Genre et médicalisation
Appel à communications
Colloque international
Lundi 28 & Mardi 29 Novembre 2022- Paris
L’Initiative Genre (Philomel) et l’Initiative Humanités Biomédicales de Sorbonne Université organisent un colloque international et interdisciplinaire au croisement des humanités biomédicales et des études de genre et de sexualité. Intitulé « Genre et Médicalisation », l’événement aura lieu à Paris les 28-29 novembre 2022.
Créées après la fusion de trois facultés – sciences, lettres et médecine –, les Initiatives de Sorbonne Université sont des groupes de recherche internes, réunis autour d’une même thématique, visant à promouvoir des dynamiques de recherche interdisciplinaires. L’Initiative Genre – Philomel (https://philomel.hypotheses.org/) est dirigée par Anne Tomiche et Frédéric Regard. L’Initiative Humanités Biomédicales (https://humanites-biomedicales.sorbonneuniversite.fr/) est dirigée par Claire Crignon et Alexandre Escargueil. Les deux initiatives sont convaincues que les collaborations entre humanités médicales et études de genre, deux domaines en plein essor, seront assurément fructueuses, et mutuellement enrichissantes.
Argumentaire
Le terme de « médicalisation » fait référence à une démarche qui consiste à « définir un problème en termes médicaux, généralement en tant que maladie ou anomalie, ou à recourir à une intervention médicale pour le traiter » (Conrad, 2005 : 3, notre traduction). Les premiers travaux consacrés à la médicalisation sont apparus dans les années 1960 et 1970 (Pitts, 1968 ; Freidson, 1970 ; Zola, 1972), dans le sillage du travail de Parsons (1951), théoricien de la médecine comme institution de contrôle social. Ces œuvres pionnières avaient une approche critique de la médicalisation, et ont souvent employé ce terme au sens de « surmédicalisation ». Ce faisant, ils ont corrélé la médicalisation à l’autorité grandissante des médecins dans les sociétés modernes, contribuant à mettre en exergue le pouvoir de ces praticiens dans les processus de définition et de contrôle de ce qui est reconnu comme « pathologique ».
Dans les années 1970, les travaux sur la médicalisation se sont donc appuyés sur de grands courants intellectuels, comme le constructivisme social, mais ils ont aussi bénéficié de pratiques politiques et sociales, et en particulier des mouvements pour la santé des femmes qui émergent aux États-Unis et dans de nombreux pays occidentaux. Dans la production scientifique sur la médicalisation, l’influence de ces mouvements féministes se ressent même à tel point que, pour Susan E. Bell et Anne E. Fegert : « même si le concept de médicalisation n’est pas genré, il a été historiquement rattaché aux femmes » (2012 : 127, notre traduction).
En effet, les travaux pionniers qui sont publiés dans les années 1970 se concentrent essentiellement sur les « liens entre les corps des femmes et l’accroissement du contrôle / de la médicalisation de ces corps par une profession médicale majoritairement masculine et un socle de connaissances genré » (Bell et Fegert, 2012 : 129, notre traduction). Ce faisant, ces travaux se sont intéressés à des expériences genrées, comme l’accouchement, ou la menstruation (Leavitt, 1984: McCrea, 1983), et aux relations de pouvoir inhérentes aux rapports entre patient·e·s et médecins.
Dans les années 1980, Riessman (1983) et Bell (1987) ont joué un rôle central dans la critique de la pensée de la médicalisation comme processus imposé par le haut et au sein duquel les patient·e·s auraient un statut passif de victimes. Cette tendance a ensuite été confirmée par des travaux qui, plus récemment, ont élargi les conceptualisations de la médicalisation. Ils permettent de réfléchir aux différentes manières dont la médicalisation affecte les hommes et les femmes, et aux prises des patient·e·s sur la médicalisation ou la démédicalisation de leur condition. Ces travaux ont notamment montré en quoi il était problématique d’appréhender la médicalisation genrée par le truchement d’une pensée elle-même dichotomique (Clarke et al., 2003). Dans cette perspective, la complexité que présente l’intersection entre d’une part médicalisation et d’autre part questions de genre et de sexualité peut apparaître de différentes façons :
• En médecine, les biais de genre ne se traduisent pas seulement par la sur-médicalisation de phénomènes socio-culturels, ils peuvent également entraîner la sous-médicalisation de certaines pathologies. Rester sans diagnostic empêche par exemple d’accéder au statut légitime de patient·e, avec tous les droits et privilèges qui accompagnent ce statut (Glenton, 2003; Nettleton, 2005). La question se pose avec une acuité particulière dans le cas de conditions où non seulement les recherches, mais aussi les traitements sont insuffisants – comme la fatigue chronique, la fibromyalgie, l’endométriose, etc.
• L’influence du genre dans la médicalisation a souvent été envisagée en termes binaires, alors qu’en réalité, elle a historiquement affecté les communautés intersexes et transgenres notamment (Giami, 2012; Johnson, 2019).
• Les patient·e·s ont longtemps été considéré·e·s principalement comme des victimes du processus de médicalisation. Pourtant, des études récentes ont mis l’accent sur l’importance de la participation active des patient·e·s, tant au niveau individuel que collectif (Figert, 2010). Il est ainsi légitime d’envisager de quelle manière l’essor actuel des patient·e·s expert·e·s est susceptible de faire évoluer la médicalisation. Notamment, dans quelle mesure les pathographies et leur mise en récit (littéraire, picturale, cinématographique, etc.) constituent-elles une forme de participation active à la médicalisation (Jutel et Russel, 2021) ?
Dès 1992, Conrad notait que « le genre est un facteur important dans la compréhension de la médicalisation » (Conrad, 1992 : 222, notre traduction). C’est pourquoi ce colloque entend explorer ce que la catégorie du « genre » peut apporter aux études sur la médicalisation. Alors qu’il est commun en médecine de faire usage à la fois des catégories du « sexe » (biologique) et du « genre » (social), la seconde étant utilisée de plus en plus fréquemment, il importe de rappeler qu’un point de vue binaire sur le sexe et le genre peut induire en erreur. Comme le note Epstein, bien que l’on tende à traiter le sexe comme une « variable dichotomique » (Epstein, 2007 : 253, notre traduction) en médecine, nos critères de différenciation restent relativement ambigus, et les frontières biologiques sont elles-mêmes instables, car découlant de constructions sociales et politiques.
Ainsi, ce colloque encourage particulièrement les approches scientifiques du genre et de la médicalisation qui ne se limitent pas à une perspective dichotomique. Repartant du constat constructiviste que la médicalisation éclipse les composantes aussi bien sociales que politiques des problèmes médicaux, notre intérêt se porte également vers des contributions susceptibles de mettre en lumière ces composantes en considérant la place que le genre occupe dans le processus de médicalisation.
De plus, il est important de préciser que si le concept de « médicalisation » apparait dans les années 1970, les réalités qu’il recouvre sont bien antérieures au développement de la littérature scientifique sur le sujet. Nous encourageons de ce fait les propositions qui posent la question des relations entre genre et médicalisation à d’autres époques que l’époque contemporaine, y compris dans l’Antiquité.
En accord avec la dimension interdisciplinaire qui est au cœur tant des études de genre que des humanités biomédicales, notre appel à propositions s’adresse à toute discipline susceptible d’apporter un éclairage sur le sujet : sciences sociales, biologie, médecine, littérature, philosophie, histoire, ou encore arts visuels. Par ailleurs, les praticien·ne·s de santé sont les bienvenu·e·s, au même titre que les chercheur·se·s à tous les stades de leur carrière.
Figure ci-dessous une série de thèmes et de questions à utiliser comme point de départ. Bien entendu, cette liste n’est pas exhaustive, et nous examinerons toute proposition qui se positionne au croisement du genre et de la médicalisation. En outre, ces thématiques peuvent être explorées à toutes les époques, sur tous les terrains, et dans tous types de media.
° Féminisme et médicalisation. Comment le féminisme a-t-il historiquement influencé les études sur la médicalisation ? Comment les groupes féministes ont-ils pris part à l’actuelle médicalisation et démédicalisation de maladies et de différentes réalités socio-culturelles ? Nous sommes ouvert·e·s à des contributions de nature théorique comme à des études de cas empiriques sur des phénomènes contemporains ou historiques ayant trait par exemple à : la médicalisation des techniques de reproduction (Ferrand, 1982 ; La Rochebrochard, 2008) ; la place occupée par les femmes dans le champ de la santé (Walzer Leavitt, 1999; Crosby, 2018) ; des mobilisations collectives rattachées à des maladies associées aux femmes (cancer du sein, fatigue chronique, syndrome prémenstruel, obésité etc.) ; des expériences féminines telles que l’accouchement, l’avortement ou la ménopause ; etc.
° Masculinités médicalisées. Dans le sillage des publications actuelles à ce sujet (Rosenfeld et Faircloth, 2006 ; Hvidtfeldt et al., 2020), nous encourageons toute proposition sur des affections spécifiquement masculines ou à dominante masculine – comme les TDAH, les troubles de l’érection (et leur pharmacologisation), le stress post-traumatique, ou encore l’élaboration de la catégorie diagnostique de l’andropause (Moulinié, 2013).
° Médicalisation des sexualités et des genres. Ce thème tire son origine de la médicalisation de l’homosexualité en particulier et des corps queer en général (Eckhert, 2016), mais il inclut également celles de l’hétérosexualité et de l’expérience transgenre. En effet, la « dysphorie de genre » est aujourd’hui encore considérée comme un trouble psychiatrique dans de nombreux pays, ce qui participe à l’ambivalence de sa médicalisation. Alors que le diagnostic permet aux personnes trans d’obtenir un certain nombre de droits et de traitements médicaux, il est également ressenti comme une forme de stigmatisation de l’expérience trans elle-même.
° Approches historiques de la médicalisation/démédicalisation. Nous entendons ici interroger la nature processuelle de la médicalisation. Sont bienvenues et encouragées toutes les propositions qui envisagent d’un point de vue historique les (dé)médicalisations. Il est ainsi possible d’explorer la constitution de certains savoirs scientifiques, à l’instar de la naissance de la sexologie (Chaperon, 2017), ou de la construction de la gynécologie comme spécialité médicale (King, 1998 ; Gourevitch, 1984 ; Sage-Pranchère, 2014). L’approche historique peut aussi porter sur l’évolution du regard médical sur des phénomènes comme la masturbation (Laqueur, 2003), ou des catégories telles que l’hystérie (King, 2020 ; Abramovici, 2003) et l’hermaphrodisme (Brisson, 1997 ; Laqueur, 2013).
° Discours non médicaux et représentations de la médicalisation. Comment la littérature et les arts reflètent-ils, participent-ils, combattent-ils ou dénoncent-ils la médicalisation ? Par exemple, comment les représentations culturelles de la mort en couches ont-elles contribué à la médicalisation de l’accouchement au vingtième siècle (Dever, 1998 ; Mazzoni, 2002) ? Et, de manière générale, comment les récits de maladie contribuent-ils à la médicalisation en « élargissant les signifiants de la maladie et de l’anomalie » (Jutel et Russel, 2021, notre traduction) ? Nous encourageons ainsi toute proposition qui s’intéresse au rôle actif joué par la littérature et les arts dans l’évolution de notre rapport à la médecine et au genre.
° Genre et éthique de la sous/surmédicalisation. Nous invitons les participant·e·s à réfléchir sur les ambivalences de la médicalisation. En raison de sa nature processuelle, les patient·e·s ou les activistes sont susceptibles de considérer la médicalisation soit comme exagérée soit comme insuffisante. Certaines de ces divergences relèvent-elles d’un biais de genre ?
° Le genre de la douleur. La médicalisation repose-t-elle sur une appréhension genrée de la douleur ? Sont particulièrement bienvenues des propositions qui traitent des sujets suivants : la médicalisation de l’accouchement et la généralisation de la péridurale qui en découle ; les mobilisations collectives en faveur de la reconnaissance des douleurs chroniques dans des affections comme l’endométriose, la fibromyalgie, etc. ; les biais dans la perception de la fragilité et de la douleur des patient·e·s par le corps médical (« syndrome méditerrannéen » par exemple) ; etc.
Modalités de participation
Le colloque aura lieu sur deux jours : lundi 28 novembre et mardi 29 novembre 2022.
Cet événement bilingue proposera à la fois des conférences plénières, des panels et des tables rondes, afin de diversifier les modalités d’interaction entre les participant·e·s.
Les propositions de communication peuvent être rédigées en français ou en anglais.
Elles comporteront environ 250 mots (±10%), et seront transmises par courriel à l’adresse suivante : gender.medicalization@gmail.com. La date limite de soumission est fixée au lundi 16 mai 2022. Merci d’indiquer dans le corps du mail votre affiliation universitaire et une courte biobibliographie. L’abstract transmis en pièce jointe (au format pdf ou word) devra être entièrement anonymisé.
Comité d’organisation
• Carla Robison (Initiative Genre), doctorante en littérature comparée, EA 4510 Centre de Recherche en Littérature comparée, ED 19 Littératures françaises et comparées, Sorbonne Université.
• Julia Tinland (Initiative Humanités Biomédicales), post-doctorante au SIRIC Curamus.
• Lucie Vanhoutte (Initiative Humanités Biomédicales), doctorante en démographie anthropologie,
UMR 7206 Eco-anthropologie, ED 227 Écologie et évolution, Sorbonne Université.
• Anne Fenoy (Initiative Humanités Biomédicales), doctorante en philosophie de la médecine et
des sciences, UMR 8011 Sciences, normes, démocratie, ED 443, Concepts et langage, Sorbonne Université.
• Marion Bonneau, docteure en études grecques de Paris Sorbonne Université, Équipe Médecine grecque et Littérature technique UMR 8167 Orient et Méditerranée ; membre associée du laboratoire de recherche Fabrique du Littéraire (FabLitt.), Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis.
Comité scientifique
• Jean-Christophe Abramovici, Professeur de littérature française, XVIIIe siècle, Centre d’études de la langue et des littératures françaises, Sorbonne Université.
• Thomas Constantinesco, Professeur de littérature américaine, XIXe siècle, Voix Anglophones Littérature et Esthétique, Sorbonne Université.
• Claire Crignon, Maîtresse de Conférences HDR de philosophie de la médecine, Sciences, Normes, Démocratie, Sorbonne Université.
• Alexandre Escargueil, Professeur de biologie cellulaire et moléculaire, Centre de recherche Saint-Antoine, Sorbonne Université.
• Frédéric Regard, Professeur de littérature anglaise, XIXe-XXIe siècles, Voix Anglophones Littérature et Esthétique, Sorbonne Université.
• David Teira, Professeur de philosophie de la médecine, Sciences, Normes Démocratie, Sorbonne Université.
• Anne Tomiche, Professeur de littérature comparée, XXe-XXe siècles, Centre de Recherche en
Littérature comparée, Sorbonne Université.
Bibliographie
Abramovici, Jean-Christophe. « De l’archipel au continent noir. Les représentations
médicales de la femme dans la seconde moitié du XVIIIe siècle » dans Le Partage des savoirs
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Bell, Susan E. « Premenstrual syndrome and the medicalization of menopause: a sociological
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Brisson, Luc. Le sexe incertain : androgynes, hermaphrodites et métamorphoses dans
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Chaperon, Sylvie. « Médicalisation de la sexualité », Histoire, médecine et santé 12 (Hiver
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Clarke, Adele E, Mamo, Laura, Fishman, Jennifer R., Shim, Janet K. and Fosket,
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Contact gender.medicalization@gmail.com
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