mercredi 22 septembre 2021

Le corps des domestiques

Le corps des domestiques
 

Appel à communications
 

Atelier de recherche du Groupe de recherche interdisciplinaire sur les
domesticités 


18 novembre, MSH Paris Nord


Introduction
Au paroxysme de la première vague épidémique, alors que s’impose à tous de rester chez soi, de mettre sa vie en suspens pour se protéger et protéger les autres, des hommes et des femmes continuent pourtant de devoir s’exposer pour prendre soin de notre monde. Aux côtés du personnel hospitalier et enseignant, ils sont ces travailleurs et ces travailleuses des classes populaires invisibles qui font tenir nos vies : aides ménagères, auxiliaires de puériculture, assistantes maternelles, aides de vie. Ils sont aussi souvent de celles et de ceux qui n’ont pas le choix des conditions de leur travail et subissent de plein fouet la contrainte des politiques économiques. Ils sont enfin, ces hommes et ces femmes aux corps vulnérables, éprouvés par les métiers précaires et pénibles du soin et du lien aux autres, et dont la crise de la covid-19 vient révéler le poids des tâches qui leur incombent, au péril de leur santé.
Parce qu’ils sont ces individus que trop souvent l’histoire ne retient pas dans sa compréhension du passé comme du présent, cet atelier a pour ambition de mettre en lumière leurs modes d’existence et d’expérience sensibles et le rôle qu’ils assurent pour faire tenir nos sociétés. Il s’inscrit dans le cadre d’un projet soutenu par la MSH Paris Nord sur les corps et les affects des subalternes du soin, et porté par le Groupe de recherche interdisciplinaires sur les domesticités. Il constitue également la séance inaugurale d’un séminaire consacré à ces mêmes thématiques. Pour ces premières rencontres, nous avons retenu deux axes prioritaires pour guider nos discussions et constituer les deux temps de cette journée :
- Un axe épistémologique centré sur les mécanismes et les dispositifs qui ont historiquement invisibilisé l’expérience sensible des subalternes du soin à l’enquête - Un axe centré sur les corps et les affects de ces « classes serviles », sur leur exposition (aux dangers, aux épidémies, au mépris, aux répressions) et leur traitement politique et symbolique. 


Axe 1. Des corps qui comptent : une reprise épistémologique

Force est de constater que les sciences humaines et sociales ont principalement
problématisé la question des subalternes du soin essentiellement à partir de la relation de travail
et de l’exploitation dans le travail. Les conditions d’existence de ces personnes, l’exposition
et la fragilisation de leurs corps, leur inscription dans les circuits du soin en tant qu’elles
peuvent elles aussi en être les destinataires restent des questions enfouies. Se rejoue ainsi
en partie dans le champ de la recherche scientifique l’invisibilité politique et symbolique de
cette Caring class et de ses corps vulnérables, corvéables et infatigables qu’on ne saurait voir.
Cette invisibilité s’inscrit plus largement dans un processus historique de stigmatisation et de
délégitimation des corps et des émotions populaires depuis le XVIIIe siècle. Car la
démocratisation de l’espace public à la faveur du siècle des révolutions s’est accompagnée de
nouvelles formes de distinctions et de rejet du peuple par celui de ses affects, ces derniers étant
présentés comme incompatibles avec une rationalité politique nécessairement abstraite,
raisonnante et raisonnable.
Cette cécité dans le temps long pose des questions d’ordre épistémologique. Aussi
les travaux menés au sein de ce projet interrogeront les caches, analytiques ou conceptuels, qui
ont dissimulé les corps de tous ces auxiliaires de vie. Ces corps si corvéables, disponibles aux
pouvoirs et traités dans les relations sociales avec tant de suspicion, semblent avoir été vidés de
leur chair historique ou sociologique. Bien qu’ils soient exposés aux maladies, aux virus, à la
violence, à la peur, à la fatigue, à tous ces risques sanitaires ou psychosociaux, bien qu’ils
résistent aussi, les sciences sociales ont ignoré les corps des subalternes du soin, pour valoriser
le dévouement, l’amour ou la sollicitude qu’ils portent aux vulnérables, ceux-là mêmes qu’ils
soutiennent. Et c’est tout un retour réflexif sur ce qui peut faire science que ces silences
interrogent : comment les sciences sociales, lorsqu’elles se saisissent des subalternes du
soin, s’inscrivent-elles dans des régimes de visibilités, poursuivent des procédures
d’invisibilisation et de hiérarchisation, de sensibilisation aux besoins de certains et de
déclassement épistémique de ce qui semble insignifiant ?

Axe 2. Corps et cœur à vif
Dans le sillage de ce retour réflexif sur le temps long de l’invisibilisation des corps et des émotions des subalternes du soin, ce projet a également pour ambition de proposer des modes d’enquête fondés sur la collecte de données qualitatives et quantitatives propres à la saisie de cette expérience sensible. Nous souhaitons pour cela favoriser une perspective de recherche « au ras des individus », attentive aux contraintes qu’ils éprouvent et qui les éprouvent, car les lésions et les affections somatiques ou émotionnelles liées aux métiers du lien et du soin aux autres sont une dimension attendue de leur expérience. Entre autres exemples, la contamination syphilitique des nourrices allaitantes, l’essoufflement par les détergents, les « mains de javelle » des femmes de ménage, les genoux abîmés des « Amazones de la lessive » ; mais aussi les masques refusés aux agent·e·s d’entretien parce que, entravant la respiration, ils ralentissent les cadences, ou les gants également proscrits parce qu’ils rendent les gestes moins précis...
Les subalternes du soin dérogent à la citoyenneté somatique qu’est venu fixer progressivement le modèle biopolitique contemporain. Dans le cadre de la domesticité d’hier, leur corps est considéré être à disposition de leurs maîtres qui peuvent contraindre ces derniers jusqu’à leur alimentation, leur habillement ou encore leurs relations sexuelles. Dans le cadre du marché du service à la personne d’aujourd’hui, ils sont de celles et ceux qui ne peuvent lâcher prise ni succomber à l’idéologie du bien-être, ne sont ni dans l’optimisation ni dans la performance d’eux-mêmes, s’avèrent pris dans des carrières de soin dont de multiples « petites incapacités » et des souffrances inscrites dans la chair sont l’aboutissement : troubles musculo-squelettiques dorso-lombaires, asthme, dermatoses irritatives, troubles auditifs, angoisses... Les aspects méthodologiques, épistémologiques et analytiques nécessaire à la documentation, à l’objectivation de ces dispositifs d’exposition et de leurs conséquences
seront au centre de nos réflexions.

Modalités
Les communications seront de vingt minutes et s’efforceront de mettre en lumière le terrain et la méthodologie envisagés pour inscrire nos échanges dans l’étude des pratiques et des rapports sociaux des individus et réfléchir ensemble aux boîtes à outils que nous pouvons mobiliser.
Les jeunes chercheur.ses - doctorant.es notamment - travaillant sur ces thématiques
sont particulièrement encouragé.es à présenter leurs objets. Enfin, la question des dynamiques coloniales et postcoloniales constitue un angle de réflexion que nous souhaitons valoriser au sein de ces discussions.
Les propositions de communication (300 mots environ) sont à envoyer pour le 15 octobre 2021 (date limite) aux adresses suivantes :
clyde.plumauzille@gmail.com
caroline.ibos@legs.cnrs.fr

Références bibliographiques indicatives
Avril, Christelle (2014), Les aides à domicile: un autre monde populaire, Paris, la Dispute.
Boris, Eileen, Nadasen Premilla (2008), « Domestic Workers Organize! », Working USA. The
Journal of Labor and Society, 11 (4), 413-437.
Delpierre, Alizée (2021), « Les « bons » corps de la domesticité », Genèses, n° 123 (2), 8-27.
Glenn, Evelyn Nakano (1992), « From Servitude to Service Work: Historical Continuities in
the Racial Division of Paid Reproductive Labor », Signs, 18 (1), 1-43.
Hugon, Anne, Plumauzille, Clyde, Rossigneux-Méheust, Mathilde (dir.) (2019), « Travail de
care », Clio. Femmes, Genre, Histoire, (49).
Ibos, Caroline (2012), Qui gardera nos enfants? Les nounous et les mères, Paris, Flammarion.
Paris, Myriam (2020), Nous qui versons la vie goutte à goutte ; féminismes, économie
reproductive et pouvoir colonial à La Réunion, Paris, Dalloz.

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