samedi 2 novembre 2019

Le corps féminin

Le corps féminin : actualité de la recherche

Appel à communication


Séminaire de Questes
13 décembre, 17 janvier, 28 février


« Ces gentes espaulles menues,
Ces braz longs et ces mains traictises,
Petiztetins, hanches charnues,
Eslevees, propres et faictises
A tenir amoureuses lices,
Ces larges reins, ce sadinet
Assis sur grosses fermes cuisses
Dedens son petit jardinet. »
« Les Regrets de la belle Heaulmiere », François Villon.

La vie de la femme médiévale, peu importe son origine sociale et géographique, est rythmée par son corps. Dévouée à la vie maritale et maternelle, la femme constitue une promesse de paix et d’alliance entre deux familles, et son corps procréateur matérialise la lignée. Par conséquent, une surveillance extrême s’exerce sur sa virginité, son comportement, sa fertilité, et le principe de chasteté prévaut, quel que soit son âge. Si le corps féminin doit être maîtrisé, il est aussi largement fantasmé. Une longue chevelure très blonde, des yeux et des sourcils à l’écart régulier, une peau blanche et transparente rehaussée de lèvres et de pommettes rouges, un front haut, un bassin large et une poitrine menue : telle est la description du beau corps médiéval. Parmi les femmes qui y répondent, la Vierge célèbre par sa beauté la spiritualité et la virginité. Son modèle inaccessible est contrebalancé par les corps fautifs et repentants d’Ève et de Marie-Madeleine, qui rappellent soit la nature charnelle et pécheresse du corps féminin, soit la soumission de la femme à l’homme.

Ce modèle traditionnel insistant sur l’oppression du corps féminin a été largement enrichi par les recherches récentes. Des cas d’étude ont en effet montré que le corps de la femme médiévale se pense désormais de manière plurielle. Des criminelles aux saintes, la rupture avec la cellule familiale catalyse bien souvent une vie singulière, et le lien que la femme entretient avec son propre corps en est modifié. Ainsi, les recherches actuelles sur la criminalisation ont mis en évidence un corps féminin à la fois protégé, surveillé, mais aussi dénoncé. Certains crimes apparaissent comme typiquement féminins (injures, infanticides), et les supplices infligés au corps criminel sont sexués. Alors que les hommes peuvent être pendus, les femmes, par pudeur, sont brûlées ou enterrées vivantes. Selon Didier Lett, le rapport de genre peut apparaître modifié lorsqu’il est question de sainteté : certains saints seraient féminisés, alors que les saintes gagneraient en masculinité. C’est ainsi que certaines femmes se déguisent en moines pour se retirer au désert (Vie des Pères du désert), tandis que la femme travestie dans la littérature pose la question du désir homosexuel (Roman de Silence).

Si, dans le domaine de la littérature courtoise, la mention du corps féminin peut se faire signe de reconnaissance pour sauver l’honneur masculin (Roman de Guillaume de Dole), un courant érotique s’intéresse, dès le XIIIe siècle, aux mots que les femmes posent sur leur propre corps. Ainsi, les femmes sont-elles capables de décrire leurs propres organes génitaux (le Jugement des Cons), et une origine féminine est proposée pour la première mention française du terme « clitoris », qui se dit landie (Roman de Renart). À l’opposé de la littérature, le sexe féminin interroge aussi le débat médico-théologique dès lors qu’il s’agit de démontrer, à travers l’accouchement marial, la nature humaine du Dieu incarné : bien que pensé comme indolore, cet événement n’en est pas moins naturel et décrit comme tel par la théologie (Tertullien, Thomas d’Aquin, Grégoire le Grand), la littérature mystique (Brigitte de Suède) et la peinture (Niccolò di Tommaso, Giorgio di Martini, Filippo Lippi).

Travailler sur le corps féminin engage ainsi à remettre en question l’image d’un Moyen Âge binaire et manichéen, et à interroger les catégories « homme » vs « femme », « masculinité » vs « féminité ». La recherche récente a montré à quel point ces classifications étaient en réalité moins strictes et exclusives qu’on ne le pense. Surtout, le séminaire entend présenter un corps féminin pluriel et varié. Profitant de la pluridisciplinarité de l’association, ces séances chercheront entre autres à savoir s’il existe un écart concernant le traitement du corps féminin selon les disciplines (archéologie, droit, histoire, littérature, histoire de l’art, philosophie, etc.). Si nous bornons ce séminaire à la période médiévale, les interventions qui ne se restreignent pas à l’espace géographique et culturel occidental sont les bienvenues.

Quelques axes d’études :
* Quel rapport la femme médiévale a-t-elle à son propre corps ? Quelles sources interroger ? Correspondances, commandes artistiques, traités médicaux…
* Y a-t-il une sexualité spécifiquement féminine ? Quel contrôle la femme peut-elle exercer sur son propre corps (avortement, prostitution, violences physiques, contraception, grossesse et parturition) ?
* Le corps paré : quel est le discours moral véhiculé sur l’apparence féminine ? En corollaire, que dit la laideur d’un corps de femme ?
* Peut-on parler de langage corporel féminin (émotions, gestes, comportements) ?
* De quelle manière le corps féminin est-il traité par la médecine ? L’anatomie féminine est-elle respectée dans les traités médicaux, les manuscrits, la peinture ou la sculpture ? Comment le corps était-il étudié ?
* Quelles porosités existent entre le corps féminin et le corps masculin (androgynie, travestissement, rapports du corps et de l’identité) ?
* Du corps idéalisé au corps dénigré : quel est l’impact du discours misogyne ?

Conditions de soumission :
Cet appel à communication s’adresse aux étudiants de master, de doctorat et aux jeunes chercheurs en études médiévales, quelle que soit leur discipline. Les propositions de communication, limitées à 300 mots et à une courte bibliographie, seront accompagnées d’une mention du sujet de mémoire et/ou de thèse du candidat. Elles devront être envoyées à l’adresse suivante : seminaire.lecorpsfeminin@gmail.com pour le 8 novembre, en vue d’une présentation de vingt minutes durant l’une des trois séances du séminaire, qui se tiendront les 13 décembre 2019, 17 janvier et 28 février 2020, et d’une publication dans la revue de l’association (questes.revues.org).

Bibliographie indicative :
-BASCHET, Jérôme, Corps et âmes, une histoire de la personne au Moyen Âge, Paris, Flammarion, 2016.
-BOLOGNE, Jean-Claude, Pudeurs féminines. Voilées, dévoilées, révélées, Paris, Éditions du Seuil, 2010.
-BOUCHET, Florence, « L’écriture androgyne : le travestissement dans le Roman de Silence », Le nu et le vêtu au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence (Senefiance, 47), 2001, p. 47-58.
-EKHOLST, Christine, A Punishment for Each Criminal: Gender and Crime in Swedish Medieval Law, Leiden / Boston, Brill, 2014.
-FOEHR-JANSSENS, Yasmina, « Pour une littérature du derrière : licence du corps féminin et stratégie du sens dans les trois premiers récits des Cent Nouvelles nouvelles », Rien ne m’est seur que la chose incertaine : études sur l’art d’écrire au Moyen Âge offertes à Eric Hicks par ses anciens élèves et ses amis, éd. Jean-Claude Mühletahler, Denis Billotte, Alain Corbellari (et al.), Genève, Slatkine, 2011, p. 277-291.
-FOEHR-JANSSENS, Yasmina, « Un sein d’or et de lait : construire le corps invisible de l’épouse dans la Première Continuation de Perceval », French Studies, LXX (3),2016, p. 315-331.
-GREEN, Monica,The Trotula: a medieval compendium of women’s medicine,Philadelphia, University of Pennsylvania, 2001.
-LANEYRIE-DAGEN, Nadeije, L’invention du corps : la représentation de l’homme du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle, Paris, Flammarion, 2006.
-LE GOFF, Jacques, TRUONG, Nicolas, Une histoire du corps au Moyen Âge, Paris, éditions Liana Levi, 2003.
-LETT, Didier, Hommes et femmes au Moyen Âge : histoire du genre, XIIe- XVe siècles, Paris, Armand Colin, 2013.
-PELLEGRIN, Nicole, McCLIVE Cathy (dir.), Femmes en fleurs, femmes en corps. Sang, santé, sexualités, du Moyen Âge aux Lumières, Presses Universitaires de Saint- Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, collection « l’école du genre », série« nouvelles recherches » n° 4, juin, 2010.
-RIBEMONT, Bernard, Sexe et amour au Moyen Âge, Paris, Klincksieck, 2007.
-ROSSIAUD, Jacques, Amours vénales, La prostitution en Occident, XIIe-XVIe siècle, Paris, Flammarion, 2010.
-ROSSIAUD, Jean, Sexualités au Moyen Âge, Paris, Gisserot, 2012.

Comité scientifique :
Marie-Antoinette Alamenciak
Marie-Christine Payne
Marie Piccoli-Wentzo

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