Les « gestes barrières » à l’ère industrielle (mi-XVIIIe siècle-XXe siècle)
Appel à communications
L’expression « geste barrière » est rentrée dans notre quotidien après la pandémie de covid-19 depuis 2020. Cette journée d’étude organisée par l'IRHiS (Université de Lille) vise à élargir le sens de cette expression, et à réfléchir à l’histoire de ces gestes qui servent à protéger, à faire barrières face aux risques depuis l’ère industrielle. Que sont-ces gestes ? Comment sont-ils perçus ? Quels acteurs et quelles institutions sont en jeu ? Comment ces gestes ont-ils été adoptés ? Sont-ils associés à des objets ou des dispositifs techniques (comme a pu l’être le masque pendant la pandémie de covid-19) ?
Argumentaire
La pandémie de Covid-19 que l’humanité a connue ces deux dernières années a bouleversé de nombreux aspects de notre quotidien. Médecins, journalistes et personnalités ont fait la promotion des fameux « gestes barrières ». Se laver les mains plusieurs fois par jour, veiller à bien tousser dans son coude, éviter les contacts physiques rapprochés, porter le masque, mais au-dessus du nez, voilà autant de gestes permettant de limiter la propagation du virus, et donc à terme, de protéger et de sauver des vies.
Si l’épidémie de Covid-19 les a rendus plus manifestes, les gestes barrières n’ont pas été inventés récemment. En réalité, nous en effectuons au quotidien, consciemment ou non, y compris en dehors des contextes de pandémie. C’est pourquoi nous proposons d’élargir le sens de l’expression « geste barrière ». Elle intègre forcément une dimension prophylactique, mais elle peut également s’appliquer à la prévention de risques sanitaires liés au travail et à l’environnement. Ces risques ont été démultipliés à l’ère industrielle, qui est celle de la « contamination du monde » (François Jarrige, Thomas Le Roux, 2017).
L’histoire de ces gestes a partie liée avec celles de l’hygiénisme (Jean-Pierre Goubert, 2008 ; Gérard Jorland, 2010 ; Caroline Moriceau, 2011) et des pollutions (Geneviève Massard-Guilbaud, 2010 ; Thomas Le Roux, 2011). Ces approches sont aujourd’hui largement explorées. Toutefois, la crise sanitaire a stimulé la réflexion des chercheurs sur le sujet des gestes barrières, comme en témoigne des manifestations scientifiques récentes : le congrès « Gestes, pratiques, mémoire : trente ans d’humanités médicales » à l’université de Strasbourg (9-11 juin 2022), et le colloque « Matters of containment », organisé par le Quarantine Studies Network en 2020 et dont les actes ont été publiés en 2022.
Par ailleurs, l'étude des gestes barrières peut enrichir les réflexions nouvelles portées sur « l'histoire environnementale des mondes du travail » (Renaud Bécot, 2022). En effet, l'adaptation des travailleurs aux environnements malsains, par la mise à distance des substances toxiques ou le port de protections spécifiques, est un sujet qui mérite d'être davantage abordé dans l'historiographie francophone. Cette dynamique est notamment portée par Judith Rainhorn (2019), qui a mis en lumière le fait que les industriels de la céruse ont minimisé les risques posés par ce « poison légal », produisant toute une « grammaire de l’opacité ». On peut également citer les contributeurs du numéro Santé au travail et santé environnementale de la revue Sociétés contemporaines (2021).
Du reste, la construction des savoirs sur les gestes barrières fut progressive, non linéaire, et a été entravée par des luttes d’intérêts. « La Science » a servi de prétexte pour occulter les craintes environnementales et sanitaires (Guillaume Carnino, 2015), et pour se « désinhiber » face aux risques (Jean-Baptiste Fressoz, 2012). L’histoire des gestes barrières n’est donc pas étrangère à celle de l’élaboration des consensus scientifiques et médicaux, et leur reconnaissance par les pouvoirs politiques et économiques (Jean-Claude Devinck, Paul-André Rosenthal, 2009).
Attendus
Cet appel à communication s’adresse aux doctorant.e.s, aux post-doctorant.e.s et aux jeunes docteur.e.s (5 ans après la soutenance de thèse). Les contributions pourront porter sur tous types de territoires et d’échelles géographiques. Il est cependant attendu de bien définir le cadre territorial et de s’appuyer sur un travail d’archives.
Les propositions doivent pouvoir s’intégrer dans un ou plusieurs des axes suivants.
Axe 1. Identification et perception des gestes barrières
Il s’agira d’identifier, de caractériser et de décrire les gestes adoptés pour diminuer les risques sanitaires. Il faudra aussi s’interroger sur l’efficacité de ces gestes et la manière dont ils ont été perçus. Aussi, la question de la réversibilité du jugement porté sur ceux-ci est incontournable, du fait de l’évolution des savoirs, de celle de la réflexivité environnementale, mais aussi des éventuelles instrumentalisations provenant des milieux politiques et économiques.
Axe 2. Acteurs et institutions
Parallèlement à l’identification des gestes, une réflexion doit être menée sur les acteurs dans toute leur diversité, en prêtant attention à leur catégorisation sociale (âge, classe, genre, etc.), à leur ancrage territorial et aux temporalités. Cette diversité va de pair avec une variété de contextes : santé au travail, hygiène corporelle et intime, crises épidémiques… Elle est de même inséparable de l’existence d’institutions.
Axe 3. Apprentissage et réception
Les gestes barrières n’ont pas été adoptés de manière passive. Les acteurs participent, chacun à leur manière et à leur niveau, à leur application. Celle-ci peut susciter des réactions enthousiastes, indifférentes ou conflictuelles. Elle nécessite souvent un apprentissage, lequel peut se traduire par un enseignement clairement formalisé, d’une formation sur le tas ou de l’intégration de savoirs vernaculaires. Elle peut aussi faire naître des revendications : celles du droit à la santé et à la protection sociale en sont des illustrations remarquables.
Axe 4. Matérialité
Enfin, l’étude des gestes barrières s’inscrit pleinement dans le cadre de l’histoire matérielle. Le risque est souvent réduit à l’aide d’un objet ou d’un dispositif technique : du masque chirurgical au masque à gaz, en passant par la protection intime, les exemples abondent. Comment ces objets sont-ils produits ? À quelles normes de fabrication sont-ils soumis ? Comment les acteurs, dont les revenus et les conditions d’existence sont très inégaux, peuvent-ils se les procurer ? Ce sont-là autant d’interrogations qui, sans épuiser le sujet, peuvent être posées.
Modalités de proposition
La journée d'études se tiendra le 11 octobre 2023 à l'IRHiS (Université de Lille, site du Pont-de-Bois, Villeneuve d'Ascq).
Les propositions qui seront soit en français soit en anglais sont à envoyer au plus tard le 10 mai 2023 à 20h et comprendre les informations suivantes :
- Nom, prénom, affiliation et courriel
- Titre de la communication proposée
- Résumé en 2000 signes maximum comprenant une problématique et une brève présentation du terrain et des sources
Nous répondrons aux propositions avant le 14 juin 2023.
Les demandes d’informations sur le projet peuvent être adressées à l'adresse ci-dessous : je.gestes.barrieres@gmail.com
Selon les subventions que nous aurons pu obtenir, les communicants pourraient avoir à financer tout ou partie de leurs frais de mission voire d’hébergement. Le déjeuner du midi sera pris en charge par les organisateurs.
Comité d’organisation
BOUNOUA Samy, Univ. Lille, CNRS, UMR 8529 - IRHiS - Institut de Recherches Historiques du Septentrion, F-59000 Lille, France
HEUGUEBART Léo, Univ. Lille, CNRS, UMR 8529 - IRHiS - Institut de Recherches Historiques du Septentrion, F-59000 Lille, France
MÉRIAUX Valentin, Univ. Lille, CNRS, UMR 8529 - IRHiS - Institut de Recherches Historiques du Septentrion, F-59000 Lille, France
Comité scientifique
DARRIULAT Philippe, Sciences Pô Lille, CNRS, UMR 8529 - IRHiS - Institut de Recherches Historiques du Septentrion, F-59000 Lille, France
FRIOUX Stéphane, Univ. Lumière Lyon 2, CNRS, UMR 5190 - LARHRA - Laboratoire de Recherches Historiques Rhône-Alpes, F-69363 Lyon, France.
GALVEZ-BEHAR Gabriel, Univ. Lille, CNRS, UMR 8529 - IRHiS - Institut de Recherches Historiques du Septentrion, F-59000 Lille, France
PARMENTIER Isabelle, UNamur, PolleN - Pôle de l’histoire environnementale de l’Université de Namur, Namur, Belgique
TOUCHELAY Béatrice, Univ. Lille, CNRS, UMR 8529 - IRHiS - Institut de Recherches Historiques du Septentrion, F-59000 Lille, France
Contacts Valentin Mériaux
courriel : je [dot] gestes [dot] barrieres [at] gmail [dot] com
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