« Qui a gardé les enfants ? ». Pour une histoire sociale des prises en charge extra-familiales des enfants du premier âge depuis 1945
Appel à communications
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’urbanisation des modes de vie, la salarisation croissante des mères et l’expansion de l’État social contribuent à modifier profondément les relations entre familles et société : l’accueil ordinaire d’une part importante des enfants du premier âge hors de leurs familles, en milieu collectif ou non, tout comme les tendances à la professionnalisation d’activités comme celle des « nourrices », redéfinissent l’articulation entre socialisation familiale et extra-familiale. Nous nous proposons d’appréhender les ressorts historiques de cette modification civilisationnelle : par quels mécanismes ces différentes formes de prise en charge extra-familiale, souvent issues de formes déjà existantes, sont-elles devenues au cours de la deuxième moitié du XXe siècle des dispositifs ordinaires (bien que jamais généralisés) et légitimes (bien que souvent débattus) ?
Argumentaire
« Qui gardera les enfants ? », se demandait l’historienne et mère Yvonne Kniebiehler en publiant ses mémoires (Kniebiehler 2007). La question occupe l’actualité depuis plus d’un demi-siècle. Pourtant, la perspective historique sur cette période reste aujourd’hui étonnamment absente. La prise en charge des enfants du premier âge par des tiers extérieurs à la famille n’est certes pas un phénomène contemporain et l’importance des orphelinats (Robin-Romero 2007) et du nourrissage (Fay-Sallois, 1980 ; Rollet 1982 ; Plumauzille, 2020) en France dès l’époque moderne, puis l’apparition des crèches et des pouponnières au XIXe siècle (Bouve 2010 ; Lefort, 2011 ; De Luca et Rollet 1999) sont bien là pour en témoigner. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’urbanisation des modes de vie, la salarisation croissante des mères et l’expansion de l’État social contribuent à modifier profondément les relations entre familles et société : l’accueil ordinaire d’une part importante des enfants du premier âge hors de leurs familles, en milieu collectif ou non, tout comme les tendances à la professionnalisation d’activités comme celle des « nourrices », redéfinissent l’articulation entre socialisation familiale et extra-familiale.
Nous nous proposons d’appréhender les ressorts historiques de cette modification civilisationnelle : par quels mécanismes ces différentes formes de prise en charge extra-familiale, souvent issues de formes déjà existantes, sont-elles devenues au cours de la deuxième moitié du XXe siècle des dispositifs ordinaires (bien que jamais généralisés) et légitimes (bien que souvent débattus) ?
Il serait bien sûr faux d’affirmer que cette question n’a pas suscité d’intérêt dans la société française. A partir des années 1970, de nombreux observateurs – et une majorité d’observatrices – ont cherché à rendre compte des évolutions alors à l’œuvre : expansion de l’offre, professionnalisation et ouverture à la famille et à la société reviennent dans des analyses, dont les intitulés-mêmes – « nouveaux regards » (Bréauté 1978), « état des lieux » (Mozère et Bachelet 1981), « évolutions récentes » (Baudelot et Bréauté 1979) – montrent qu’elles sont écrites au présent. Ces analyses, faites sur le mode du diagnostic, dans une optique pratique, scientifique ou militante, produisent une série d’instantanés mais ne proposent pas de lecture proprement historique du processus. De plus, conduites dans les années 1970, elles laissent dans l’ombre les deux décennies précédentes. Ce sont les travaux de sociologie qui ont les premiers manifesté un intérêt pour l’approche historique, utilisée pour fournir le nécessaire arrière-plan contextuel à leur objet (Mozère 1992, Bouve 2001, Bouve-Sellenet 2011). Dans la continuité de cette inspiration sociologique, nous voudrions promouvoir une approche historique qui aborderait les rapports sociaux eux-mêmes en tant que processus et rendrait compte de la manière dont les institutions se sont créées ou renouvelées à travers leur différents acteurs et actrices. L’enjeu est de constituer la prise en charge extra-familiale des enfants du premier âge en objet d’étude autonome, lui qui a souvent été subordonné à des questionnements extérieurs, renvoyant aux politiques sanitaires, (Norvez 1990) ou à celles de l’emploi féminin (Sineau 1998). La recherche n’a pas encore emprunté la voie d’une histoire sociale de la prise en charge extra-familiale des enfants du premier âge dans la France de la seconde moitié du XXe siècle : tantôt l’approche institutionnelle a été privilégiée (Norvez 1990), tantôt l’essai monographique (Contrepois 2008), tantôt le comparatisme historique (Bouve 2015, 2019).
Pistes de réflexion proposées
Cet appel à contributions s’adresse aux chercheurs et chercheuses de toutes les disciplines, réunis par un intérêt commun pour la temporalité des institutions et des phénomènes sociaux. Il peut aussi intéresser des chercheurs et chercheuses non spécialistes de la petite enfance, mais qui peuvent avoir rencontré cet objet dans leurs propres recherches sur des sujets connexes.
Penser la garde des enfants en âge pré-scolaire : un enjeu dans le débat public
Les modalités de garde des enfants en âge pré-scolaire n’ont cessé de faire l’objet de débats mettant en jeu leur légitimité, leur organisation ou leur financement. La deuxième moitié du XXe siècle pose de manière nouvelle l’alternative entre le travail salarié des femmes et la garde des enfants à domicile par leur mère ou d’autres femmes de leur famille. Retrouver les arguments et motivations implicites des débats publics et des choix politiques qui les ont suivis permettrait d'interroger à nouveaux frais leur histoire. Quelles causes ont été mises en avant pour défendre et financer la création de ces modes de garde : travail des femmes, bien-être des enfants, avenir de la société ? Qui sont les acteurs et actrices de ces débats : militant-e-s, hommes et femmes politiques, personnels administratifs, professionnel-les de la petite enfance ? Une histoire des possibles est elle aussi digne d’intérêt, qui s'intéresserait aux discours et projets alternatifs, qu'ils aient été réalisés ou non.
Faire une histoire commune des modes de garde extra-familiaux
Les modes de garde extra-familiaux pour les enfants du premier âge ont constitué, depuis 1945, un paysage institutionnel particulièrement mouvant : crèches collectives, halte-garderies, jardins d’enfants, accueil en « très petite section » de maternelle, pouponnières, crèches familiales, nourrices déclarées ou non, assistantes maternelles ou relais d’assistantes maternelles. Alors qu’ils sont souvent présentés de manière juxtaposée, ne conviendrait-il pas de les penser et de les étudier ensemble ? Ont-ils été et se sont-ils définis les uns par rapport aux autres ? Comment leurs évolutions peuvent-elles être éclairées par leurs zones de contact, leurs imbrications, ou leurs oppositions ? A-t-il existé en leur sein des enjeux communs susceptibles d’enrichir l’histoire de ces deux transformations majeures qu’ont constitué, dans la deuxième moitié du XXe siècle, la croissance du travail salarié des femmes et le développement de la garde des enfants à l’extérieur du domicile familial ? On peut en outre prendre en compte leurs relations avec les deux autres cadres dominants d’accueil de l’enfant du premier âge : la famille jusqu’à trois ans et l’école maternelle à partir de trois ans.
Requalifier les évolutions majeures du fonctionnement de ces lieux sur cette période
Souvent résumée par l’idée d’un passage de la garde à l’accueil, l’histoire des transformations des lieux d’accueil des enfants en âge pré-scolaire depuis 1945 est marquée par le récit de leur ouverture (Baudelot 1984) aux familles et à la société, de leur professionnalisation et d’une forme de scientifisation, caractérisée par la thématique du développement physique et psychique des enfants. Ce récit ne serait-il pas celui d’une certaine idée de la modernité ? On peut se demander par qui il a été porté, mais aussi s’il est possible de faire l’histoire de ces modes de garde d’autres points de vue, parmi lesquels ceux des parents, des nourrices non déclarées, ou des professionnelles pas toujours « qualifiées » de ces institutions. Cette période a-t-elle effectivement été celle d’une disqualification des savoirs profanes de certaines des femmes en charge des enfants ? Leur encadrement s’est-il développé au point qu’on puisse parler d’une institutionnalisation généralisée ? Une histoire par le bas amènerait-elle ainsi à requalifier cette modernité ou à en discuter la chronologie ?
Modalités pratiques
Modalités de soumission des propositions :
un projet de communication ne dépassant pas 4000 caractères
une courte notice biographique (discipline, champs de recherches, publications)
à envoyer avant le 16 mai aux adresses suivantes :
La journée d’études se tiendra à Lyon, le 19 novembre 2021. Une prise en charge du déplacement peut être envisagée. En cas d’impossibilité à tenir la journée en présentiel, des modalités d’organisation à distance seront prévues.
Coordination scientifique et organisation
Michel Christian (Université de Genève, Larhra)
Elsa Neuville (Université Lyon 2, Larhra)
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