mercredi 1 novembre 2023

Corps, sport et jeux

Corps, sport et jeux
 

Appel à communications

148e congrès, Aubervilliers, 21-24 mai 2024:


Le CTHS, installé désormais au Campus Condorcet, se devait de consacrer au thème du sport son Congrès 2024, en l’année olympique réservée aux troisièmes Jeux de Paris après ceux de 1900 et 1924. Première coïncidence heureuse : c’est juste en face du bâtiment des conférences du campus que fut récemment installé celui de l’organisation des jeux. La jeunesse, en la personne des garçons et des filles recrutés pour participer à celle-ci, côtoya plusieurs années durant, sur la place du Front Populaire, le milieu un peu plus âgé – mais pas toujours – des chercheurs en sciences humaines et sociales. Seconde coïncidence c’était, en cette année 2024, à la section antiquisante du CTHS, autrefois dénommée « section d’histoire et d’archéologie des civilisations antiques » et désormais « section des sciences de l’Antiquité », d’assumer l’organisation du Congrès. Or, si l’on peut s’interroger sur l’origine des activités physiques dans les sociétés humaines, origine que l’on attribuera évidemment à l’homme du paléolithique, personne ne pourra nier que les « Jeux olympiques » ont été inventés par les Grecs de l’Antiquité, en 776 avant notre ère (date officielle). Il faudra, comme on sait, attendre près de vingt siècles, en 1896, pour voir renaître les Jeux sous leur forme contemporaine, ce qui interroge évidemment sur la conception que les sociétés historiques ont pu se faire du « sport » à travers les siècles, et surtout des manières fort diverses qu’elles ont su choisir pour les appliquer.


Soulignons tout d’abord que parler de « Jeux olympiques » pour la Grèce antique est une façon de dire qui ne va pas sans risques. En effet, tout spécialiste du sujet nous objectera aussitôt qu’« on ne jouait pas, à Olympie », mais qu’on s’y confrontait les uns aux autres. Ce qu’on nomme improprement « des jeux » étaient en grec « des concours » (un agôn, des agônes). Et, à Rome, les ludi n’étaient pas de simples intermèdes ludiques mais ils désignaient tous les spectacles, et pas seulement sportifs, organisés de manière officielle. Par-delà ces quelques impropriétés, on trouvera ici un premier élément de controverses positives et de réflexions fécondes : peut-on vraiment séparer, dans tout sport, l’esprit de « compétition » de celui d’« agrément » ? Les aristocrates romains le pensaient, qui voyaient l’exercice physique comme un lusus, et qui n’auraient jamais eu l’idée d’aller perdre leur dignitas en s’inscrivant dans une compétition sportive (Thuillier 1996, p.9, citant Tacite : « se donner en spectacle au public chose qui, chez nous, est marquée d’infamie, de basse condition et est fort loin de l’honorabilité »). Toutefois, comme tout le monde n’est pas demeuré romain, on n’en restera pas à cet esprit de système et l’on se risquera à marier sport et jeux, au moins pour une fructueuse confrontation plutôt que dans un triste divorce. 


On se proposera donc de parler de sport et de jeux. Concernant le premier mot, on l’emploiera sans réticence aucune, même si, bien sûr, il n’existait pas sous cette forme dans l’Antiquité. Là encore nous reprendrons Jean-Paul Thuillier qui, dans un ouvrage fort utile intitulé Le sport dans la Rome antique, se justifiait ainsi : « non seulement il n’y a pas d’inconvénient à l’utiliser, mais ne pas le faire nous conduirait d’une façon générale à ne parler de l’Antiquité classique qu’en grec ou en latin » (p. 12).
Quant aux jeux, ils sont évidemment de toutes les époques et de tous les pays, et ils offriront donc un champ d’investigations qui conviendra parfaitement à l’esprit fédérateur et transpériodique du CTHS. Mais il fallait tout de même tenter d’en préciser les limites. Si nous avons associé le mot de « corps » aux deux mots « sport et jeux », c’est avant tout pour exclure les « jeux d’esprit » (même si l’on dit parfois que les échecs sont un sport) et, plus encore, les jeux de hasard. En insistant sur le « physique » aux dépens du « mental », nous souhaitons ne pas trop nous éloigner de l’esprit sportif imposé par les Jeux olympiques. Mais nous intégrerons tous les exercices corporels qualifiés de « jeux » alors qu’ils n’ont rien d’olympique comme les jeux de lancers, jeux de boules, jeux de quilles, tir à la corde, mât de cocagne, etc. et toutes les activités physiques qui relèvent plus ou moins de l’art du cirque, acrobatie, trapèze, etc. 


En ouvrant ainsi la problématique à celle du corps, que nous plaçons en tête de titre, nous souhaitons aller dans le sens des études récentes à ce sujet, qui permettent de dépasser une approche datée des identités, des modes d’éducation, des conflictualités, etc. Même s’il n’est pas exclusivement consacré au sport, le livre récent de Florence Gherchanoc intitulé Concours de beauté et beautés du corps en Grèce ancienne. Discours et pratiques, Ausonius, Bordeaux, 2016, montre bien la voie à suivre, par exemple dans son étude du « concours de prestance » appelé euexia. À Athènes, aux Panathénées, ce concours de « top model » s’appelait euandria.

 
Cela devrait permettre aussi à des spécialistes d’époques où le sport était inconnu ou peu pratiqué, de trouver des sujets intéressants et novateurs comme la formation des jeunes, l’exclusion/participation des femmes, le « corps du souverain » (voir par exemple la course rituelle du « heb-sed » pharaonique, dans la cour du jubilé, que le pharaon Pépi II dut accomplir alors qu’il était centenaire…), le sport et l’estime de soi, etc. À ce titre des sujets comme la chasse, le tir, l’équitation, la natation, la voile, l’alpinisme et tout ce que l’on peut classer sous la probablement fallacieuse catégorie des « sports de loisir » seront les bienvenus. Car il s’agira précisément de réfléchir sur les liens complexes qui unissent l’idée d’effort avec celle de plaisir. 


Évidemment les problématiques traditionnelles seront abordées. En premier lieu sans doute celle de « sport et spectacle » (qui a fait l’objet de plusieurs synthèses anglo-saxonnes, hélas trop peu francophones), de « sport et argent », de « sport et violence », de « sport et nationalisme », de « sport et santé », catégorie profondément renouvelée désormais avec l’invention de l’handisport. Toutefois, afin d’éviter que l’histoire de la médecine ne prenne trop d’importance dans les débats, nous souhaitons restreindre le thème de la santé à l’hygiène corporelle, à l’alimentation du sportif, et à tout ce que l’on pourra mettre, pour reprendre un terme à la mode, sous l’expression hautement positive d’« avoir la forme ». On intégrera la gladiature romaine, même si, contrairement à l’idée reçue, il ne s’agissait pas de « jeux » mais de munera (à l’époque impériale des « cadeaux » offerts en plus du programme traditionnel des cérémonies religieuses ou funéraires). Mais cela permettra d’ouvrir des perspectives vers des traditions comme la corrida jusqu’à des innovations comme le retour du pancrace sous la forme du MMA… Rappelons que pour les Grecs le « sport » était assez strictement limité à quelques rares épreuves d’athlétisme et de combat (voir la synthèse de Jean-Manuel Roubineau sur la boxe antique) associées aux courses hippiques. On n’y faisait pas de paris ce qui, assurément, n’a pas grand-chose à voir avec le sport des temps modernes. C’est bien la preuve qu’une approche commune à toutes les époques et toutes les cultures, bien dans l’esprit du CTHS, ne devrait pas manquer de stimuler les confrontations. 


Voici en annexe quelques orientations que nous souhaitons proposer.


Le corps de l’athlète
Il ne s’agira pas seulement du corps des sportifs connus par l’histoire de l’art (mais toutes les propositions à cet égard seront les bienvenues), mais plus généralement de la valorisation athlétique personnelle aux fins de distinction sociale, à commencer par le corps du souverain et par celui de ses élites, en opposition au corps déformé de « l’ennemi » ou du « mauvais prince ». Fallait-il obligatoirement, pour appartenir au groupe civique grec, être un athlète ? Qu’est-ce qu’un champion ? Qui est-il ? Au-delà de son palmarès, qu’est-ce qui fait que le public le vénère ? Un champion doit-il être toujours exemplaire ?


Le public sportif
Masculinité vs Féminité. Qui va au stade ? Est-ce « le peuple » ? Le sport est-il un opium du peuple ou, au contraire, offre-t-il des occasions de contestation sociale que le pouvoir se doit de réguler ? Avec les progrès de la technologie, le sport ne risque-t-il pas de devenir une affaire de plus en plus remplie d’experts et de vidéos ?


Les lieux du sport
S’intéresser aux lieux du sport amène à interroger le choix des lieux tout comme les aménagements nécessaires à leurs pratiques. La nature du sport envisagé influence fortement les lieux d’implantation des infrastructures nécessaires qui peuvent s’accompagner d’un développement touristique économiquement appréciable (exemple du ski en montagne). Les formes d’urbanisation spécifiques liées à la pratique de certains sports constituent un domaine d’investissement très pertinent, ce d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans des contextes historiques et géographiques variés. Dans un contexte événementiel, celui par exemple des Jeux olympiques, la programmation de nouveaux équipements (stades, patinoires, centre aquatique) peut aller jusqu’à la construction d’un quartier apparenté dans son appellation à la notion de village. Ces éléments peuvent accompagner la redynamisation de territoires en difficulté tout en posant la question de leur devenir, une fois les manifestations sportives clôturées. Quelle pérennité envisager ? Quelle reconversion imaginer ? Quels héritages résultent de ces compétitions, au bénéfice de qui ? L’aménagement des lieux du sport soulève notamment des questions environnementales et patrimoniales. Au début des années 2010, le projet d'extension de Roland Garros sur une partie du jardin des serres d’Auteuil a ainsi suscité la mobilisation de plusieurs associations. Plus récemment, l’agrandissement d’un échangeur autoroutier près d’un groupe scolaire en Seine-Saint-Denis, construit dans le cadre des Jeux olympiques de Paris 2024, génère l’opposition de parents et riverains. En d’autres lieux (Chine, Corée du Sud...) et à une autre échelle, la production de neige artificielle pour les Jeux olympiques d’hiver fait l’objet de nombreuses critiques dans un contexte de dérèglement climatique. Le sport peut ne pas contribuer à un aménagement durable des territoires… Si ces lieux de sport peuvent constituer des repères dans la ville, des monuments à part entière, ils sont également à l’échelle d’un quartier un objet singulier d’animation. La présence d’un stade n’est pas sans effets sur les rythmes de vie d’un territoire. À l’occasion des matchs, le fonctionnement urbain est transformé, l’afflux des supporters, leur arrivée par transport en commun ou leur recherche de stationnement d’un véhicule individuel, la fréquentation des espaces publics en fin de match sont autant d’illustrations de cette appropriation occasionnelle. Les flux sont atypiques, leur gestion est spécifique, et les effets peuvent être négatifs pour les riverains (nuisances). Les activités physiques, associées à une meilleure santé, influencent aujourd’hui l’aménagement des parcs et jardins en ville mais aussi des forêts avec la création de parcours sportifs pour une pratique en plein air. Ces lieux de sport non seulement mobilisent d’autres acteurs (services municipaux, Office National des forêts, associations) mais constituent une autre façon d’appréhender la nature. 


Les dérives du sport
Si le dopage a fait l’objet de mesures préventives de plus en plus efficaces (tests aléatoires), celles-ci ne sont pas d’une efficacité absolue, notamment en raison de l’inégale rigueur des fédérations et des États en la matière. Il s’ensuit la nécessité persistante de sanctions, dont la dimension politique n’est pas totalement absente. L’effort a sa contrepartie, la violence et, par suite, les blessures, parfois mortelles, ou l’apparition de pathologies spécifiques. De là le développement grandissant d’une médecine du sport dont les progrès bénéficient à tout un chacun. Il en va de même de l’alimentation des sportifs, avec ses pratiques spécifiques adoptées par des populations de plus en fascinées par le culte du corps et de la performance. La Haute Autorité de lutte contre le dopage tient des archives qu’il serait utile d’explorer. On posera aussi la question des paris sportifs : dénaturent-ils l’équité sportive ? 


La critique du sport et des jeux
Elle existe déjà dans l’Antiquité et va bien au-delà du poncif sur panem et circenses. Le sport mérite-t-il la révérence dont il fait l’objet dans les sociétés contemporaines ? Le culte du champion ne va-t-il pas trop loin et certains d’entre eux perçoivent-ils des salaires excessifs ? Des comparaisons entre périodes pourraient être éclairantes à ce sujet. 


Sport, société et politique
Le sujet peut être envisagé au niveau régional (rivalités de clubs) autant qu’au niveau international (boycott des jeux, diplomatie par inclusion ou exclusion de certains pays). Les débats de société touchent aussi le sport avec les problématiques animalistes : les combats d’animaux sont-ils de la violence animale ? Le cheval est-il toujours un marqueur de prestige ? La question des médias du sport entre aussi dans ce cadre et l’on pourra s’interroger sur la personne du « journaliste sportif ». 


Sport et économie
On pourra étudier l’impact sur l’emploi des clubs et des activités sportives (l’or blanc), l’industrie (le ski, la navigation de plaisance), le financement (entrée en Bourse de grands clubs, ampleur des subventions d’État), les investissements (équipements sportifs tels que les stades ou circuits automobiles), la diversification des activités pour des raisons plus ou moins transparentes (groupe Berlusconi, oligarques russes, le Qatar et le PSG), d’où l’apparition de véritables entreprises (clubs de football anglais, espagnols et italiens) voire de groupes (Nike, Go Sport, etc.), utilisation du sport par les entreprises, de la publicité à l’image de marque et à la promotion des « valeurs du sport ». 


Le congrès Le congrès se tient au Campus Condorcet - Cité des Humanités et des Sciences sociales et à la Maison des sciences de l'homme Paris Nord - Aubervilliers. Il est ouvert à tout public. L'inscription des auditeurs est obligatoire et gratuite.
Les frais de déplacement et d'hébergement sont à la charge des congressistes.
Le temps d'une communication est de quinze minutes + dix minutes d'échanges et questions. Les Power Point sont possibles mais pas les présentations à distance. 

 



Date limite pour déposer une proposition de communication : 31 décembre 2023.
Pour toute information complémentaire : congres@cths.fr ou secretariat@cths.fr

 

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