De l'injonction aux résistances
Les institutions mondiales, européennes et françaises de santé construisent leurs politiques publiques autour d’une vision positive et idéalisée de la santé comme « un état de bien-être physique, mental et social et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité». Cette définition amène à s’interroger sur les questions de sexualités, de précarités, d’inégalités, de discriminations et de violences au prisme du genre.Pourtant, les discours et les injonctions à une « bonne santé » et à une « bonne sexualité », qui seraient gages d’épanouissement et de bien-être, tout comme les dispositifs et les pratiques censées les favoriser, sont sous-tendus par des normes de genre qui peuvent aller à l’encontre de ces objectifs. Cette journée d’étude propose ainsi d’interroger ce paradoxe et sera consacrée aux articulations entre genre, santé et sexualités. L’appel à contribution s’adresse à des jeunes chercheuses et chercheurs (étudiant·e·s en master, doctorant·e·s, post-doctorant·e·s) et se veut résolument pluridisciplinaire. Différents axes de recherche, non exhaustifs, ont été dégagés.
La santé, (nouvelle) morale sexuelle ?
La science a aujourd’hui la capacité d’expliquer le fonctionnement du corps ainsi que l’origine et la transmission des maladies, et l’on pourrait donc penser que la médecine n’est plus le terrain de la morale. Cependant, des discours non scientifiques, voire moraux, occupent encore un terrain que l’on penserait dévolu à la médecine et cette dernière n’est elle-même pas exempte de moralisation. Le sida punirait ceux qui pratiquent la sodomie, ou bien, sur un autre plan et avec d’autres enjeux, des praticiens de la médecine ne laissent pas le choix de leur contraception à certaines patientes (refus de pose d’un stérilet pour cause de vie sexuelle non « stable »). Ils peuvent aussi refuser de pratiquer l’IVG pour des raisons personnelles, religieuses ou morales (objecteurs de conscience). Ces pratiques et ces discours jouent sur la culpabilité des sujets qui échappent à une sexualité normative et aujourd’hui encore les IST (infections sexuellement transmissibles) peuvent être considérées comme des sanctions frappant les individu·e·s en raison de leurs « turpitudes » et de leur sexualité hors-norme.
Dans cet axe, il s’agit d’interroger non seulement les représentations des infections et des patient·e·s atteint·e·s d’IST mais plus largement la santé en tant que morale sexuelle. L'importance donnée au maintien de la santé physique et sexuelle est-elle susceptible de s'appuyer, volontairement ou non, sur l'inculcation d'une morale implicite ? Dans quelle mesure ce phénomène est-il perceptible dans les discours médicaux ? Et plus largement dans les campagnes de sensibilisation et de prévention liées à la sexualité, dans les cours d’éducation sexuelle délivrés au collège et au lycée ?
De nombreuses vérités médicales se sont succédées au cours des derniers siècles, dont certaines peinent à s’estomper : l’hystérie serait une maladie spécifiquement féminine, les hommes auraient des besoins sexuels plus importants que les femmes, la matrice (l’utérus) serait un pénis retourné et inversé à l’intérieur du corps, etc.
Nous aimerions dans cet axe aborder le sexisme et l’hétérosexisme à l’œuvre dans les sciences tant sur le plan des représentations scientifiques et des recherches entreprises que sur celui des rapports entre soignant·e·s et soigné·e·s. Les communications pourront aborder la prise en compte des spécificités des corps et de la santé des femmes, l’hétéronormativité de la prise en charge médicale des corps trans ou intersexués, la méconnaissance et la stigmatisation des pratiques, des plaisirs et des risques spécifiques aux sexualités dissidentes, mais aussi le tabou entourant les pratiques sexuelles des personnes handicapées et des personnes affectées par une maladie de longue durée.
D’autres questions peuvent être également abordées, notamment les pratiques sexuelles ou les normes relatives à une bonne santé pendant la grossesse. Les contributions mettant en valeur les formes de résistances vis-à-vis des injonctions médicales et thérapeutiques et de réappropriation des savoirs scientifiques concernant le corps et la sexualité ainsi que les critiques féministes et queer du monde médical sont également les bienvenues.
Ne pas se conformer aux injonctions normatives de genre, de sexualité et de santé, c’est s’exposer, ou se retrouver exposé·e à des discriminations qui relèvent de la reconnaissance citoyenne et qui prennent place dans l’espace public. Il en va ainsi de l’accès aux soins et à la prévention en matière de santé, souvent conditionné par les orientations de genre et de sexualité et également influencé par les localisations géographiques. Il en va de même de la question des mobilités et des pratiques urbaines, tout comme de l’accès à l’espace public : ne sort pas qui veut, où, quand, comme il·elle le souhaite.
L’analyse de ces discriminations amène à s’interroger sur les possibilités pour chacun·e de mener sa vie quotidienne sans entraves, tout comme sur les buts et les enjeux des politiques publiques. Pour qui sont pensées ces politiques ? En quoi orientent-elles les définitions de genre, santé et sexualités ? Quelles mesures sont prises ou non pour garantir un accès à l’espace citoyen en toute sécurité ? Enfin, le rôle joué par les aménagements urbains et architecturaux est également à l’ordre du jour : en quoi l’agencement des différents lieux et espaces (domestique, urbain, public, carcéral, etc.) impose-t-il des normes implicites en matière de genre, santé et sexualité ? Dans cette optique, les questions – aux enjeux multiples – du travail du sexe et du système prostitutionnel ainsi que de la santé de leurs différents acteur·trices·s pourront être mises en perspective.
Violences, sexualités et santé
S’exerçant au sein des espaces, privés, publics et professionnels, les violences sexuelles prennent différentes formes : agressions, harcèlement, mutilations, viols, esclavagisme sexuel etc. Ces violences ont des répercussions importantes sur la santé tant physique que psychologique des victimes: comment ces conséquences se manifestent-elles ? Comment les violences sexuelles impactent-elles la sexualité des victimes ? Comment ces effets sont- ils pris en charge par les organismes de santé ? Et a contrario, comment les institutions juridiques, carcérales et médicales encadrent-elles et prennent-elles en charge la sexualité des auteur·e·s de violences sexuelles ?
Par ailleurs, femmes, lesbiennes, gays, trans’ sont exposé·e·s de manière fréquente à différentes violences (hétéro)sexistes, homophobes et sexuelles. De l’injure aux viols « correctifs », qui visent à punir la sexualité supposée des victimes, différents mécanismes sociaux violents se mettent en place dans le but de guérir l’individu·e de sa « déviance ». Le rôle des organismes de soin dans ces réassignations à l’œuvre sera alors à examiner.
S’exerçant au sein des espaces, privés, publics et professionnels, les violences sexuelles prennent différentes formes : agressions, harcèlement, mutilations, viols, esclavagisme sexuel etc. Ces violences ont des répercussions importantes sur la santé tant physique que psychologique des victimes: comment ces conséquences se manifestent-elles ? Comment les violences sexuelles impactent-elles la sexualité des victimes ? Comment ces effets sont- ils pris en charge par les organismes de santé ? Et a contrario, comment les institutions juridiques, carcérales et médicales encadrent-elles et prennent-elles en charge la sexualité des auteur·e·s de violences sexuelles ?
Par ailleurs, femmes, lesbiennes, gays, trans’ sont exposé·e·s de manière fréquente à différentes violences (hétéro)sexistes, homophobes et sexuelles. De l’injure aux viols « correctifs », qui visent à punir la sexualité supposée des victimes, différents mécanismes sociaux violents se mettent en place dans le but de guérir l’individu·e de sa « déviance ». Le rôle des organismes de soin dans ces réassignations à l’œuvre sera alors à examiner.
Résistances et appropriations
Contraints par des normes, des injonctions voire des oppressions, sexualités et genre deviennent-ils des lieux de résistance allant jusqu’à mettre en jeu la santé des individu·e·s ? Dans quelle mesure résister ou se réapproprier des normes de sexualité et de genre revient- il à en faire de même avec celles de santé ? Dans cet axe, nous nous intéresserons aux revendications de santé des femmes, des gays, des lesbiennes, des bisexuel·le·s, des trans’, des intersexué·e·s, des queers, des « putes » et acteur·ice·s pornos. Quid de la santé sexuelle des asexuel·le·s ? Considérant que les luttes minent aussi la santé (fatigue, stress et parfois exposition physique des militant·e·s), comment soignent-ils·elles leurs forces, développent-ils·elles ou non en interne des pratiques de care ? Les stages d’autodéfense en font-ils partie ?
Résister à des sexualités normatives, c’est-à-dire développer des sexualités queer, inclut les résistances hétérosexuelles à la norme et ne se joue pas dans un opposition straight/queer : résister, c’est aussi s’émanciper ou détourner des représentations, des pratiques, des objets, des lieux conventionnels et hégémoniques. Ces mouvements déplacent les enjeux de santé et créent un décalage entre les individu·e·s, leurs besoins, les institutions médicales, les associations, les savoirs et contrôles sanitaires. On peut citer parmi ces mouvements : les lieux de drague extérieurs, le développement d’Internet et des cybersexualités, etc. Internet est-il le nouveau préservatif ? Nous attendons aussi des communications ayant trait à la culture visuelle, dont les pornos féministes, queer et do it yourself : comment la santé est-elle prise en compte dans et hors champ ?
Bibliographie
BAJOS N. et BOZON M., Enquête sur la sexualité en France : pratiques, genre et santé, Paris, La Découverte, 2008.
BAJOS N., FERRAND M. et l’équipe Giné. De la contraception à l’avortement : sociologie des grossesses non prévues. Paris, Inserm, 2002.
CANGUILHEM G., Le Normal et le pathologique. Paris, PUF, 1966.
CHAPERON S., Les Origines de la sexologie (1850-1900), Paris, Audibert, 2007.
CHETCUTI N., JASPARD M., Violences envers les femmes : trois pas en avant deux pas en arrière, Paris, l’Harmattan, 2007.
COENNEN M. T., KNIBIEHLER Y., Corps de femmes : Sexualité et contrôle social, Bruxelles, De Boeck, 2002.
FOUCAULT, Michel. Histoire de la sexualité : la volonté de savoir. Paris, Gallimard, 2000.
FOUCAULT, Michel. Histoire de la sexualité : l’usage des plaisirs. Paris, Gallimard, 1997.
FREIDSON E., La Profession médicale, Paris, Payot, 1984.
GAYLE R., Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe, textes rassemblés et édités par MESLI R., Paris, Epel, 2011.
HUBBARD P., Cities and sexualities, London, Routledge, 2011.
JONHSTON, L., LONGHURST R., Space, Place and Sex. Geographies of sexualities, Plymouth, Rowman & Littlefield, 2010.
LAQUEUR T., La Fabrique du sexe : essai sur le corps et le genre en Occident, Paris, Gallimard, 1992.
LIEBER M, Genre, violences et espaces publics, la vulnérabilité des femmes en question, Paris, Presse de Sciences-Po, 2008.
MORT F., Dangerous sexualities : medico-moral politics in England since 1830, Londres, Routledge, 1987.
PARIZOT I., Soigner les exclus. Paris, PUF, 2003.
SHORTER E., Le Corps des femmes, Paris, Le Seuil, 1984.
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SHORTER E., Le Corps des femmes, Paris, Le Seuil, 1984.
Modalités de soumission
La journée se déroulera le 29 novembre 2013 à Paris. Le lieu exact sera précisé ultérieurement.
Les propositions de communication de 30 lignes maximum doivent être envoyées au plus tard
le 15 août 2013
à l’adresse : efigiesje2013@gmail.com
La journée se déroulera le 29 novembre 2013 à Paris. Le lieu exact sera précisé ultérieurement.
Les propositions de communication de 30 lignes maximum doivent être envoyées au plus tard
le 15 août 2013
à l’adresse : efigiesje2013@gmail.com
Elles doivent être adressées en affichant en objet du mail nom, prénom et JE2013.
Les pièces jointes doivent nous parvenir en format doc. avec indications des noms, prénoms, disciplines et rattachement universitaire s’il y a lieu.
Le choix des communications sera communiqué le 15 septembre 2013.
Comité d’organisation
Adeline Adam (Doctorante sous contrat, CERILAC, Paris 7)
Karine Duplan (Doctorante en géographie, ENeC, Paris-Sorbonne)
Lola Gonzalez-Quijano (Docteure, Gustave Roussy, URSHS)
Guillaume Roucoux (Doctorant GSRL-EPHE / Paris 8-LabTop-CEFEG)
Marie- Sherley Valzema (Doctorante en sciences de l'information et de la communication, Paris 3, Labo CIM)
Adeline Adam (Doctorante sous contrat, CERILAC, Paris 7)
Karine Duplan (Doctorante en géographie, ENeC, Paris-Sorbonne)
Lola Gonzalez-Quijano (Docteure, Gustave Roussy, URSHS)
Guillaume Roucoux (Doctorant GSRL-EPHE / Paris 8-LabTop-CEFEG)
Marie- Sherley Valzema (Doctorante en sciences de l'information et de la communication, Paris 3, Labo CIM)
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