jeudi 28 mai 2020

Perspectives euro-américaines et dialogues transatlantiques en sciences humaines et sociales sur la santé

Santé en débat, soin en question. Perspectives euro-américaines et dialogues transatlantiques en sciences humaines et sociales

Appel à communications


Maison des sciences de l'homme Alpes, campus, Saint-Martin d'Hères 
Grenoble, France (38)

18 et 19 novembre 2020


Second temps de la mise en place d'un groupe de travail international, ce colloque souhaite continuer d'explorer la santé et la notion, tantôt corollaire tantôt contrepoint, de soin, dans les espaces américains. Il s'inscrit dans l'axe santé de la Maison des sciences de l'homme-Paris Nord pour l'année 2020. Ce colloque vise à interroger la notion de santé et ses enjeux sociaux, dans les Amériques et au-delà. Elle souhaite également questionner les processus de circulation, et leurs effets de réception, de l'héritage au contre-sens éventuel, comme dans le cas de la notion de violence obstétricale par exemple. Si les domaines de l'obstétrique, la santé publique et la psychiatrie sont particulièrement attendus, les contributions peuvent aborder divers autres domaines.


Argumentaire

La santé suscite un intérêt croissant dans les sciences sociales américanistes, entendues dans leur acception hémisphérique incluant Amériques du sud, du nord et l’espace caribéen. En Amérique latine, la recherche a bénéficié du renouveau de l’histoire des sciences et de la santé depuis deux décennies, notamment à partir du Brésil où est fondée, en 1994, la revue Manguinhos, História, Ciências, Saúde. Tournée dans un premier temps vers l’histoire sociale de la santé publique et la dimension culturelle de la médecine[1], la production scientifique de la région en histoire de la santé envisage désormais l’aspect politique voire biopolitique de la médecine[2]. Le cas du Pérou offre un exemple de ces renouvellements, quoiqu’encore récents : des initiatives ponctuelles et des questionnements novateurs émergent dès les années 1990. L’une des entrées privilégiées est celle de l’histoire des pathologies et des épidémies au XXe siècle[3]. Si les recherches sont encore à leurs débuts en ce qui concerne les branches de la médecine occidentale en lien avec la santé des femmes (l’obstétrique, la gynécologie et la pédiatrie)[4], les travaux de Marcos Cueto[5] ont constitué la santé en fait social incombant légitimement aussi aux sciences sociales, dans une perspective diachronique, continentale et globale. Ainsi ces travaux peuvent-ils se comparer à ceux de Sylvia Chiffoleau sur les médecins égyptiens ou sur la construction d’une action publique internationalisée en matière de santé[6].

La santé fournit donc aux SHS un objet pluridisciplinaire d’analyse des sociétés contemporaines pertinent — au point qu’elle a donné naissance à un champ d’études propres sur certains campus états-uniens, celui des « humanités médicales » — et suscite une production de sources variées (articles scientifiques, rapports institutionnels, dossiers de patients, registres d’entrée, documents issus de procès, presse, entretiens oraux, littérature médicale), dont la prise en compte a participé du renouvellement de son étude. L’histoire de la médecine s’est désormais élargie à l’histoire de la santé, et entend faire une place plus large aux documents attestant autant des pratiques que des discours, et nourrir un souci plus grand de la perspective du/de la patient.e que celui que lui réservait l’exclusif prisme praticien, caractéristique d’une « historiographie de bronze », selon la formule de Cristina Sacristán à propos de l’histoire de la psychiatrie[7], et marquée par un agenda historiographie exclusivement endogène à la profession.

La définition du terme même de santé s’en trouve élargie au-delà de son strict sens médical : on y entend désormais un ensemble de pratiques sociales qui ne tiennent pas nécessairement pour acquises l’autorité ni l’unicité des instances médicales. C’est le cas de la vaccination dans les espaces dits occidentaux, dont le caractère consensuel s’est trouvé par moments écorné ; de la gestion de la maternité dans certains espaces qualifiés de périphériques, où entrent tantôt en collision tantôt en négociation les savoirs dits modernes et les savoirs dits traditionnels ; ou encore de l’épisiotomie, devenue objet de débat dans ces deux types d’espace.

Les communications admises lors de ce colloque pourront ainsi provenir de disciplines diverses issues des sciences sociales (histoire donc, mais aussi anthropologie, science politique, géographie, droit, sociologie, etc.), celles des praticien·nes de la santé étant également bienvenues. Elles pourront porter sur des espaces variés — Amériques et Europe en premier lieu, sans exclure d’autres communications portant sur d’autres aires géographiques mais incluant une réflexion sur les influences, les circulations, les emprunts à l’échelle globale. Elles pourront s’intégrer dans les axes de réflexion et de débat suivants :

Mise en place de politiques publiques de santé
en matière de vaccination, de contraception ou de non contraception, d’alimentation. Quels débats traversent les professions, quant aux taxonomies, aux innovations techniques introduites, à la division entre hôpital et médecine pratiquée en ville et à la campagne ? Quelle conception de la modernité guide la mise en place de réformes institutionnelles ?
Remise en cause et contestations

de quelles contestations ces politiques de santé font-elles l’objet ? Est-ce en raison de leur interventionnisme (dépossession des savoirs qualifiés de traditionnels) ou de leur insuffisance (revendication d’une prise en charge plus intégrale et équitable) ?

La place et le rôle du personnel de santé.
Celui-ci se retrouve au carrefour de ces demandes, non nécessairement contradictoires mais au moins multiples et multiformes ; il voit son rôle questionné : est-ce un phénomène nouveau ? La mise en place d’institutions médicales s’est-elle faite de façon consensuelle tout à au long de l’histoire ? Quel legs colonial sous-tend les institutions médicales contemporaines ? Quel aggiornamento entament-elles ? Quel degré d’autonomie vis à vis du (des) pouvoir(s) les protagonistes de la santé entreprennent-ils de conquérir ? Quelles tensions traversent ce champ des pratiques professionnelles médicales, entre sage-femme et médecins, entre infirmier.es et administrateurs.rices? Et quelles demandes les sociétés formulent-elles à l’adresse de ces professionnel.les, au nom de quelle conception du soin ?

Historiciser la santé mentale.
Comment la définir dans le temps et dans l’espace ? Quels paradigmes ont guidé la prise en charge des patients atteints de maladie mentale ? Quelles populations ont vécu dans ces établissements, selon quel profil sociologique (genre, sexualité, classe, race, âge, origine géographique) ? Quelles fonctions étaient-elles conférées aux établissements asilaires au fil des siècles ? Comment les psychiatres ont-ils envisagé leur propre rôle social et politique ? L’idéologie, c’est à dire une certaine conception du juste devenir d’une société et des individus qui la composent, est-elle exclue de leur pratique au profit d’une conception strictement neutre ou dépolitisée ? Quel rôle les psychiatres ont-ils joué dans l’écriture de l’histoire de leur profession (voire au-delà, comme dans le cas de l’argentin Pacho O’Donnell) ? Quelle place les autres personnels —infirmier.es, aide-soignant.es —ont-ils eu dans le dispositif mis en place ? D’un point de vue historiographique, quels ont été les apports et les limites des perspectives antipsychiatriques ? Comment l’historiographie aborde-t-elle l’« institution totale » que constitue l’hôpital psychiatrique, et comment les sciences sociales appréhendent-elles les mouvements de désinstitutionalisation et de prises en charges alternatives (ambulatoire, communautaire) ?

La santé à l’heure de la Covid-19.
Une maladie infectieuse nouvelle, le coronavirus s’est répandu dans le monde entier à partir de la fin de l’année 2019. Elle a lourdement frappé l’Europe occidentale et certains pays des Amériques (États-Unis, Canada, Brésil). S’il est trop tôt pour produire des analyses fines sur les contextes très différents selon les pays concernés, il nous semble intéressant de proposer, au cours de ce colloque, un espace d’échange où penser et débattre autour de ce que la pandémie fait à la recherche sur la santé en sciences sociales. Comment la pandémie a-t-elle été perçue et combattue tant en Europe que dans les Amériques ? Quels sont ses effets sur la manière d’envisager notre recherche sur la santé, notamment dans une perspective intersectionnelle ?

Modalités de contributions
Les propositions de communications pourront être envoyées jusqu’au 15 juin 2020

à irene.favier@univ-grenoble-alpes.fr et à lissell.quiroz@univ-rouen.fr. Elles comporteront chacune 4000 signes (espaces et bibliographies compris), et donneront lieu à une réponse avant le 1er juin. Précisons qu’en raison de la mobilisation autour des retraites et en opposition à la précarisation de la recherche en France, des propositions de communications pourront parvenir plus tard, et seront acceptées jusqu’à la mi-juillet. Les communications peuvent se faire en français, en espagnol, en anglais, en portugais.

En cas de réponse positive, le texte intégral de la communication sera demandé aux auteur.es avant le 1er octobre 2020. Le budget de l’événement inclura les repas et la nuitée sur place, mais le déplacement n’est en revanche pas garanti, et gagnerait dès le printemps 2020 à faire l’objet d’une demande de prise en charge par les institutions de rattachement de la personne éventuellement amenée à communiquer lors du colloque. Les propositions de doctorant.es sont les bienvenues.


Comité d’organisation
Irène Favier (LARHRA, Université Grenoble Alpes)
Lissell Quiroz (ERIAC-IRIHS, Université de Rouen Normandie)

Institutions partenaires
LARHA, ERIAC, IRIHS, Institut des Amériques, MSH Paris Nord.

Comité scientifique
Claudia Agostoni, UNAM (Mexique)
Isabelle von Bueltzingsloewen, Université Lyon 2 (France)
Paulo Drinot, UCL (Royaume Uni)
Rafael Huertas, CSIC (Espagne)
Jennifer Lambe, Brown (Etats-Unis)
Jorge Lossio, PUCP (Pérou)
Notes

[1] Cueto Marcos, Lossio Jorge, Pasco Carol, El rastro de la Salud en el Perú, Lima: Universidad Peruana Cayetano Heredia, 2009, p. 14.

[2] Hochman Gilberto, Armus Diego (éd.), Cuidar, controlar, curar: ensayos históricos sobre salud y enfermedad en América Latina y el Caribe, Coleção História e Saúde, Río de Janeiro: Editora Fiocruz, 2004; Cueto Marcos, Palmer Steven, Medicine and public health in Latin America: a history, New York: Cambridge university press, 2015; Amador José, Medicine and nation building in the Americas, 1890-1940, Nashville : Vanderbilt university press, 2015.

[3] Cueto Marcos, El regreso de las epidemias : salud y sociedad en el Perú del siglo XX, Lima : IEP, 1997; Cueto Marcos, Culpa y coraje : historia sobre las políticas sobre el VIH/Sida en el Perú, Lima : Consorcio de Investigación Económica y Social : Universidad Cayetano Heredia, 2001; Lossio Chávez Jorge Luis, « Nación, ciencia y salud : investigación médica en los Andes y la construcción de una “patología de las alturas” », Histórica, Pontificia Universidad Católica del Perú, Vol. 33, no. 1, 2009, p. 65-86.

[4] Restrepo Libia J., Médicos y comadronas o el arte de los partos. La ginecología y la obstetricia en Antioquia, 1870-1930, Medellin: La Carreta Ed., 2006; Mannarelli María Emma, Rivera Caro Betty Alicia, « Una aproximación histórica a la salud infantil en el Perú: las mujeres en el cuidado de la infancia (1900-1930) », Investigaciones sociales, Vol. 15, n° 27, déc. 2011, p. 445-455; Rodríguez Pablo, « La pediatría en Colombia, 1880-1960. Crónica de una alegría» dans Rodríguez Pablo, Mannarelli María Emma (coord.), Historia de la infancia en América Latina, Bogotá: Univ. Externado de Col, 2007, p. 359-388; « Descolonizar el saber médico. Obstetricia y parto en el Perú contemporáneo (siglos XIX y XX) », Revue d’Etudes décoloniales, n° 1, octubre 2016, http://reseaudecolonial.org/822-2/.

[5] Cueto Marcos, Lossio Jorge, Pasco Carol (dir.), El rastro de la salud en el Perú: Nuevas perspectivas históricas. (pp. 211-258). Lima: Instituto de Estudios Peruanos.

[6] Chiffoleau S., Genèse de la santé publique internationale. De la peste d’Orient à l’OMS, Presses Universitaires de Rennes/Ifpo, 2012 ; Médecines et Médecins en Égypte. Construction d’une identité professionnelle et projet médical, Paris-Lyon, l’Harmattan/Maison de l’Orient Méditerranéen, 1997.

[7] Sacristán Cristina, « Historiografía de la locura y de la psiquiatría en México. De la hagiografía a la historia posmoderna », in Frenia, vol. V-1, 2005.

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