Corps, pouvoir, santé : Des poisons et des remèdes dans les "outre-mers" Colloque
du 24 au 25 Avril 2025
Palais du Pharo, Amphithéâtre Gastaut et Salle des Voutes
Catégorie administrative englobante, “l’outre-mer” français ne peut être entendu comme un espace homogène. L’immensité des territoires guyanais et polynésiens, contraste avec les espaces insulaires antillais ou réunionnais, autant que leur distance et leur connexion à l’hexagone, que l’on se trouve dans l’espace atlantique ou océanien. Par ailleurs, si certains territoires sont dominés par une histoire esclavagiste et ses ramifications post-esclavagistes, les territoires du Pacifique ont fait l’objet de stratégies de peuplement, de mise en économie et de domination coloniale différentes. De même, l’intensité du lien post-colonial diffère largement entre les territoires départementalisés en 1946, fondés sur l’identité juridique avec la métropole, et des territoires jouissant d’une large autonomie dans le Pacifique. Ces espaces s’inscrivent aussi dans leur environnement régional ou dans leur relation aux États voisins.
Certes discontinu, l’espace ultramarin français reste marqué par les connexions entre les territoires qui la composent, l’existence d’une superstructure administrative (ministère de l’outre-mer, agences de l’État), des relations politiques croissantes (réunion des régions ultrapériphériques de l’Union Européenne) et l’organisation de fronts communs de résistance et de contestation du statu quo post-colonial (appel de Fort-de-France, 2022). Le lien de sujétion et de dépendance de ces anciennes colonies à leur métropole s’inscrit dans une pluralité de statuts légaux, qui le maintiennent voire le renforcent, tant au plan matériel qu’idéel – représentations et références hexagonalocentrées. En creux, l’appartenance commune à un espace politique et socio-économique français contribue à isoler ces territoires de leurs environnements régionaux. La gestion par les autorités sanitaires de l’épidémie de Covid-19 en 2020 en est la preuve immédiate, le premier confinement ayant été proclamé dans les territoires départementalisés en même temps que dans l’hexagone, à rebours des situations expérimentées dans la zone Caraïbes ou en Afrique australe.
A l’exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, l’ensemble des territoires ultramarins se situe sous des latitudes tropicales ou équatoriales. Ces « pays chauds », véritables « tombeaux de l’homme blanc » (DOZON, 1991), sont aussi des espaces édéniques, exploités au profit de la pharmacopée européenne. Des jardins botaniques, aux missions du Museum d’histoire naturelle, jusqu’aux réseaux des instituts Pasteur et de l’OSRC/ORSTOM/IRD, les outre-mers occupent une place centrale dans la recherche française. La santé est un enjeu de premier ordre pour la mise en économie de ces territoires dans lesquels la médecine française est dans un premier temps une médecine militaire, relevant du ministère de la Marine, puis du cadre des médecins coloniaux à partir de la fondation de l’école du Pharo en 1907. C’est une médecine d’abord au service des troupes coloniales et des fonctionnaires coloniaux qui s’articule autour d’une seule logique hospitalière, anémiant sur le temps long la médecine de ville dans les outre-mers.
Dans une logique de terra nullius qui perdure jusqu’aux périodes les plus contemporaines, la puissance coloniale et (post)coloniale contamine à grande échelle les terres et les eaux des outre-mers français. Ces contaminations sont au cœur des mouvements de résistance et de contestation de l’ordre colonial dans les territoires concernés et au-delà, et interroge la santé comme enjeu de mobilisation décoloniale.
L’objectif de ces deux journées d’étude est d’initier une réflexion transdisciplinaire en croisant les manières dont les sciences humaines et sociales examinent le passé et les situations actuelles des outre-mers autour de quatre axes : le corps, les poisons, les remèdes et les épidémies. Il s’agit d’interroger les effets sur le long terme du fait esclavagiste et colonial dans les départements et territoires français d’outre-mer en matière de soin, de santé et de corporéité. Au-delà de la généalogie des institutions, des pratiques et des perceptions en lien avec le corps et le soin/la santé, l’analyse de ces thématiques consiste à identifier la (re)production d’inégalités et de dominations à différentes échelles : colonialité, centre-périphérie, genre, classe, race, etc. Cela implique d’en comprendre les ressorts et de définir les réactions qu’elles suscitent.
Les journées d’étude pourront ainsi tracer des lignes de force commune à ces espaces tout en mettant l’accent sur des études de cas situées, donnant à voir la singularité de chacun de ces territoires. Les panels successifs seront organisés de manière à déployer une démarche comparatiste, mettant en dialogue les différents espaces ultramarins et les différentes disciplines des sciences sociales. Au travers des quatre axes thématiques, nous traiterons la problématique transversale suivante : comment les pratiques et les représentations liées au corps et au soin/à la santé dans les outre-mers ont-elles été, et continuent-elles d’être façonnées par leur colonialité ?
24 Avril 2025Registration 8:00 - 9:15
9:30 - 10:00
Introduction des journées d'études
Charlotte Floersheim, Ary Gordien, Rubis Le Coq, Blandine Salla, Samuel Tracol
10:00 - 12:00
"Poisons" [Modération : Rubis Le Coq]
Salomé Charpentier, ENS de Lyon, « Production de connaissance et contamination au mercure en Guyane : Une forme de colonialité du savoir ? »
Benjamin Furst, Renaud Meltz, Florence Mury, Université de Haute-Alsace, Centre de recherche sur les économies, les sociétés, les arts et les techniques (CRESAT), « Le thon et l’atome : mesurer l’empoisonnement de la chaîne alimentaire en Polynésie française à l’époque des essais nucléaires (1966-1996) »
Camille Bouko-Lévy, LaSSP (Laboratoire des Sciences Sociales du Politique), IEP de Toulouse, « De quoi la réparation du chlordécone est-elle le nom ? De la gestion technico-sanitaire aux revendications de justice transformative »
Eirann Cohen, New York University, « Penser le jardin créole en temps de toxicité : changements du réel et de l’imaginaire aux Antilles françaises »
Pause déjeuner 12:00 - 13:00
13:00 - 14:00
La médecine coloniale et tropicale à Marseille : Conférence promenée au Pharo
Christelle Rabier et Samuel Tracol
14:00 - 16:00
"Remèdes" [Modération : Catherine Benoît]
Lou Kermarrec, Musée du Quai Branly, « Corps hindous et jardins créoles : circulation, transmission, appropriation des remèdes dits « indiens » dans la médecine populaire guadeloupéenne »
Blandine Salla, EHESS, « On nous interdit d’utiliser nos plantes ». Formes d’agencement et stratégies dans la commercialisation des remèdes végétaux en Guadeloupe.
Marc-Alexandre Tareau et Clarisse Tareau, Université de Guyane, « Remèdes ou poisons ? Petite revue ethnobotanique des plantes (dites) toxiques utilisées dans l’alimentation et la médecine domestique des populations afro-descendantes de Guyane »
Michel Rapinski, CNRS, MNHN, Université Paris Cité, « Le manioc réinventé entre la détoxification traditionnelle et la gestion du diabète. »
25 Avril 2025Accueil des participant.es 8:30
9:00 - 10:30
La santé en crise : Regards croisés Mayotte/Kanaky-Nouvelle Calédonie" [Modération : Charlotte Floersheim et Samuel Tracol]
Isabelle Merle, CNRS, CREDO
Catherine Benoît, Connecticut College
Sarah Permals, Centre Hospitalier de Mayotte
Ricardo Poiwi, patient en Kanaky-Nouvelle Calédonie
Autres intervenant.es à confirmer.
Pause 10:30 - 11:00
"Épidémies" [Modération : Charlotte Floersheim]
Alexandre Getenet, Centre Roland Mousnier, Sorbonne Université, « Du diagnostic à la pratique. Praticiens et administration face à la lèpre dans les sociétés esclavagistes au XVIIIe siècle »
Marie Brualla Challet, Université Paul Valéry Montpellier-3, « Construction savante et construction sociale des maladies : interroger le dialogue savoirs/pratiques en Océanie coloniale. »
Isaora Rivierez, Cerlis, Université Paris Cité, « Loin des yeux, loin du care : genre, soins et mobilisation associative contre le VIH/Sida en Martinique. »
Lucile Hervouet, Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique, Université de la Polynésie française, « Vers une reconnaissance institutionnelle du pluralisme en Polynésie française ? Regards croisés sur les usages de la médecine traditionnelle polynésienne »
Pause déjeuner 13:00 - 14:00
"Corps" [Modération : Ary Gordien]
Constance Rullier-Maugüé, EHESS, « La campagne « 1, 2, 3 bass » : interroger le rôle de l’État dans la régulation des corps reproductifs à Mayotte. »
Victor Campolo, Centre Alexandre Koyré, EHESS, « Sauver la Race Indienne ». La conceptualisation des corps « Indiens » et l’élaboration d’une politique d’assistance sanitaire dans le Territoire Autonome de l’Inini (1935-1939) »
Jim Sion, Université Paris-Cité, « Quand le corps dénutri devient problème. Savoirs médicaux, discours politiques et transition nutritionnelle à La Réunion, de l’après-guerre aux années 1970. »
Alice Servy, Université de Strasbourg, « Cancers féminins et mobilités thérapeutiques depuis le Vanuatu vers la Nouvelle-Calédonie »
Pause 16:00 - 16:30
16:30 - 17:30
Conclusions générales
Dimitri Béchacq, PHEEAC, CNRS, Université des Antilles
Liam Lancreot, médecin de santé publique
Comité d'organisation
[Charlotte FLOERSHEIM]
Ideas, CNRS-AMU -Sesstim, Inserm-IRD-AMU
[Ary GORDIEN]
URMIS
[Rubis LE COQ]
IRISSO, Paris-Dauphine
[Blandine SALLA]
CeRCLEs, EHESS
[Samuel TRACOL]
Sorbonne Université, CRHXIX
[Gabriel GIRARD]
Sesstim, Inserm-AMU