jeudi 5 novembre 2020

Les épidémies au prisme des sciences humaines et sociales

Les épidémies au prisme des sciences humaines et sociales. De quelles crises les épidémies sont-elles porteuses ?

Appel à communications


Colloque interdisciplinaire de sciences humaines et sociales organisé par la Maison des sciences humaines de l’Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA) 25-26/03/2021


Problématique scientifique

Les épidémies liées aux maladies contagieuses et infectieuses accompagnent le développement humain depuis la nuit des temps (fièvre typhoïde ; variole ; peste bubonique ; choléra ; grippes espagnole, asiatique et de Hong Kong ; tuberculose ; etc.), sans oublier les épidémies de maladies nouvelles comme le VIH ou la Covid-19. La croissance démographique, l’augmentation de la densification des espaces, l’essor des mobilités tous azimuts dans le cadre de la mondialisation des échanges en ont encore accéléré la diffusion planétaire comme l’illustre de manière spectaculaire l’épidémie liée au virus SARS-CoV-2, à l’origine de la maladie nouvelle de la Covid-19. Malgré sa médiatisation considérable, la mortalité engendrée par cette dernière (plus de 930 000 morts recensés et plus de 26 millions de personnes infectées entre son identification officielle le 17 novembre 2019 à Wuhan en Chine et septembre 2020) reste cependant bien en deçà des hécatombes de la grippe espagnole (environ 50 millions de morts entre 1918 et 1919) ou encore de la peste noire qui a décimé entre 30 et 50 % des Européens en cinq années seulement au Moyen-âge (1347-1352).

Au-delà des inquiétudes purement sanitaires, les épidémies constituent un objet de recherche, qui peut être interrogé par toutes les disciplines des sciences humaines et sociales, en articulation plus ou moins étroite avec les approches épidémiologiques, sanitaires et écologiques. Inscrit au croisement fructueux de l’interdisciplinarité portée par la Maison des sciences humaines de l’Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA), ce colloque a pour ambition d’appréhender la diversité des dimensions des crises épidémiques contemporaines et passées, en partageant les interrogations, les analyses, les savoirs et les outils des différentes disciplines : histoire, géographie, géopolitique, sociologie, sciences politiques, droit, lettres, économie-gestion, psychologie, sciences de l’éducation et de la formation, etc.

Réapparu à la faveur de l’épidémie de la Covid-19, l’intérêt pour l’étude de la complexité des phénomènes épidémiologiques a pris un tour résolument nouveau, surtout face aux défis multiples et énormes qu’ils soulèvent dans un monde déjà largement gagné par les incertitudes vis-à-vis du futur.

Les organisateurs de ce colloque souhaitent mettre l’accent sur trois thématiques principales :


Ce que les épidémies disent des sociétés et de leur fonctionnement

Longtemps inexpliquées, les épidémies ont d’abord été interprétées comme la marque de châtiments divins. Avec les progrès de la science, elles sont progressivement entrées dans la sphère des explications scientifiques, mais aussi dans celle des querelles et des controverses entre les savants, interrogeant ainsi la toute-puissance de la science. Malgré ce passage de l’irrationnel au rationnel, toutes les épidémies sont accompagnées de peurs anciennes et ravivées (dont ont rendu notamment compte la littérature, le théâtre et l’iconographie), mais aussi de peurs nouvelles face à l’effondrement des certitudes et le spectacle de la mort aveugle et collective, spectacle répercuté dorénavant par les médias d’information en continu. La vulnérabilité des sociétés fragilisées n’en apparaît que plus grande, tandis que les représentations et les croyances sont profondément malmenées, attisées encore par les moyens de communication numériques actuels et les réseaux sociaux. La propagation des fausses informations (« infodémies », selon l’expression proposée en mars 2020 par le directeur de l’Organisation Mondiale de la Santé) n’a guère de mal à prospérer, avec son lot de nuisances, de manipulations et d’intentions complotistes. Ces fausses informations constituent autant de menaces dangereuses pour les démocraties. Au cœur des épisodes épidémiques, l’émotion prend alors volontiers le pas sur la réflexion, tandis que s’accroissent les défiances à l’égard des médias, des institutions, ou des scientifiques.

A un niveau plus individuel, la peur de la maladie nouvelle, associée aux restrictions d’interactions sociales pour y faire face, impacte le fonctionnement psychologique des individus, à différents niveaux, émotionnel, cognitif et social. Cela modifie en conséquence les représentations et perceptions que les individus se font d’autrui ainsi que les comportements déployés, favorisant ainsi l’émergence de nouvelles normes sociales.

Déjà considérables sur les plans humains, sociaux et sociétaux, les épidémies se doublent aussi, et se doubleront encore à l’avenir, de bouleversements économiques majeurs. La seule crise de la Covid-19 devrait ainsi s’accompagner d’environ 12 000 milliards de dollars de pertes pour 2020-2021 selon le FMI. Des pans entiers d’activité s’en trouveront fragilisés, ce qui fera exploser le chômage (particulièrement chez les jeunes, les précaires et les moins qualifiés) et, partant, les inégalités au sein même des pays et entre les pays. La mondialisation contemporaine s’en trouve profondément et sévèrement questionnée dans ses logiques organisationnelles et son fonctionnement incompatible avec le développement durable, d’autant que la crise de la Covid-19 et ses suites (et celles qui ne manqueront pas de suivre selon les épidémiologistes) ne peut se penser sans être articulée avec les menaces à venir en matière de dérèglement climatique, spectre avec lequel elle partage de très nombreux paramètres.

Moments privilégiés pour les examens de conscience, les épidémies apparaissent alors comme des épreuves de vérité pour les sociétés et les Etats en révélant leurs failles et de leurs faiblesses.


Actions et logiques à l’œuvre, d’hier à aujourd’hui

Passé le temps de la sidération, Etats, populations et sociétés victimes des épidémies réagissent plus ou moins rapidement selon des modalités très diverses que ce colloque entend aborder sur le temps long. Ces différentes modalités d’adaptation aux épidémies reflètent la diversité, la plus ou moins grande réactivité et implication des acteurs en présence, tant publics que privés : Etats, collectivités locales, institutions, entreprises, ONG, etc., sans oublier la société civile qui, souvent organisée en dehors des réponses étatiques, se singularise par sa spontanéité, son inventivité et l’efficacité de son engagement. A côté de la réaction de la puissance publique, des milieux médicaux et sanitaires confrontés à l’urgence de la situation et au défi de l’organisation et de la coordination (soigner, sauver, prévenir, alerter), les sociétés sont confrontées à la nécessité de se mobiliser dans un réflexe de survie élémentaire. Les épisodes épidémiques accélèrent par ailleurs l’avènement de tendances de fond qui étaient déjà en gestation. Première pandémie de l’histoire suivie en temps réel par toutes les chaînes d’information, la Covid-19 a suscité à cet égard des changements nombreux et importants, dont l’évocation ci-dessous ne donne qu’une approche partielle.

Les épidémies mettent d’abord à rude épreuve les démocraties. Au nom de considérations de santé publique, les atteintes à la liberté sont en effet potentiellement nombreuses et la peur des mesures de restriction des libertés individuelles et collectives est largement partagée (velléités de surveillance, de punition ou de contrôle des populations, tant sur les plans sanitaire, administratif, policier que médical/ux). Notons que les régimes forts ont souvent récupéré les événements pour faire avancer leur cause, en justifiant l’emploi de mesures expéditives et de moyens exceptionnels.

Pour éviter l’effondrement économique, les Etats ont repris l’avantage en développant des dispositifs hardis et très coûteux de soutien aux secteurs d’activité et aux entreprises, montrant au passage leur rôle toujours indispensable alors que la logique de mondialisation avait eu tendance à les reléguer au second rang. Le redémarrage des activités pourrait s’articuler avec l’accélération des mutations indispensables à mettre en œuvre dans le cadre des transitions énergétiques et climatiques. Des formes nouvelles et alternatives d’activités pourraient aussi émerger à cette occasion (raccourcissement des chaînes d’approvisionnement, retour au local, circuits courts, économie du partage, numérisation et robotisation accélérée, montée des compétences, etc.). Surtout, l’électrochoc de la crise épidémique récente a révélé la profonde désindustrialisation des pays développés et leur dépendance vis-à-vis des pays émergents quant à leurs approvisionnements stratégiques (principes actifs des médicaments, matériel médical, etc.). Au nom de la souveraineté industrielle et économique, de nombreux pays ainsi que l’Union européenne ont entrepris de réviser leurs stratégies en appelant à réindustrialiser leurs économies et leurs territoires, en s’appuyant notamment sur la relocalisation d’activités. Mais les obstacles et les handicaps sont nombreux à surmonter ainsi que devrait le montrer ce colloque.

Le travail et le rapport au travail ont aussi été durablement bouleversés par la crise épidémique, notamment avec l’explosion du télétravail, qui a concerné un tiers des emplois en France durant la période de confinement. Les mobilités quotidiennes ont été particulièrement impactées, comme en témoignent aussi l’explosion des espaces de coworking partout dans le monde (développé). Le rapport à la ville connait lui aussi de nouveaux et fructueux questionnements, dans le cadre des aménagements futurs. Les velléités de mobilité des cadres depuis les métropoles vers les villes moyennes en constituent une facette intéressante. Les mobilités de plus grande envergure (tourisme international) sont quant à elles totalement bouleversées. Ces évolutions très rapides et contraintes obligent à établir de nouveaux rapports aux échelles et à l’espace.

Ces nouveaux modes d’organisation produisent des réponses innovantes et inédites à l’urgence. En tant que vecteurs rapides d’adaptation, ils sont porteurs de nouveaux défis encore mal explorés, mais dont la pérennisation est nécessaire surtout si les situations de confinement et de restriction des mobilités devaient se réitérer. Les secteurs culturels et sportifs ont été mis de côté et en partie virtualisés durant cette période, les fragilisant peut-être durablement au profit pour le secteur culturel des grands groupes qui maîtrisent la diffusion de masse.


Quel(s) savoir(s) extraire de l’expérience particulière de la Covid-19?

Moments d’incertitude radicale, les épidémies présentent des permanences, mais aussi des spécificités inédites liées à la complexification de nos sociétés. La réapparition brutale en 2020 d’une pandémie que personne n’attendait (en dehors des épidémiologistes hélas inaudibles qui tiraient depuis des décennies la sonnette d’alarme) révèle que la mémoire des épidémies est le plus souvent courte, au-delà des simples souvenirs intergénérationnels (cas de la grippe espagnole par exemple). Le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) apparu en Chine en 2002 et considéré comme la première maladie grave et transmissible apparue au début du XXIe siècle, en fournit un excellent exemple, puisque les politiques préventives ont été levées quelques années seulement après son passage dans la plupart des pays (destruction des énormes stocks de masques de protection périmés en France). La gravité de la Covid-19 (par rapport au SRAS de 2002 qui n’a totalisé que 800 morts dans le monde, avant de disparaître mystérieusement sans qu’un vaccin ne lui soit trouvé) marquera-t-elle un tournant salutaire ? Quelles en seront les conséquences sociétales et individuelles ?

Les leçons de l’impréparation aux chocs épidémiques sont pourtant nombreuses, notamment parce qu’elles rappellent que les Etats ont un devoir d’anticipation (« Etat-prévoyance ») face aux risques, aux crises épidémiques et aux nouvelles menaces (apparition de virus nouveaux et mal identifiés), amplifiées encore par l’explosion démographique, les mobilités internationales ou encore le changement climatique. Il leur faut adopter des politiques et des stratégies de prévention adéquates, de même que des politiques d’innovation scientifiques ambitieuses, mutualisées et coordonnées. Ces objectifs sont difficiles à atteindre faute de véritables ententes au niveau international, comme en témoigne, malgré l’urgence sanitaire, le retrait des Etats-Unis de l’OMS en 2020, dont ils étaient le plus gros contributeur. Le chacun pour soi étatique est-il surmontable face aux épidémies ? Les épidémies, on le voit, s’inscrivent aussi pleinement dans la géopolitique. Ne parle-t-on pas déjà d’une « géopolitique du vaccin » pour décrire la rivalité acharnée que se livrent entre elles les firmes pharmaceutiques, mais aussi les Etats, dans la maîtrise de cette innovation scientifique, seule à même de permettre au monde de se rouvrir alors qu’il se confine et se calfeutre ?

Les atermoiements et les erreurs des Etats commises à chaque réapparition des épisodes épidémiques invitent donc à repenser l’armature de l’action publique nationale, mais aussi internationale, afin de la rendre plus résiliente, plus rapide et efficace dans ses réactions.

Parmi les enseignements les plus spectaculaires de la crise de la Covid-19 figurent plusieurs idées fortes et importantes qui creusaient auparavant leur sillon, mais qui ont trouvé à l’occasion de l’épidémie une caisse de résonance inespérée : la montée de la conscience publique en matière de santé ; la recherche d’une plus grande quête de sens ; le repositionnement de l’économie au service des humains et non des seuls actionnaires ; la contestation de la logique de marché dans un cadre hyper libéral et d’hyper mondialisation ; la recherche d’une autre mondialisation, plus solidaire et plus écologique ; etc. Celles-ci fourniront autant de matière à discussion.

Accélérateurs de changements et de mutations, les épidémies n’ont pas fini de remodeler nos sociétés.


Modalités de contribution

Les propositions de participation devront être soumises en français en une page Word standard, Times new roman 12 (environ 550 mots). Elles devront s’inscrire dans l’un des trois thèmes proposés. Les résumés doivent clairement présenter les objectifs de la communication (originalité, méthode, voire résultats). La proposition de communication sera accompagnée de cinq mots clefs au maximum, du numéro de la thématique et de la ou des discipline (s) concernées (s). Une bibliographie précise et spécifique peut être indiquée (10 références au maximum) en plus des 550 mots de présentation. 

La date limite pour l’envoi des propositions est fixée au 15/12/2020

à colloque2021-epidemies@univ-reims.fr. Réponses à partir du 25/01/2021.

Actes sur sélection d'articles. 


Comité scientifique (URCA)
Muriel FRISCH (CEREP),
Stéphanie CAILLIES (C2S),
Véronique LE RU (CIRLEP),
Isabelle POUTRIN (CERHIC),
Jean-Louis HAQUETTE (CRIMEL),
Jean-Paul DOMIN (REGARDS),
Fabrice ROSA (CEJESCO),
Serge PUGEAULT (CRDT),
François BOST (HABITER),
Alain DEVOS (GEGENAA). 
Comité d’organisation (URCA)
François BOST (chargé de mission MSH),
Perrine DELETTRE (directrice du développement lettres et sciences humaines MSH),
Philippe ODOU (directeur de l’école doctorale SHS),
Angélique RANVIER (directrice administrative MSH),
Fabrice THURIOT (directeur du développement droit, économie, gestion et sciences sociales MSH). 

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