lundi 3 avril 2017

Le corps en faillite

Le corps en faillite : expériences et représentations du handicap dans la littérature et les arts


Appel à communications



20 et 21 octobre 2017

Colloque international interdisciplinaire

Université Jean Monnet, Saint-Etienne (CELEC) & Université Jean Moulin – Lyon 3 (IETT)



Ce colloque sera consacré à l’expérience et à la représentation du handicap dans la littérature et les arts. Que l’on pense au membre paralysé ou amputé, à la déficience visuelle ou mentale, à l’estropié de guerre ou à l’accidenté de la route, on ne peut que souligner la profonde fascination qu’a suscité le corps en faillite dans la sphère artistique comme dans l’imaginaire populaire. Hors-norme et littéralement extraordinaire, il paraît cependant résister tant à la représentation qu’à l’interprétation, les enjeux qu’il a pu soulever ayant souvent été limités par une vision qui l’a réduit à une version diminuée du « corps normal ». Par ailleurs, puisque l’idéal du « corps sain dans un esprit sain » a longtemps prévalu, le corps handicapé a souvent été présenté comme le symptôme d’une faute morale ou la manifestation physique d’un mal ontologique, approche qui l’a cantonné à une lecture métaphorique ou allégorique.

Ce n’est qu’au milieu des années 1980 que l’attention critique nouvelle suscitée par la question du handicap en renouvelle les enjeux, alors que les disability studies se constituent en Amérique du Nord comme champ disciplinaire à part entière. En France, ce n’est que très récemment que la question a commencé à soulever un intérêt critique. Au croisement des notions de gender, race et class, ce champ d’étude a activement contribué à enrichir un dialogue interdisciplinaire autour de la question de l’identité. Cette visibilité nouvelle a permis de repenser l’approche du handicap, en cessant de l’envisager sous l’angle de la déficience et de la carence.

Les disability studies ont en effet replacé le sujet handicapé au cœur de la réflexion et l’ont débarrassé des stigmates qui ont longtemps pesé sur lui, notamment en réarticulant le rapport entre le normal et le pathologique. Ce travail a permis de mettre au jour un autre rapport au monde et à soi, d’identifier les stratégies par lesquelles celui-ci transcende les limites que son corps lui impose, tant dans la vie quotidienne que dans la pratique artistique. C’est dans cette perspective que nous nous proposons d’interroger les figures du corps handicapé dans les productions littéraires, cinématographiques, culturelles et artistiques, dans le monde anglo-saxon et au-delà.

Tout d’abord, le handicap est une expérience qui implique bien souvent la construction d’un récit et nous souhaitons prêter une attention toute particulière aux formes narratives qu’il adopte et adapte. Le handicap suscite inévitablement un récit : le membre manquant, le corps paralysé ou l’altération cognitive impliquent le besoin de rendre compte de ce qui en est à l’origine. Ce récit, constamment remodelé au fil du temps et au gré des contextes, permet à l’individu de se libérer des discours institutionnels et du langage médical ainsi que de se (re)construire grâce à la force génératrice du récit qu’il produit. Il dépasse ainsi l’expérience traumatique et se réapproprie une identité qu’il a lui-même façonnée. Le handicap a ainsi contribué à redéfinir les genres et les formes narratives, du comique au tragique. Se pose alors un double questionnement sur les fonctions diégétiques du sujet handicapé et les stratégies narratives à l’œuvre dans ces récits. La représentation du handicap opère en effet une réarticulation du rapport à l’espace (limite / immobilité / confinement) et au temps (durée, ressassement, projection), du rapport à soi (acceptation, négation) et à l’autre (dépendance, perception), du rapport au langage et à la création.

Par ailleurs, l’expérience du handicap induit souvent un renouvellement des pratiques artistiques qui exploite toutes les possibilités créatrices qu’offrent le geste maladroit, la parole qui achoppe et le corps vulnérable. On ne peut donc limiter le handicap aux stratégies de compensation et de réparation visant à combler les défaillances qu’il implique. La prothèse, par exemple, ne relève pas d’une simple substitution ou d’une imitation (de l’organe défaillant ou du membre manquant), mais d’une association entre corps et technologie qui déterritorialise la sphère de l’humain et en améliore les performances. Ce qui ne peut se faire ou se dire trouve ainsi des canaux d’expression détournés et donne naissance à des formes et des pratiques inédites.

Si une poétique du handicap ne peut se satisfaire d’une simple célébration des dysfonctionnements, des déficiences et des défaillances du corps humain, peut-elle se soustraire à l’opposition binaire entre manque et excès, impuissance et surpuissance ? De la même façon, comment échapper à la double impasse de l’exhibition ou de l’invisibilité, de la répulsion ou de la sublimation, de la stigmatisation et de l’idéalisation ? Puisque le corps handicapé ne se conforme pas aux codes esthétiques, dans quelle mesure, artistes, cinéastes et écrivains réarticulent-ils notre rapport au beau et au laid ? Se pose alors la question des affects et du malaise que suscite le corps handicapé. Il s’avère alors crucial d’analyser le bouleversement qu’il opère dans l’expérience sensible, les affects singuliers qu’il met en jeu et la différence irréductible qu’il représente. L’expérience cognitive générée par le handicap ouvre à toute une série d’expériences esthétiques inédites et le pouvoir de la fiction se retrouve au service d’une construction identitaire bâtie sur une autre relation au temps, à l’espace et au corps. Le repérage de ces formes et des possibilités qu’elles offrent participe à la compréhension et à la transformation des représentations collectives du handicap.

Nous sollicitons notamment des propositions sur les axes suivants :

- corps handicapé et technologie

- handicap moteur / psychique et les limitations de la perception

- le handicap et ses ressorts tragiques / comiques

- récits du handicap et (re)construction de l’identité

- le personnage handicapé comme héros / personnage secondaire

- le handicap au cœur de la pratique artistique

- les handicaps et les arts corporels / visuels

- la réception des disability studies en France et ses questionnements liés à la terminologie

- la relation handicapé / valide

- vieillesse et handicap

- handicap, genre et sexualités



Les propositions de communication (300 mots) sont à envoyer à Pierre-Antoine Pellerin (pierre-antoine.pellerin@univ-lyon3.fr) et Sophie Chapuis (sophie.chapuis@univ-st-etienne.fr) avant le 15 mai 2017.



Bibliographie sélective

Couser, Thomas G. and Thomas Griffith, Signifying Bodies: Disability in Contemporary Life Writing, Ann Arbor: University of Michigan Press, 2009.

Davis, Lennard J., Bending over Backwards: Disability, Dismodernism and OtherDifficult Positions, New York: New York University Press, 2002.

Eco, Umberto (dir.), Histoire de la laideur, Flammarion, 2007.

Garland-Thompson, Rosemarie, Extraordinary Bodies, Figuring Physical Disability in American Culture and Literature, New York: Columbia University Press, 1997.

Hall, Alice, Literature and Disability, London: Routledge, 2016.

Mitchell, David T., and Sharon L. Snyder. Narrative Prosthesis: Disability and the Dependencies of Discourses, Ann Arbor: University of Michigan Press, 2000.

Sandhal, Carrie and Philip Auslander (ed.), Bodies in Commotion, Disability and Performance, Ann Arbor: University of Michigan Press, 2005.

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