dimanche 10 septembre 2017

Approches du geste chirurgical

Approches du geste chirurgical (20e-21e) : histoire, littérature, philosophie, arts visuels

Appel à contributions

Journée d’étude organisée dans le cadre du projet FNS « La figure du poète-médecin (XXe-XXIe siècles) : une reconfiguration des savoirs »
11 janvier 2018 | Académie nationale de médecine, Paris


La diffusion à la fin du 19e siècle de la révolution des trois A (Anesthésie, Antisepsie, Asepsie) ouvre pour la chirurgie une période conquérante, et bouleverse en profondeur la manière dont se conçoit l’opération chirurgicale. Cette évolution rapide de la technique chirurgicale, avec le perfectionnement de ses outils et l’apparition du bloc chirurgical moderne (à partir de 1900), marque l’avènement d’une véritable « frénésie opératoire[1] », à l’issue de laquelle, en 1928, Jean-Louis Faure pourra écrire : « Tout ce qu’il était anatomiquement possible de faire sur le corps de l’homme vivant a été fait. […] Il n’y a plus rien à tenter[2]. » Pourtant de nouvelles perspectives émergent après la Seconde Guerre mondiale, avec la réparation et le remplacement d’organes [3].

Le perfectionnement de la technique chirurgicale s’accompagne d’une évolution en profondeur du geste chirurgical lui-même. À partir de la fin du 19e siècle, ce siècle où, selon Philippe Hubinois, il se serait accompli plus de progrès chirurgicaux que dans les vingt siècles précédents[4], les « pères coupe-toujours » dénoncés par Octave Mirbeau[5] cèdent la place à des chirurgiens qui sollicitent moins le poignet, symbole d’un passage en force, que les doigts[6], pour une opération le plus en douceur possible, économe du sang du patient. Il faut « se soumettre (…) à plus d’impersonnalité », recommande Henri Mondor, en prenant des « gants de pureté » qui permettent de dépouiller le style chirurgical des « arabesques, des effets, des embarras[7] ». C’est la chirurgie américaine, avec William Halsted, qui adopta à la fin du 19e siècle l’usage systématique des gants de caoutchouc[8]. René Leriche le rencontre à Baltimore en 1913 et loue le minimalisme de ses interventions qui blessent le corps le moins possible[9]. Le chirurgien se glisse « entre la vie et la vie[10] » (Valéry) et devient capable « au besoin [de] ralentir la vitesse de ses mains[11] », voire de céder sa place « pour pouvoir mieux observer[12] », et faire naître des « association[s] inédite[s] d’idées[13] ». Le tempo chirurgical d’un opérateur capable de ralentir et d’accélérer, en fonction d’un programme chirurgical qui se met en place à la fin du 19e siècle[14], ouvre la voie à une conception musicale du geste chirurgical, qui rappelle le rêve de Thierry de Martel, rapporté par Paul Morand, d’une « fugue spécialement adaptée aux opérations, qui permettrait de faire coïncider la dernière suture avec la dernière note[15] ». Le faux style du chirurgien amoureux de ses propres mains, dénoncé par Jean-Louis Faure[16] dans L’Âme du chirurgien, est récusé comme preuve d’un « maniérisme inconvenant[17] ». À cette « coquetterie de jongleur ou d’escrimeur » s’oppose l’« élégance sobre, nette », qui seule a droit « au nom de style[18] » pour Henri Mondor et René Leriche.

L’évolution de la chirurgie depuis la fin du 19e siècle a donc imposé une « meilleure alliance de la tête et des mains[19] ». Pariant sur une intelligence des « mains oculaires[20] », le chirurgien qui « pousse les mots à la lueur de ses doigts[21] », comme l’écrit Lorand Gaspar, refuse l’image de pur technicien qui s’attache encore à sa profession. Devenue « discipline de la connaissance[22] » de l’homme et du vivant, la chirurgie a de plus en plus soif de dialogue : avec les autres scientifiques, en particulier les biologistes, mais également avec des interlocuteurs qui lui renvoient un miroir d’elle-même – comme la philosophie, les arts visuels, la littérature – et lui permettent de faire émerger une véritable pensée de son art. Pourquoi les chirurgiens, s’interroge Paul Valéry en 1938, lorsqu’à l’invitation d’Henri Mondor il prononce un discours au congrès de chirurgie, éprouvent-ils le besoin d’inviter un « profane[23] » au cœur de leurs débats ? Ils semblent l’inciter à une « biopsie[24] », et qu’à son tour il entreprenne d’« ouvrir[25] » le chirurgien… De même, lorsque René Leriche, suivi récemment par Philippe Hubinois, intitule un ouvrage Philosophie de la chirurgie, c’est à un dialogue avec d’autres philosophes et penseurs qu’il invite, comme l’a bien compris Georges Canguilhem[26], dont Michel Foucault souligne l’importance « décisive » pour « tous ceux qui, à partir de points de vue si différents, ont essayé de repenser la question du sujet[27] ». Enfin, de nos jours, la culture populaire télévisuelle s’empare du geste chirurgical qui intéresse notamment Steven Soderbergh dans la série The Knick (2014-2015). Le réalisateur revisite la période cruciale de la chirurgie américaine du début du 20e siècle.

Le « geste chirurgical » sera donc le point focal de cette journée d’étude interdisciplinaire. Nous nous donnons pour objectif d’approfondir la connaissance de ce geste et de son évolution depuis la fin du 19e siècle jusqu’aux bouleversements techniques les plus récents – chirurgie « mini-invasive » et chirurgie télévisuelle – pour mettre la main du chirurgien et son maniement des outils chirurgicaux en dialogue avec ceux qui ont cherché à la voir à l’œuvre et à la donner à voir, ouvrant la voie à une poétique de la chirurgie, une philosophie, une chorégraphie… Les propositions envoyées devront donc envisager le dialogue entre la chirurgie et ses autres, que ce soit en France ou ailleurs, précisément à partir de la question gestuelle, pour la soumettre aux interrogations venues d’autres champs disciplinaires. Cette journée d’étude est donc ouverte aux propositions venues de disciplines telles que l’histoire de la chirurgie, la littérature, la philosophie et les arts visuels.


Les propositions de contribution (titre et résumé de 15 à 20 lignes, accompagnés d’une bio-bibliographie d’une demi-page) sont à envoyer, pour le 1er octobre 2017 au plus tard, simultanément à Thomas Augais (thomas.augais@unifr.ch) et Julien Knebusch (julien.knebusch@unifr.ch).


RESPONSABLES
Thomas Augais (thomas.augais@unifr.ch), Julien Knebusch (julien.knebusch@unifr.ch), Jérôme van Wijland (jerome.van-wijland@academie-medecine.fr)



[1] Philippe Hubinois, Petite philosophie de la chirurgie, Paris, Michalon, coll. « Encre marine », 2006, p. 68.

[2] Ibid., p. 69.

[3] Ibid., p. 71.

[4] Ibid., p. 68.

[5] Octave Mirbeau, « Les pères Coupe-Toujours », Le Journal, dixième année, n° 3363, dimanche 15 décembre 1901, p. 1.

[6] René Leriche, La Philosophie de la chirurgie, Paris, Flammarion, 1951, p. 205.

[7] Henri Mondor, Hommes de qualité, Paris, Gallimard, 1939, p. 18.

[8] Michel Germain, L’Épopée des gants chirurgicaux, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 43-46.

[9] René Leriche, Souvenirs de ma vie morte, Paris, Seuil, 1956, p. 84.

[10] Paul Valéry, « Discours aux chirurgiens » [1938] dans Œuvres, t. I, éd. Jean Hytier, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 912.

[11] René Leriche, La Philosophie de la chirurgie, op. cit., p. 71.

[12] Ibid.

[13] René Leriche, « De la méthode de la recherche en chirurgie », Discours d’ouverture du 42e congrès français de chirurgie le 9 octobre 1933, Paris, Masson, 1933, p. 30.

[14] Voir René Leriche, Souvenirs de ma vie morte, op. cit., p. 72 : « Chaque temps est bien marqué ». 
[15] Paul Morand, « D’Artagnan in White: The French Surgeon, Thierry de Martel », Vogue, 15 oct. 1953, p. 115.

[16] Jean-Louis Faure, L’Âme du chirurgien : essais, discours, souvenirs, Paris, Les Arts et le Livre, 1928.

[17] Henri Mondor, René Leriche. Chirurgien, Paris, Ventadour, 1956, p. 83.

[18] Ibid.

[19] Jean-Paul Binet, Les Vies multiples de Henri Mondor, Paris, Masson, 1993, p. 21. Sur l’évolution de la chirurgie notamment allemande et nord-américaine, voir Thomas Schlich, « “The Days of Brilliancy are Past“: Skill, Styles, and the Changing Rules of Surgical Performance, ca. 1820-1900 », Medical History, 2015, vol. 59 (3), p. 379-403.

[20] Jean Riolan, Manuel anatomique et pathologique, ou Abrégé de toute l'anatomie et des usages que l'on en peut tirer pour... la guérison des maladies, Nouvelle édition corrigée & augmentée de la 6e partie, sur les mémoires et livres imprimez de l'autheur, traduction française de François Sauvin, À Paris, chez Gaspar Meturas, 1661 [1ère éd. 1653], fol. ?1v.

[21] Lorand Gaspar, Feuilles d’observation, Paris, Gallimard, 1986, p. 42.

[22] René Leriche, La Chirurgie, discipline de la connaissance, Nice, La Diane française, 1949.

[23] Paul Valéry, « Discours aux chirurgiens », op. cit., p. 909.

[24] Ibid., p. 915.

[25] Ibid.

[26] Georges Canguilhem, « La pensée de René Leriche », La Revue philosophique de la France et de l’Étranger, t. 146, 1956, p. 313-317.

[27] Michel Foucault, « La vie : l’expérience et la science » [1985], Dits et écrits, II. 1976-1988, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001, p. 1595.

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