Julia Przybos
Editions José Corti,
293 p.
Les rapports entre la bouche et le sexe excitent l’imaginaire de l’homme. Depuis la nuit des temps, des écrivains nous montrent le corps comme siège de besoins et d’appétits. Ripailles, beuveries, douleurs stomacales, matières scatologiques, accouplements plus ou moins cocasses, les classiques s’en donnent à cœur joie : Aristophane, Plaute, Pétrone, Boccace, le Pogge, l’Arétin, Noël du Fail, Brantôme, Rabelais… Et pourtant, un jour, ce lien entre les corps et les livres se dissimule en coulisses. La raison ? L’anthropologue Norbert Elias signale le lent, mais inexorable, « processus de civilisation » enclenché à la fin du Moyen Âge. Les besoins naturels et les désirs charnels se voient peu à peu relégués aux oubliettes de l’art avec un A majuscule, seul jugé digne du roi Soleil et de Versailles.
Refoulé des lettres de la cour royale, le corps refait véritablement surface dans d’innombrables nouvelles et romans du dix-neuvième siècle. Sa réapparition dans la « Grande Littérature » coïncide avec l’essor des sciences du vivant : « La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort », écrit, en 1800, Xavier Bichat. Par ambition scientifique et riches de cet enseignement, les écrivains s’emploient à conter les aventures du corps masculin dans le rapport entre nutrition et reproduction. Quand la machine virile fonctionne sans accroc, elle n’intéresse pas grand monde mais quand elle grippe – elle inspire écrivains grands et petits. Chez les grands, la physiologie se greffe sur d’autres motifs, s’imbriquant dans d’autres mécanismes de la narration (ex. l’argent, l’ambition, la vie mondaine, pour Balzac ; les luttes économique, sociale et politique pour Zola). Chez les petits, l’inspiration physiologique est souvent centrale et donc plus évidente : Champfleury, Erckmann-Chatrian, Lucien Descaves et bien d’autres mettent en scène des corps masculins dont la balance bouche/sexe est à jamais, ou momentanément, déséquilibrée : hommes d’Église chastes, célibataires endurcis, veufs inconsolables, soldats enfermés dans des casernes… Un examen d’auteurs connus, peu lus ou ignorés du grand public permet d’établir, dans le sillage des études structurales du récit, un répertoire des combinaisons narratives qu’ont su inventer et agencer des écrivains de tendances, mouvements, groupes ou écoles divers. Et nous offre une grille de lecture pour cette nouvelle littérature du dix-neuvième siècle qui, stimulée par l’exemple des sciences naturelles, se met à explorer l’existence corporelle de l’homme.
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