lundi 23 octobre 2023

Les figures de l’addiction

Les figures de l’addiction : une approche socio-historique

 
Appel à contribution 

pour la revue Drogues, Santé et Société
https://drogues-sante-societe.ca/
Numéro coordonné par Johanne Collin
 

Argumentaire
Les études portant sur l’histoire de l’addiction aux substances se sont traditionnellement focalisées sur les politiques concernant les drogues, les enjeux qu’elles soulèvent et qu’elles ont soulevé, d’une société à une autre et d’une époque à une autre (Herzberg, 2020). Toutefois, dans les sociétés occidentales contemporaines, le paysage de l’addiction aux substances s’est complexifié au cours des dernières décennies. D’une part, la surprescription de médicaments psychotropes depuis les années 1960 a contribué à faire émerger de nouvelles figures de l’addiction, élargissant le regard, de l’usage des drogues de rues, à celui des médicaments psychotropes (Boeri, 2013; Herzberg, 2006). D’autre part,
le recours à des médicaments psychostimulants et autres substances en vue d'améliorer les
performances au travail et dans les études est de plus en plus prégnant (Otero & Collin, 2015). Dans ce numéro thématique, nous proposons d’aborder le phénomène de l’addiction aux substances dans une perspective sociologique, anthropologique et historique en l’abordant sous trois angles.
Le premier vise à baliser le contexte historique de l’accès aux substances psychotropes (drogues et médicaments) à travers l’exploration de thématiques telles que l’histoire des mouvements sociaux (ex. Mouvement de tempérance, prohibition, etc.); l’évolution des lois et règlements concernant la prescription et l’accès aux médicaments psychotropes (psychostimulants, anxiolytiques, psychédéliques, etc.) et la perspective historique sur les frontières changeantes entre substances contrôlées et non contrôlées.
Le deuxième angle proposé est celui des «autres» figures de l’addiction : des «usagers des drogues de rues» aux «femmes de banlieues cossues». La question qu’il vise à explorer est la suivante : comment la culture et les dynamiques sociales façonnent-elles les limites d’une acceptabilité sociale face aux dépendances d’une société à une autre et d’une époque à une autre? Lorsque la dépendance aux substances origine de la prescription de médicaments pour gérer la douleur et la maladie, est-elle mieux acceptée que lorsqu’elle est issue d’un usage d’abord récréatif? Deux exemples provenant de recherches historiques et anthropologiques constituent des illustrations fécondes face à ce questionnement. Le
premier est celui des femmes de banlieues américaines cossues devenues dépendantes aux anxiolytiques dans les années 1970 (Herzberg, 2006). Le deuxième, plus contemporain, porte également sur les femmes des banlieues américaines, à la fois mères de famille et usagères régulières de méthamphétamines (Boeri, 2013). Existe-t-il d’autres exemples de figures «atypiques» de l’addiction (Boeri, 2005) ? Les articles susceptibles de contribuer de manière empirique ou théorique à cette question sont les bienvenus.
Finalement, le troisième angle d’approche proposé concerne les « usagers fonctionnels» et vise en particulier les consommateurs de smart drugs, c’est-à-dire de médicaments et autres substances leur permettant répondre, voire, de dépasser les exigences de performance de leur milieu de travail ou d’étude (Bloomfield & Dale, 2015). Cet angle vise à explorer différents milieux ou métiers autour des questions de socialisation et de normes et à déconstruire à partir d’exemples concrets, documentés et fouillés, les concepts de performance et d’identité (Otero & Collin, 2015). Les smart drugs ont certes donné lieu à une littérature foisonnante depuis une quinzaine d’années, notamment en bioéthique (Brühl
et al., 2019), mais il existe relativement peu d’études sociologiques, anthropologiques ou historiques, susceptibles de dépasser les interprétations normatives les plus courantes (dopage, tricherie), pour rendre compte, de manière empirique et théorique, des usages sociaux répandus et banalisés de médicaments et autres substances à des fins de performance(Collin, 2021).

En définitive, à travers ces trois angles d’approche, ce numéro thématique a pour ambition de revisiter le concept d’addiction en posant, en filigrane les questions suivantes :
a. Quel rôle joue le type de substance consommée au niveau de l’acceptabilité sociale, selon qu’il provient de sources légales ou «légitimes» (médecins, industrie pharmaceutique) ou non ?
b. Quel rôle joue l’origine de l’addiction (blessure/maladie ou usage récréatif)
sur le jugement social/moral qui pèse sur elle?
c. La définition de ce qu’est la dépendance aux substances est-elle indissociable de la capacité ou non à fonctionner en société ?
d. Qu’en est-il de la temporalité dans la trajectoire de consommation : un usager est-il forcément un toxicomane en devenir ?
 

Références:
Bloomfield, B., & Dale, K. (2015). Fit for work? Redefining ‘Normal’ and ‘Extreme’
through human enhancement technologies. Organization, 22(4), Art. 4.
https://doi.org/10.1177/1350508415572507
Boeri, M. (2013). Women on Ice : Methamphetamine Use among Suburban Women.
Rutgers University Press.
Boeri, M. W. (2005). “Hell, I’m An Addict, But I Ain’t No Junkie” : An Ethnographic
Analysis of Aging Heroin Users. Human Organization, 63(2), 236‑245.
https://doi.org/10.17730/humo.63.2.p36eqah3w46pn8t2
Brühl, A. B., d’Angelo, C., & Sahakian, B. J. (2019). Neuroethical issues in cognitive
enhancement : Modafinil as the example of a workplace drug? Brain and
Neuroscience Advances, 3, 239821281881601.
https://doi.org/10.1177/2398212818816018
Collin, J. (2021). Médicament et frontières : Adaptation, ambivalence, plasticité. Socioanthropologie,
43, Art. 43. https://doi.org/10.4000/socio-anthropologie.8070
Herzberg, D. (2006). « The Pill You Love Can Turn on You » : Feminism, Tranquilizers,
and the Valium Panic of the 1970s. American Quarterly, 58(1), 79‑103.
Herzberg, D. (2020). White Market Drugs : Big Pharma and the Hidden History of
Addiction in America. In White Market Drugs. University of Chicago Press.
https://doi.org/10.7208/9780226731919
Otero, M., & Collin, J. (2015). Insiders, smart drugs et pharmaceuticalisation : Éléments
pour une typologie de la nouvelle déviance conformiste. Cahiers de recherche
sociologique, 59‑60, 157‑178. https://doi.org/10.7202/1036791ar
 

Modalités de soumission
Une proposition d’article est attendue pour le 31 octobre 2023. Elle précisera
l’objet et le questionnement de recherche, les données et la méthodologie mobilisées,
afin de faciliter le travail d’arbitrage.
Elle doit être adressée à la coordinatrice du dossier : johanne.collin@umontreal.ca ou
directement à la revue Drogues, Santé et Société : https://drogues-santesociete.
ca/auteurs/appels-aux-auteurs/
La remise des textes rédigés est fixée au 31 mars 2024.

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