mercredi 15 avril 2020

Les bibliothérapies d’ailleurs

Bibliothérapies d’ailleurs : des «Mille et une nuits » au manga

Appel à communications

L’idée que le livre soigne est aujourd’hui très populaire en Occident, où se multiplient les ateliers de « bibliothérapie » comme la production d’ouvrages à des fins d’amélioration de la santé psychologique ou physiologique des lecteurs. Cette dynamique marque un tournant dans la conception du rôle joué dans la littérature depuis 1950 : après des années placées, dans les œuvres littéraires comme les approches critiques, sous le signe de la réflexivité du texte et de sa clôture sur lui-même, ces nouvelles pratiques restituent à la littérature une dimension non seulement esthétique, mais aussi existentielle. Or, cette notion nouvelle en Occident fait écho à une tradition extra-européenne pluriséculaire : en effet, si le mot même de « bibliothérapie » est une création occidentale, on trouve pourtant parmi ses grands ancêtres Le Pañchatantra indien et Les Mille et une nuits, qui, à l’instar de la bibliothérapie contemporaine, affirment de deux manières différentes quels peuvent être les pouvoirs du récit. Dans Le Pañchatantra ou des œuvres proches comme Le Conte du perroquet ou Les Sept vizirs, l’histoire a avant tout une valeur d’exemplarité, destinée à agir sur celui qui l’écoute : s’apparentant au genre du miroir du prince, le livre sert aussi à engager une dynamique de perfectionnement moral. Dans Les Mille et une nuits, le récit qui sert de cadre au texte a un effet beaucoup plus physique : comme l’a montré Aboubakr Chraïbi, il sert à passer le temps, laissant à la terrible colère qui a saisi le sultan la possibilité de s’apaiser. Au miroir de ces modèles orientaux et extrême-orientaux, on voit ainsi réapparaître les deux tendances qui définissent en Occident la bibliothérapie contemporaine, laquelle revendique une action tantôt sur la sphère intellectuelle et morale, tantôt sur les mécanismes physiologiques les plus concrets. Elles regardent ainsi doublement du côté de rôle éthique joué par la littérature, à la fois comme modèle de comportement et comme guide du jugement et de la décision. Source, influence, ou modèle alternatif de guérison, ces bibliothérapies d’ailleurs méritent donc qu’on les examine. Le Groupe d’Etudes Orientales, Slaves et Néo-helléniques (GEO, UR 1340) est un lieu privilégié pour aborder la question des pratiques et poétiques autres de la notion contemporaine de « bibliothérapies » : rassemblant des spécialistes en littérature, culture et langue des aires extra-européennes, du Proche-Orient jusqu’au Japon, et des siècles anciens jusqu’à la période contemporaine, il souhaite par la tenue de ce colloque inviter à réfléchir aux différents modèles de bibliothérapie que présentent les traditions extra-européennes, mais aussi les appropriations contemporaines de cette notion au-delà de l’Europe et des États-Unis. Dans cette perspective, on aborder les thématiques suivantes :
Quel soin pour les bibliothérapies d’ailleurs ?

On pourra s’interroger sur les modèles thérapeutiques mis en place par ces fictions de la guérison ou ces guérisons par la fiction pratiquées ou représentées dans les aires culturelles orientales et extrême-orientales. Quelles spécificités impliquent-ils, en termes de conception de la médecine ou de la littérature ? En quoi s’articulent-ils à une histoire, mais aussi une géographie des pratiques de lecture ? Comment s’inscrivent-ils dans la dichotomie entre guérison physique et concrète d’un côté et de l’autre guérison au sens plus figurative, allant du soin de soi à l’étai apporté aux différentes formes de vie ? Comment ces modèles nous aident-ils à comprendre la relation entre fiction, guérison et care ?
Pratiques et poétiques

Parler de « bibliothérapie », c’est à la fois évoquer des pratiques (médicales, psychologiques, artistiques) et un imaginaire représenté dans les œuvres. L’exemple du manga japonais est à cet égard très frappant et constitue une source d’études féconde : d’un côté, on observe qu’il se conçoit et se figure lui-même comme le lieu où penser les possibilités d’appui existentiel ou de guérison produites par le livre, comme par exemple dans la série Le Maître des livres qui évoque un bibliothécaire trouvant dans ses rayonnages des solutions pour tous ceux qui passent le seuil de son institution ; mais de l’autre, il est lui-même l’objet d’une lecture de type psychologique ou sociologique, qui interroge son rôle dans la constitution des « formes de vie » propres aux adolescents contemporains, au Japon comme ailleurs (voir par exemple Les Mangas pour jeunes filles, figures du sexuel à l’adolescence de Joëlle Nouhet-Roseman). Quelles articulations se nouent entre pratique et poétique dans ces zones ? Qu’est-ce que cela dit des fonctions et du rôle social qu’y possède la littérature ?
Réseau d’influences

On l’a dit, l’idée d’un livre qui guérisse évoque immédiatement de grands modèles des traditions orientales et extrême-orientales, ce qui invite à s’interroger sur leur influence sur d’autres littératures. On songe par exemple au Roman des sept sages de Rome médiéval qui brode sur un canevas asiatique, sans doute indien, ou à la réception des Mille et une nuits et autres fables arabes dont Victor Chauvin a esquissé une cartographie dans sa monumentale Bibliographie des ouvrages arabes ou relatifs aux Arabes publiés dans l’Europe chrétienne de 1810 à 1885 (1892-1922). En quoi la tradition extra-européenne intervient-elle dans la formation de l’idée de bibliothérapie ? Quels textes classiques aident à modeler l’imaginaire occidental des pouvoir du livre ? Par quel biais ? Quelles altérations le modèle subit-il ? 

Guérir et être guéri


Dans les fictions bibliothérapeutiques ou les pratiques thérapeutiques du récit concernées, qui sont les vecteurs et les destinataires de la guérison ? On songe par exemple à la présence accrue de voix féminines parmi ces conteuses qui apaisent, de Schéhérazade aux conteuses du Décaméron des femmes de Ioulia Voznessenskaïa (1986). Mais on pourra aussi s’intéresser à la réception réelle ou figurée de ces récits : quelles valeurs différentes de la communauté comme de la communication littéraire permettent-elles de faire apparaître ? À terme, cette interrogation sur le personnel de la relation thérapeutique établie par le livre permet de faire un tour d’horizon des différentes manières de comprendre ces usages thérapeutiques du livre en dehors des cultures occidentales, afin de leur restituer leurs spécificités propres.
Modalités de contribution

Les propositions de communication (une page incluant une présentation bio-bibliographie) doivent parvenir à Victoire Feuillebois (feuillebois@unistra.fr) et Anthony Mangeon (amangeon@unistra.fr)
pour le 30 avril 2020.

Le comité scientifique du colloque donnera sa réponse pour le 15 juin 2020.
Comité scientifique
Victoire Feuillebois (GEO, Université de Strasbourg)
Anthony Mangeon (Configurations littéraires, Université de Strasbourg)

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