mercredi 19 septembre 2018

Antoine Léger l'anthropophage

Antoine Léger l'anthropophage. Une histoire des lectures de la cruauté-1824-1903 

Laurence GUIGNARD 

Jérôme Millon
Année : 2018 - 128 Pages - 20 €
978-2-84137-346-8

Premier volume d'une série ARCHIVES dans la collection « Mémoires du Corps »

Ce dossier est consacré aux échos d’un crime exceptionnel qui retentit de la France de la Restauration jusqu’au début du xxe siècle. Il a voulu être attentif au cheminement qui fait du crime d’Antoine Léger une affaire judiciaire, puis un cas médical intéressant plusieurs générations de psychiatres à un moment où l’on scrutait l’intériorité des criminels et les ressorts moraux des actions humaines : de Georget, contemporain de l’affaire, qui défend l’idée d’un acte fou, jusqu’à Krafft-Ebing qui à la fin du siècle inscrit la jouissance du mal qu’il nomme sadisme dans une conception neuve du psychisme. Ce recueil rassemble la série des textes qui ont mobilisés le cas Léger et veut montrer combien l’étiologie de la perversité puis des perversions a constitué un axe fécond de l’histoire de la psychiatrie.

Attentif aux lectures savantes, le dossier introduit également à des conceptions profanes et suggère que les circulations intellectuelles autorisent des hybridations a priori peu orthodoxes. L’examen du dossier judiciaire révèle en effet l’affleurement de savoirs souterrains qui renvoient à un socle ancien structuré : la culture du loup. Celle-ci appartient certes au monde de Léger plus qu’à celui des magistrats, en dépit d’une extension sociale certainement plus vaste que ce que disent les sources conservées, car la geste du loup est rétive au monde de l’écrit. C’est ainsi la parole de Léger recueillie lors des interrogatoires qui lui donne place, en dépit du filtre judiciaire et des effets de transcription voire de traduction, comme c’est presque toujours le cas des « paroles infâmes ». On a voulu donner en fin d’ouvrage l’ensemble de ces procès-verbaux qui conservent une trace ténue de la destinée de ce héros noir, acteur en 1824 de la geste éprouvante d’un autre âge et devenu ensuite l’objet paradoxal d’une réflexion savante d’avant-garde. Léger est ainsi « pris » au fil du siècle dans un système d’écriture polymorphe – judiciaire, littéraire et surtout médicale. Léger le loup-garou a ainsi pu apporter sa contribution silencieuse à la réflexion sur les actes pervers. Il fait de la lycanthropie une forme médicale intermédiaire, une figure à penser qui a permis l’émergence de conceptions neuves. C’est ce parcours, et les séries de reconfigurations qu’il suppose, que le dossier présenté ici – texte et documents – se propose de tracer.

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