jeudi 19 janvier 2023

Baigner et laver son corps en ville

Baigner et laver son corps en ville : aménagements, politiques et expériences

Appel à contribution
 

Numéro thématique de la revue Géographie et cultures
Dossier thématique proposé par Lucie Bony et Marie Chabrol

Argumentaire
À chaque culture, des espaces et des pratiques de bains publics : thermes romains, temazcal mexicain, hammam, sauna, sento japonais, bain ayurvédique indien, etc. (Dib, 2021). Chacun de ces bains possède ses rituels qui se déploient dans des espaces dédiés et changent au fil du temps. Ce dossier thématique entend traiter des lieux contemporains de bains publics en ville dans leur diversité : lacs, rivières, canaux, piscines, bains-douches, fontaines, hammams, saunas, bassins, pataugeoires, miroirs d’eau, street-pooling, etc.
La diversité de ces lieux et de ces pratiques de bain incite à questionner les héritages géographiques, culturels et politiques qui font diverger les aménagements, les politiques et les expériences du bain et du lavage du corps hors du domicile (Laty, 1996 ; Le Bas, 2000). Il sera ainsi intéressant de mettre au jour des similarités ou des différences dans les pratiques et les espaces de bains selon les contextes (géographiques, historiques, sociaux, politiques, etc.) et d’analyser la diffusion à différentes échelles de ces pratiques, de ces politiques ou de ces aménagements.
Par ailleurs, ce dossier thématique s’appuie sur le constat d’un regain d’intérêt pour l’eau en ville. En effet, si de nombreuses villes occidentales ont caché leurs eaux aux XIXème et XXème siècles, à cause des risques d’inondation et de transmission des épidémies, il semble qu’aujourd’hui l’eau refasse surface et soit plébiscitée. On constate un regain d'intérêt de la part des acteurs de la ville pour la reconquête des cours d'eau en ville ou encore la requalification des berges (Hérard et Lallement, 2022). Chercheur.es et professionnel.les constatent ainsi un nouveau « désir d'eau » chez les citadin.es (Haghe et Euzen, 2018 ; Moutiez, 2021). Depuis quand et comment cette demande sociale s’exprime-t-elle ? Quelles sont les logiques qui sous-tendent cette revendication d’un « droit à se baigner » ou d’un « droit à l’eau récréative » (Association Rés-EAUx, 2022) ? Dans le même temps, et paradoxalement, à l’heure où l’immense majorité des logements est équipée en salle de bains privative, la ville tend aussi à « s’assécher » pour celles et ceux qui n’ont pas de chez-soi (Bacquaert et Richelle, 2022). À l’exception notoire de Paris, les bains-douches publics qui permettaient à tous et toutes de se laver à bon marché ont fermé dans de nombreuses villes (Lévy-Vroelant et Ménard, 2020 ; Richelle, 2022) et, si les structures associatives prennent le relai, c’est au prix d’une forte segmentation des publics (SDF, toxicomanes, jeunes, femmes, etc.).
Ce dossier thématique a donc pour ambition d’étudier conjointement la baignade et le lavage en ville pour questionner l’articulation et la tension entre différents enjeux, usages et fonctions du bain, à savoir l’hygiène, le soin, le sport, le loisir ou encore la détente et le plaisir. Comment tout cela se conjugue-t-il ? Comment la valorisation de chacun de ces aspects du rapport pratique et symbolique à l’eau varie-t-elle selon les époques et les valeurs en vogue ? Le glissement d’un usage hygiénique de l’eau en ville à un usage d'agrément est-il généralisé et inéluctable ? Est-on aujourd’hui capable de penser un bain qui soit à la fois fonctionnel et hédonique, accessible au plus grand nombre et en phase avec les problématiques écologiques contemporaines ?
Le titre de ce dossier met l’accent sur une approche géographique des corps (Blidon et Zeneidi, 2021), car les bains qui y sont abordés sont des lieux publics (c’est-à-dire situés hors du domicile, de l’espace
privé) mais aussi intimes : le corps des usagers est exposé, on s’y présente nu ou légèrement vêtu (Barthe-Deloizy, 2003). Pour veiller au respect des « bonnes moeurs », les gestionnaires de bains se sont longtemps attelés à la séparation des corps : des bains collectifs ou individuels, des bains pour hommes ou pour femmes, des bains pour enfants ou adultes, etc. Ces séparations peuvent s’atténuer ou se reconfigurer avec le changement des normes sociales et culturelles. À l’inverse, d’autres éléments peuvent être mobilisés pour restreindre les usages et/ou l’accès de certain.e.s à ces lieux : l’obligation du port d’une tenue de bain définie, par exemple, exclut certaines pratiques telles que le naturisme ou le port d’autres tenues telles que les monokini et burkini. Rappeler l’importance des corps dans l’étude des bains invite aussi à analyser la dimension sensorielle des expériences de baignade et à interroger la manière dont les caractéristiques physiques visibles ou supposées des individus (des corps masculins, féminins, jeunes, âgés, sportifs, handicapés, etc.) déterminent en partie leurs pratiques spatiales mais aussi celles des autres, dans des logiques de co-présence ou au contraire d’évitements.


Axes et questionnements
Trois approches (non exclusives les unes des autres) peuvent être développées dans les articles attendus pour ce dossier thématique.

- Aménagement
On s’intéresse tout d’abord aux aménagements des lieux de baignade et de lavage. Comment ces bains se matérialisent-ils concrètement dans l’espace ? Les recherches menées sur les baignades en rivières donnent, par exemple, à voir les évolutions de ces aménagements au fil du temps et montrent que ceux-ci sont très sensibles aux progrès techniques, dans le choix des matériaux de construction, mais aussi dans les techniques de chauffage et de nettoyage de l’eau (Duhau, 2007). Les aménagements extérieurs comme intérieurs, les décors, le mobilier, sont aussi des entrées intéressantes pour comprendre comme des établissements peuvent être « mis en scène » afin de capter des publics spécifiques, à l’exemple des hammams étudiés à Marseille par Emilie Francez (2017). Il s’agit aussi de s’interroger sur la manière dont les équipements sont pensés et gérés pour réguler les corps, séparer les hommes et les femmes, les enfants et les adultes, les riches et les pauvres, les corps valides ou diminués ou, au contraire, pour les faire coexister spatialement dans une démarche inclusive. Se pose aussi la question de la patrimonialisation de ce bâti, parfois monumental et de grande qualité architecturale, parfois plus modeste et construit dans une logique de conservation éphémère (Livraisons de l'histoire de l'architecture, 2007 ; In situ, à paraître).

- Politiques
Les analyses présentées pourront aussi aborder les politiques publiques qui contribuent à l’institutionnalisation de ces bains, par leur promotion et par leur encadrement. Ces politiques relèvent de divers champs selon les intentions qui les sous-tendent : ce sont des politiques urbaines, sociales, sportives, sanitaires, etc. Quels sont les acteurs impliqués ? Quels sont les publics visés ? Quels sont les moyens mis en place par les acteurs politiques pour développer les pratiques liées à l’eau (la natation par exemple, dont on sait comme son apprentissage et sa pratique sont révélateurs de profondes inégalités territoriales et sociales (Rouca, 1996 ; Préteceille, 1998 ; Caille, 2021)) ? Les articles pourront aussi traiter des tensions et des débats générés par certaines pratiques de bain, licites ou illicites : comment sont-ils régulés ? Peuvent-ils donner lieu à de nouvelles politiques ? Les politiques de contrôle des corps dans les bains méritent aussi d’être analysées, par les règles d’habillement par exemple (Millet, 2022). Il pourra également être intéressant d’interroger la façon dont les problématiques environnementales et énergétiques donnent une nouvelle actualité politique à cette question de l’eau et des bains en ville. En témoigne la baisse de la température de l’eau de certains bassins, mais aussi la fermeture récente de piscines publiques en raison de la hausse des prix de l’énergie.

- Expériences
Enfin, les articles pourront aussi analyser l’expérience que représente cette mise à l’eau des corps en ville : l’aspect sensible de cette expérience, du rapport intime à l’eau mais aussi l’aspect éminemment social et culturel. Il s’agit de s’intéresser à la dimension sensorielle des usages de l’eau en ville à travers nos cinq sens et de voir comment elle marque les expériences actuelles ou passées (dans l’enfance notamment ou lors de voyages). Les rapports à l’eau, à la nudité, à la propreté ou encore à la proximité des autres corps sont le produit de la socialisation et peuvent ainsi être analysés en lien avec les histoires de vie de chacun.e. Les articles proposés peuvent aussi aborder les enjeux culturels des expériences du bain et l'évolution de leurs fonctions sociales, à l’instar de travaux menés sur les pratiques du hammam qui montrent leur caractère situé, leur évolution dans le temps ou encore leur rôle dans la construction et la spatialisation des identités de genre (Conner, 1987 ; Carlier, 2017). On peut enfin s’interroger sur le rôle de l’eau et du bain comme source de convivialité, d’apaisement, de rafraichissement : dans quelle mesure un accès facilité à l’eau et au bain rend-t-il l’espace public et la ville plus accueillants ?
Les propositions ancrées dans tous les contextes nationaux sont les bienvenues. Par ailleurs, ce numéro thématique est ouvert aussi bien aux contributions de géographes qu’à celles de spécialistes d’autres sciences sociales, sociologues ou historien·nes par exemple. Quel que soit le champ disciplinaire dans lequel les propositions d’article s’inscrivent, il est néanmoins attendu une explicitation de la dimension géographique et spatiale de la baignade et du lavage des corps en ville.


Modalités de soumission et d’évaluation
Les articles (entre 35 000 et 50 000 signes maximum, résumés et bibliographie inclus) sont à soumettre à la rédaction de la revue Géographie et cultures (gc@openedition.org), Lucie Bony (lucie.bony@cnrs.fr) et Marie Chabrol (marie.chabrol@u-picardie.fr) au plus tard le 31 mars 2023.
Les instructions aux auteur·e·s sont disponibles en ligne : http://gc.revues.org/605
Les articles seront évalués en double aveugle.


Références
ASSOCIATION Rés-EAUx, 2022, « Droit au cours/Plan d’eau », Séminaire de recherche annuel en Ecologie politique de l’eau (2022-2023), UMR LISIS.
BACQUAERT Pauline, RICHELLE Sophie, 2022, Corps sales/ville sèche, documentaire sonore réalisé dans le cadre des projets de recherche « Bains Publics : se laver en ville (1850-2000) » et « L’hygiène personnelle hors/sans/mal chez soi » (HyPer).
BARTHE-DELOIZY Francine, 2003, Géographie de la nudité : être nu quelque part, Editions Bréal, collection « D’autre part », 239 p.
BLIDON Marianne, ZENEIDI Djemila, 2021, « Le corps en géographie. Contextes, usages et enjeux », Conférence introductive festival international de géographie de Saint-Dié.
CAILLE Jean-Paul, 2021, « Maîtrise de la natation par les collégiens : l’influence des vacances d’été », Injep — Analyse & synthèse, n° 41, 4 p.
CARLIER Omar, 2000, « Les enjeux sociaux du corps. Le hammam maghrébin (XIXe-XXe siècle), lieu pérenne, menacé ou recréé », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 55, n° 6, pp. 1303-1333 DOI: https://doi.org/10.3406/ahess.2000.279917
CONNER Patrick, 1987, « On the bath: Western experience of the Hammam », Renaissance and Modern Studies, vol. 31, n° 1, pp. 34-42
DUHAU Isabelle, 2007, « Les baignades en rivière d'Ile-de-France : des premiers aménagements à la piscine parisienne Joséphine Baker », Livraisons d’histoire de l’architecture, n°14, pp. 9-38.
DIB Antoine (coord.), 2021, Public baths in the world. Between tradition and contemporaneity, Aracne.
FRANCEZ Emilie, 2017, Politiques et représentations du hammam à Marseille. Anthropologie d’un espace frontière, Thèse de Doctorat en anthropologie, Université Aix Marseille, 432 p.
HERAR Marianne, LALLEMENT Emmanuelle (coord.), 2022, En passant par les canaux… penser la ville contemporaine ?, Journée d’étude organisée à la MSH Paris Nord, 9 novembre 2022.
HAGHE Jean-Paul, EUZEN Agathe, 2018, « Une nouvelle catégorisation politique des eaux : la baignade en eau libre. L'exemple de Paris “ville baignable” », 3e conférence internationale sur les recherches et actions au service des fleuves et grandes rivières
LATY Dominique, 1998, Histoire Des Bains, Que Sais-Je, 127 p.
LE BAS Antoine, 2000, « Des piscines et des villes : genèse et développement d'un équipement de loisir », Histoire urbaine, vol.1, n° 1, pp. 145-162.
LEVY-VROELANT Claire, MENARD François, 2020, Dossier thématique « Bien plus que des bains-douches », Urbanisme, n°418, pp. 13-27.
Livraisons de l'histoire de l'architecture, 2007, Dossier thématique « Piscines », n° 14, [En ligne] URL : https://journals.openedition.org/lha/421
MILLET Audrey, 2022, Les dessous du maillot de bain. Une autre histoire du corps, Paris, Les Pérégrines, 280 p.
MOUTIEZ Julia, 2021, « Se baigner à nouveau dans la Seine : l’héritage promis par les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 », Projets de Paysage, n°25 [en ligne].
PRETECEILLE Edmond 1998, « Les inégalités d’équipement sportif en Ile-de-France », Les Annales de la recherche urbaine, n°79, pp. 90-100
In situ, à paraître, Dossier thématique « Le patrimoine de l’hygiène en France »
RICHELLE Sophie, 2022, Bains-Publics. Se laver en ville (1850-2000), Coll. Maison des sciences humaines, Editions de l’Université de Bruxelles.
ROUCA Caroline-Ariette, 1996, « Des équipements urbains pour le plaisir ? Piscines et pratiques sportives à Paris », Les Annales de la recherche urbaine, n°70, pp. 123-130.

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