mercredi 31 mars 2021

Les archives du féminicide

Les archives du féminicide

Appel à communications


Entré dans le Petit Robert en 2015 le mot féminicide est aujourd'hui largement employé. Si le phénomène a pris une dimension contemporaine, le passé regorge de féminicides, qu'ils soient intimes ou systémiques. L'archive est plus large que des liasses de papier ou des documents visuels, puisqu'elle peut être « constituée » de faits de discours dans une culture. Les archives du féminicide consiste à retrouver les voix éteintes de jadis, ou celles étouffées d'aujourd'hui ; dans une perspective pluridisciplinaire, les Archives du féminicide entend de privilégier : tout corpus cohérent ; les manières de recueillir les témoignages et les récits ; le traitement du corps ; la dimension émotionnelle.



Argumentaire

Entré dans le Petit Robert en 2015, décrété mot de l’année en 2019, le féminicide n’est ni un vocable récent ni un phénomène nouveau. En maris 1976, se tient à Bruxelles le Tribunal international des crimes contre les femmes, le mot féminicide est lancé. Le journal Ouest France s’en fait l’écho. Presque aussitôt relégué dans les coulisses, oublié de la scène médiatique, il s’impose néanmoins en 1992. Dans un ouvrage non traduit, dû à Jill Radford et Diana Russel, Feminicide. The Politics of Woman Killing, le phénomène désigne le « continuum des violences masculines contre les femmes ». En Amérique Latine, Marcela Lagarde popularisa la notion devant feminiciado en espagnol à partir de 2001. Les organisations internationales ne restent pas inactives. L’OMS adopte le mot fémicide (comprenant le crime intime, au nom de l’honneur, lié à la Dot et non intime (sexuel), comportant quatre niveaux : « individuel, relationnel/familial, communautaire, et sociétal ou structurel ». L’Onu femmes retient en 2012 le mot Féminicide. L’année suivante, à la tribune de l’Onu femmes, Michelle Bachelet dénonce les violences faites aux femmes et indique que ce sont « les meurtres motivés par des préjugés basés sur le genre, également appelés « féminicides » ».

Si le phénomène a pris une dimension contemporaine, le passé regorge de féminicides, qu’ils soient intimes ou systémiques longtemps ignorés ou délaissés. Or il importe de poursuivre l’enquête, de se mettre à l’écoute des voix du passé, d’ouvrir les dossiers d’archives, de lire crayon en main les interviews disponibles, d’interroger les témoins. Le féminicide systémique au Mexique ou au Canada a donné lieu à de solides enquêtes, mais combien n’ont pas donné lieu à travail en profondeur. En effet, il convient de nouer ensemble le passé et le présent, de provoquer la « rencontre avec des existences inconnues, accidentées et remplies, qui mêlent, comme pour mieux embrouiller, le proche (si proche) et le lointain » (Arlette Farge). Il faut assurément Penser l’archive, le plus souvent il s’agit moins de découvrir de nouveaux matériaux que de renouveler une problématique ou de poser de nouvelles questions pour obtenir des réponses inaperçues.

L’ouvrage Les Archives de féminicide se veut explorations partielles privilégiant les études de cas, complètes et fructueuses. Jean Starobinski lisant Owsei Temkin lui faisait dire que « toute bonne histoire est une histoire partielle, et compense ses limitations par l’indépendance de sa démarche, la solidité de ses résultats, et la portée des conséquences qu’on peut en tirer ». Aussi il convient de se demander quelles sont les sources qui peuvent être mobilisées, quels dossiers historiographiques est-il possible de constituer.

- Pour Michel Foucault, l’archive est plus large que des liasses de papier, des bandes cinématographiques, des objets matériels ou des traces évanescentes. L’archive est constituée de faits de discours dans une culture mettant en exergue des « événements et des choses ». De la sorte, le corpus à examiner ne se limite ni à la pièce manuscrite ni au décor d’un vase.

- Les Archives du féminicide sont des bribes du passé ou du présent qui sont d’ordinaire délaissées souvent considérées comme marginales ou insignifiantes. Le sort réservé aux femmes battues, martyrisées, humiliées, tuées a longtemps été proche de celui destiné aux fous, aux malades incurables ou aux prisonniers. Les brutalités et les violences faites aux femmes peuvent être restituées par le recueil des témoignages existants -et nombre de femmes font preuve d’un courage remarquable- ou à solliciter. Michelle Perrot avait évoqué le silence des femmes, or il est possible de retrouver les voix éteintes de jadis ou celles, souvent étouffées, d’aujourd’hui. Il conviendrait non pas d’en faire l’inventaire, mais de se demander comment les retrouver, de quelle façon les restituer ?

- Dans une perspective pluridisciplinaire, mais avec une forte dimension historique, le présent ouvrage a pour ambition d’apporter des éclairages nécessaires pour saisir le phénomène majeur qui secoue les sociétés contemporaines, oblige à revisiter le passé et bouleverse les perceptions des rôles sexués et ébranle la domination masculine.

Axes thématiques

L’ouvrage Les Archives du féminicide entend privilégier :

  • tout corpus cohérent : fresques, gravures, graffitis, placards, affiches, archives judiciaires, policières, médicales, d’associations…
  • les manières de recueillir les témoignages et les récits (les autofictions comme la littérature du réel), les questions posées par leurs usages, leurs restitutions et leurs mises en lumière ;
  • le traitement des corps : maltraités, brutalisés, martyrisés, torturés, brûlés, voir dépecés, et rarement réparés, qui nécessitent de s’interroger sur les logiques corporelles.
  • la dimension émotionnelle (la résignation, l’indignation, la mobilisation…)
  • et enfin la prévention (silence, discours, campagnes…) et la réaction sociale et judiciaire.
  • Modalités pratiques d'envoi de propositions


Les contributions historiques seront privilégiées car l’ouvrage favorise le questionnement sur le temps long mais les propositions venant d’autres disciplines : la psychologie, la sociologie, le droit, la littérature comparée, les études théâtrales et cinématographiques... seront prises en considération par les éditeurs. L’ouvrage sera publié aux éditions Hermann.


Les propositions (1500 signes) et une courte notice bio/biblio (500 signes) sont à adresser
avant le 1er mai 2021


à Lydie Bodiou (lyde.bodiou@univ-poitiers.fr) et à Frédéric Chauvaud (frederic.chauvaud@univ-poitiers.fr). 


Pistes bibliographiques
Féminicides :

Marlaine Cacouault-Bitaud, Maryse Jaspard (dossier réuni par), « Controverse. Féminicide », Travail, genre et sociétés n° 43, Avril 2020, p. 145-178.

Marcela Lagarde y de Los Rios, Femicide in Global Perspective, New York, Serie Athene, Columbia University, 2006 [2001], 385 p.

Lydie Bodiou, Frédéric Chauvaud, Ludovic Gaussot, et alli (dir.), On tue une femme. Le féminicide. Histoire et actualités, Paris, Hermann, 2019, 461 p.

Jill Radford and Diana Russel, Femicide. The Politics of Woman Kiling, New York, Twayne Publishers & Macmillan; Buckingham, Open University Presss, 1992, 378 p. 


Archives :

Yves-Marie Bercé (dir.), Archives des gens simples, Rennes, PUR, coll. « Hors Série », 2020, 248 p.

Mauro Cerutti, Jean-François Fayet et Michel Porret (dir.), Penser l’archive, Lausanne, Éditions Antipodes, 2006, 331 p.

Arlette Farge, Le goût de l’archive, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXe siècle », 1989, 157 p. 


Conseil scientifique
Laurie LAUFER, Professeure de psychologie, Univeristé de Paris
Isabelle STEYER, Avocate pénaliste, barreau de Paris
Michelle PERROT, Professeure émérite


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