capots, fusibles et détecteurs de pollution sont autant d’objets qui ont été déployés pour protéger la santé et assurer la sécurité des individus dans des espaces dangereux. Derrière leur matérialité et leur fonctionnalité, ils portent en eux les récits d’innovations techniques, de résistances ouvrières, de transformations sociales et d’adaptations aux environnements toxiques et pollués. Ils révèlent aussi des arbitrages complexes dans le gouvernement des risques, toujours marqués par des tensions entre productivisme industriel, préservation de la santé, et justice sociale, entre attributions des responsabilités aux individus et aux collectifs, entre les temporalités de l'accident et de la maladie chronique. Que nous apprennent ces objets sur les stratégies adoptées par les sociétés, passées et présentes, pour concilier protection et exploitation, progrès technique et vulnérabilité des corps, ou encore sur les impacts de l’industrialisation sur la santé publique et l’environnement ?

Le colloque international Protéger les Corps au Travail: Dispositifs Techniques, Matérialités Sanitaires et Imaginaires Politiques propose d’étudier les technologies de préservation de la santé, du Moyen Âge à nos jours, dans les espaces de travail, les villes ou encore dans les contextes coloniaux. À travers des perspectives pluridisciplinaires et transnationales, ce colloque mettra en lumière la manière dont les objets et dispositifs sanitaires ont façonné et ont été façonnés par des dynamiques sociales, culturelles, scientifiques et industrielles. Nous invitons les chercheur·es de tous horizons à soumettre des contributions originales sur la santé au travail et la santé environnementale s’inscrivant dans une réflexion sur la matérialité des objets techniques, leurs significations symboliques, leur circulation, leurs usages et leurs non-usages.

Imaginaires du Risque et Acteurs de la Prévention

Les objets et dispositifs de protection sanitaire ne sont pas de simples solutions techniques : ils incarnent une intersection complexe entre matérialité, savoirs scientifiques et imaginaires sociaux. Destinés à répondre à des problématiques sanitaires, ils véhiculent des croyances, des valeurs et des normes, et reflètent souvent les ambitions et contradictions de leur époque. Inspiré par les travaux de Gilbert Simondon, qui définit les objets techniques comme des médiateurs entre humains et environnement, et de Sheila Jasanoff, Soraya Boudia et Nathalie Jas, qui explorent le rôle des technologies dans la co-construction des valeurs sociales et des structures de pouvoir, cet axe interroge les significations attribuées aux objets sanitaires à travers le temps. En particulier, il invite à explorer les imaginaires socio-discursifs entourant ces objets : comment symbolisent-ils des concepts tels que « travail sain », « air pur », « hygiène industrielle », ou encore « environnement protégé » ? En quoi reflètent-ils les tensions entre prévention et productivité, entre innovation technique et inégalités sociales ? Qui sont les acteurs et les institutions qui en font la promotion ? Dépassant une simple analyse fonctionnelle, cet axe propose d’étudier les objets comme des reflets des transformations sociales, scientifiques et politiques, où convergent une pluralité de perceptions des risques.

Circulations des Objets et Reconfiguration des Espaces

À bien des égards, on peut considérer les dispositifs sanitaires comme des objets de conquête des espaces considérés comme dangereux, hostiles ou insalubres. D’ailleurs, un même objet peut être destiné à des usages multiples. À ce titre, les dispositifs sanitaires apparaissent comme des médiateurs entre différents univers – artisanal, médical, hospitalier, de salubrité publique – incarnant l’idée d’une protection mobile, voire universelle. Ces objets agissent comme des "objets-frontières", traversant et connectant des espaces longtemps considérés comme distincts : l’atelier, la prison, l’hôpital, la ville, le bureau et la nature. Quels savoirs, discours et pratiques accompagnent ces déplacements ? Comment ces objets, initialement conçus pour répondre à des risques spécifiques, sont-ils transformés, adaptés ou re-signifiés lorsqu’ils circulent d’un espace à un autre ? Cet axe invite à interroger leur circulation non seulement entre ces espaces, mais aussi à travers les frontières nationales. L’étude de leur matérialité et de leur fonctionnalité doit également permettre d’éclairer les dynamiques transnationales qui façonnent les écologies de la santé et à réfléchir à la manière dont la circulation des objets révèle des flux d’idées, de savoirs et de techniques entre les nations, tout en influençant les conceptions locales et internationales qui prévalent à la définition des normes de santé publique, des conditions de travail et des enjeux environnementaux dans un monde globalisé.

Politique des Objets et Usages Négociés

Les dispositifs sanitaires sont au coeur des dynamiques de pouvoir. Imposés comme des solutions aux dangers industriels, épidémiques ou environnementaux, ils traduisent des normes sanitaires portées par des institutions – employeurs, médecins, hygiénistes, États – mais suscitent aussi résistances, réappropriations ou rejets. Cet axe propose d’explorer ces tensions en montrant comment ces objets agissent à la fois comme des instruments de contrôle et des médiateurs du changement social. Comment ces dispositifs sont-ils introduits et légitimés dans des contextes spécifiques ? Et comment les travailleurs ou les populations ciblées perçoivent-ils leur efficacité au quotidien ? En quoi ces dispositifs modifient-ils les gestes, les rythmes et les routines du travail par exemple ? Comment ces objets influencent-ils les rapports individuels et collectifs au corps, à la santé et à l’environnement ? Comment sont-ils réinterprétés ou détournés pour répondre à des besoins concrets ou contourner des contraintes perçues comme inutiles ou oppressantes ? En interrogeant ces questions, ce dernier axe met en lumière les rapports de force qui se nouent autour des dispositifs sanitaires. Outils de surveillance ou d’autonomisation, symboles d’aliénation ou de progrès, les objets de santé sont au coeur des dynamiques politiques et sociales plus larges. En étudiant leurs usages, leurs appropriations ou leur rejet, il s’agit de mettre en lumière la manière dont les objets cristallisent et redéfinissent les rapports entre les employeurs, les travailleurs, les institutions scientifiques, les instances nationales et internationales de régulation et les publics, tout en révélant les tensions entre santé des corps et productivité, justice sociale et santé environnementale.

Soumissions :

Les propositions doivent inclure une problématique et les sources étudiées (300-500 mots) ainsi qu’une brève biographie (150 mots).

Les contributions en français ou en anglais sont acceptées, et celles portant sur des contextes extra-européens sont particulièrement encouragées.

Date limite de soumission : 1er mars 2025

Envoyer vos propositions à : veronique.stenger@unige.ch; yohann.guffroy@unige.ch; bruno.strasser@unige.ch




English version

Protecting Bodies at Work: Technical Devices, Materialities of Health, and Political Imaginaries

University of Geneva, September 18-19 2025

How have workers' bodies been protected in hazardous working environments? Masks, gloves, goggles, helmets, ventilators, fume hoods, radiation detectors, shields, and fuses are just some of the devices deployed to safeguard health and ensure safety in dangerous spaces. Beyond their materiality and functionality, they carry with them the stories of technical innovations, workers' resistances, social transformations, and adaptations to toxic and polluted environments. They also reveal the complex trade-offs involved in the governance of risks, always marked by tensions between industrial productivism, health preservation, and social justice, between assigning responsibility to individuals and to collectives, and between the temporalities of accidents and chronic illness. What can these objects teach us about the strategies that past and present societies have adopted to balance protection and exploitation, technical progress and bodily vulnerability, and the impacts of industrialization on public health and the environment?

The international conference Protecting Bodies at Work: Technical Devices, Materialities of Health, and Political Imaginaries aims to explore the history of health technologies from the Middle Ages to the present in workplaces, urban areas, and colonial contexts. Through multidisciplinary and transnational perspectives, this conference will investigate how health-related objects and devices have both shaped and been shaped by social, cultural, scientific, and industrial dynamics. We invite researchers from all disciplines to submit original contributions in the field of

occupational health and environmental health, focusing on the materiality, symbolic significance, circulation, uses, and disuses of sanitary objects.

Imaginaries of Risk and Prevention

Health protection devices are more than practical solutions; they embody a complex interplay of materiality, scientific knowledge, and social imaginaries. Designed to address health concerns, they carry beliefs, values, and norms, reflecting the ambitions and contradictions of their time. Inspired by Gilbert Simondon’s notion of technical objects as mediators between humans and their environment, and the works of Sheila Jasanoff, Soraya Boudia and Nathalie Jas on how technologies co-construct societal values and power structures, this theme examines how health-related objects have been perceived over time. How do they symbolize concepts like “healthy work,” “clean air,” “industrial hygiene,” or “protected environment”? How do they reflect tensions between prevention and productivity, innovation and inequality? Who are the actors and institutions promoting these devices? Moving beyond a functional analysis, this theme explores objects as reflections of broader social, scientific, and political transformations.

Circulation of Objects and Reconfiguration of Space

Health protection devices can be seen as tools for conquering spaces deemed dangerous, hostile, or unhealthy, often designed for multiple uses. These devices act as "boundary objects," crossing and linking distinct realms such as workshops, hospitals, urban spaces, and natural environments. What knowledge, practices, and narratives accompany these circulations? How are these devices transformed or reinterpreted as they move between spaces or across national and cultural borders? This theme invites contributions exploring not only their circulation but also how their transnational movement reveals flows of ideas, knowledge, and techniques while shaping local and global public health norms, working conditions, and environmental challenges.

The Politics of Objects and Negotiated Uses

Health devices are deeply embedded in power dynamics. Imposed as solutions to industrial, epidemic, or environmental risks, they reflect sanitary norms advanced by employers, medical professionals, hygienists, or states. Yet, they also face resistance, reappropriation, or rejection. This theme explores these tensions, examining how such devices function as both instruments of control and catalysts for social change. How are these devices introduced and legitimized? How do workers or targeted populations perceive and adapt them in their daily lives? How do they reshape work routines or individual and collective relationships with health and the environment? By studying their uses, appropriations, or rejections, this theme sheds light on the power relations surrounding health devices and how they redefine interactions between employers, workers, scientific institutions, regulatory bodies, and the public, revealing the ongoing tensions between bodily health, productivity, social justice, and environmental health.

Submissions:

Proposals should include a brief description of the research question(s) and the sources to be studied (300–500 words), and a short biography (150 words).

Contributions in French or English are welcome, and those focusing on non-European contexts are particularly encouraged.

Submission Deadline: March 1, 2025

Send your proposals to: veronique.stenger@unige.ch, yohann.guffroy@unige.ch, bruno.strasser@unige.ch

Références principales / Main References :

1. Boudia, Soraya, and Nathalie Jas, editors. Powerless Science? Science and Politics in a Toxic World, Berghahn Books, 2014.

2. Bruno Anne-Sophie, Geerkens Éric, Hatzfeld Nicolas, Omnès Catherine (dir.), La santé au travail, entre savoirs et pouvoirs (19e-20e siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011

3. Greenlees Janet, When the Air Became Important: A Social History of the New England and Lancashire Textile Industries, Rutgers University Press, 2019.

4. Guignard, Laurence, et al., éditeurs. Corps et machines à l’âge industriel. Presses universitaires de Rennes, 2011.

5. Jarrige, F. et Le Roux, T. La Contamination du monde. Une histoire des pollutions à l'âge industriel, Paris, Le Seuil, 2017.

6. Jasanoff Sheila, Sang-Hyun Kim (ed.) Dreamscapes of Modernity. Sociotechnical Imaginaries and the Fabrication of Power, University of Chicago Press, 2015.

7. Moriceau, Caroline, Les douleurs de l'industrie: L'hygiénisme industriel en France, 1860-1914, Paris, Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2010.

8. Rainhorn Judith, Blanc de plomb. Histoire d'un poison légal, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2019.

9. Rosental Paul-André (dir.), Silicosis. A World History, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2017.

10. Rosner, David, and Gerald Markowitz, eds. 1989. Dying for Work: Workers’ Safety and Health in Twentieth-Century America. Bloomington: Indiana University Press.

11. Sellers Christopher, Hazards of the job: from industrial disease to environmental health science, Chapel Hill and London, University of North Carolina Press, 1997.

12. Weindling Paul (ed), The Social History of Occupational Health, London, Croom Helm, 1985.

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