jeudi 28 octobre 2021

Le soin technologique

Du soin technologique : enjeux historiques, conceptuels et empiriques des modes d’intrication entre technique(s) et soin(s) dans la médecine contemporaine

Appel à contribution
 

Cahiers François Viète, vol. III, n°15

Dirigé par Mathilde Lancelot, Xavier Guchet


Depuis le XIXe siècle en particulier, la médecine est le théâtre d’un développement, sans précédent, d’une « scientifisation », précisant ses méthodes, technicisant sa pratique. La physiologie s’affirme devant l’anatomie1 et les méthodes d’expérimentation se développent. La seconde moitié du XIXe siècle plus spécifiquement, a été marquée par une profusion de préparations animales et d’instruments complexes accompagnant cette importance croissante de la physiologie relativement aux autres approches du vivant2. Cette médecine dite scientifique est alors parfois rendue responsable de la mise à l’écart des humains en tant que sujets, notamment malades ou souffrants3.

Le psychanalyste Winnicott déplorait dans les années 1970 que « cure, au sens de traitement, d’éradication de la maladie et de sa cause, [tendît] à prendre le pas sur le sens de care (soin, intérêt, attention) »4. En d’autres termes, en se technicisant, la médecine améliorait certainement ses diagnostics, ses pronostics et sa capacité à apporter une réponse curative à certaines pathologies jusqu’alors incurables, mais cela se payait d’un prix élevé : un rapport de plus en plus impersonnel et « objectivant » au patient, dont la voix « subjective », les souffrances et les attentes ne sont plus écoutées.

Cette tension ancrée entre « cure » et « care », qui persiste encore aujourd’hui, est révélatrice d’une contradiction, elle aussi persistante, entre soin et technique, n’allant pourtant pas de soi.

Le désarroi que peuvent éprouver les soignants face aux nouvelles technologies existe sans doute. Toutefois, le risque annoncé d’un clivage pur et simple du « cure » et du « care » — de la médecine en tant que technique cherchant avant tout l’efficacité diagnostique, pronostique et curative (le « faire des soins » ou le « soigner un corps »), et de la médecine en tant qu’attention à la vulnérabilité, aux souffrances et aux préférences subjectives des patients (le « prendre soin d’un être, d’une personne ») — appelle un constat beaucoup plus nuancé que celui de Winnicott.

La littérature est en effet riche d’études empiriques qui montrent que ce clivage n’existe pas réellement ; qui montrent en tout cas que les nouvelles technologies ne sont pas aussi antinomiques des valeurs du soin qu’il pouvait le sembler à Winnicott. Qu’il s’agisse de dialyse5, de conception de valves cardiaques artificielles6, de prédiction des crises épileptiques chez les enfants à l’aide d’algorithmes7, de robots de soin8, de manipulation des cellules souches pluripotentes induites9, ces études récusent toutes la fausse opposition entre les technologies supposées « froides » et inhumaines (cold technologies) et le soin supposé « chaud » et humain (warm care)10. En médecine comme ailleurs, « comment concevoir un soin qui ne passe pas par l’invention technique ? »11. La « logique du soin » (logic of care) consiste avant tout à chercher, en contexte, la meilleure façon de combiner les éléments hétérogènes qui composent la situation de soin — ce qui inclut les technologies12.

Ce numéro spécial des Cahiers François Viète entend enrichir l’étude de ces relations complexes entre technologies et soin, au-delà de toute opposition simpliste. Une attention particulière sera portée aux propositions de contributions :
- qui seront consacrées à des études de cas précis démontrant plusieurs modes d’intrication (historiques, conceptuels, empiriques) entre soin et technologies ;
- qui mettent en dialogue des communautés scientifiques que ces questions concernent au premier chef, mais qui s’ignorent encore largement ; par exemple la philosophie des techniques (qui n’a pas entrepris de théoriser les relations soin/technologies) et les éthiques du care qui ne prêtent généralement pas attention au fait que le soin est, dans la plupart des cas, indissociable de la mise en oeuvre de techniques ;
- qui se focalisent sur les milieux de l’ingénierie des dispositifs (bio)médicaux participant à concevoir des technologies médicales qui produisent des relations et produisent du soin.
 

CALENDRIER
Les contributions pourront être proposées en français ou en anglais. L’appel à contribution se déroulera en trois temps :
1. Avant le 15 décembre 2021, envoi d’un document d’intention à l’équipe coordinatrice (mathilde.lancelot@univ-nantes.fr et xavier.guchet@utc.fr). Ce texte (.doc ou .odt) expliquera en 5 000 signes (espaces compris) le contenu de l’article en se référant de manière explicite aux termes et de l’appel à contribution qui ont retenu l’attention des auteur·e·s. Il permettra une pré-sélection des articles par l’équipe coordinatrice du Volume. Les auteur·e·s seront informé·e·s de la recevabilité de leur proposition courant janvier 2022.
2. Avant le 1er juin 2022, envoi des articles dont les propositions ont été acceptées (entre 30 000 et 50 000 caractères, espaces compris, liste de références non comprise) à l’équipe coordinatrice. Les articles seront soumis à relecture et expertise par deux rapporteur·e·s selon la procédure en double aveugle de la revue. Il est demandé aux auteur·e·s de suivre les consignes éditoriales des Cahiers François Viète.
3. La version définitive des articles, après la/les phase(s) d’expertise(s), est à rendre pour le 1er septembre 2023.
4. Mise en ligne et dépôt chez l’imprimeur : 1er novembre 2023.

1 G. Canguilhem, 1964, « La physiologie devient une science » dans OEuvres complètes Tome IV – Résistance, philosophie biologique et histoire des sciences (1940-1965), Paris, Vrin, p. 1067-1078.
2 C. A. Logan, 2002, « Before There Were Standards: The Role of Test Animals in the Production of Empirical Generality in Physiology », Journal of the History of Biology, vol. 35, p. 329-363.
3 C. Lefève, 2006, « La philosophie du soin », dans D. Lecourt (dir.) La Matière et l’esprit, n°4, « Médecine et philosophie », 2006, Université de Mons-Hainaut. p. 25-34.
4 D.W. Winnicott, 1970/2017, Cure in The Collected Works of D.W. Winnicott, Vol. 9, 1969-1971, L. Caldwell and T. Robinson (Eds.), Oxford University Press, Oxford.

5 E. Hermès et L. Sifer, 2005, « Le processus identitaire des patients en hémodialyse : l’impact de la technique sur la trajectoire de vie », Recherche en soins infirmiers, vol. 81, n°2, p. 56-77.
6 M.-H.G. Derksen, 2008, Engineering Flesh: Towards Professional Responsibility for ‘Lived Bodies’ in Tissue Engineering, Technische Universiteit Eindhoven, Eindhoven.
7 J. Soler et P. Trompette, 2010, « Une technologie pour la santé : traces et expertises. Chercheurs, familles et médecins autour de la définition des crises d’épilepsie », Revue d’anthropologie des connaissances, vol. 4, n°2, p. 323-347.
8 D. Meacham et M. Studley, 2015, « Care in the Air. Caring Robots and Environments of Care », Multitudes, vol. 58, n°1, p. 173-183.
9 M. Meskus, 2018, Craft in Biomedical Research. The iPS Cell Technology and the Future of Stem Cell Science, Palgrave Macmillan, New York.
10 J. Pols, 2012, Care at a Distance. On the Closeness of Technology, Amsterdam University Press, Amsterdam.
11 F. Worms, 2013, « Le soin comme orientation éthique et politique dans le moment présent » dans V. Chagnon, C. Dallaire, C. Espinasse, E. Heurgon (Eds.) Prendre soin : savoirs, pratiques, nouvelles perspectives, Hermann, Paris, p. 23-30.
A. Loute, 2020, « Chapitre 18. Pour une éthique des objets techniques du soin » dans R. Le Berre (Ed.), Manuel de soins palliatifs, Dunod, p. 290-299.
12 A-M. Mol, 2008, The Logic of Care. Health and the Problem of Patient Choice, Routledge, London and New York.
A-M. Mol, I. Moser & J. Pols, 2010, Care in Practice On Tinkering in Clinics, Homes and Farms, Transcript-Verlag, Bielefeld.

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