Devenir l’œuvre. Pratiques de chosification des corps dans les expositions et les musées
Appel à communications
Que comprendre des corps d’hier et d’aujourd’hui qui s’exposent dans, avec ou à la place des œuvres ? Et des images, et des récits qui en témoignent ? Leurs postures relèvent-elles d’un désir d’identification et d’appropriation, de préservation ou au contraire de vivification et de critique, ou de simple ludisme ? En quoi nous obligent-elles à revoir la dialectique qui unit le sujet à l’objet et qui unit entre eux les groupes sociaux ainsi que les singularités ? Ce colloque ambitionne d’apporter des réponses à ces questions en s’attardant aux dispositifs expographiques élaborés par les artistes et les musées ainsi qu’appropriés par les publics à travers les époques. À partir de cas d’espèces et exemplaires, il s’agira, par exemple, d’envisager l’apport du tableau vivant, du miroir, du diorama et du zoo, de la reconstitution, du reenactment, de la performance et de la chorégraphie, de la captation analogique et numérique, de l’égoportrait, des applications mobiles ou des plates-formes de diffusion sur les pratiques, leur évolution et leur agentivité. En somme, ce colloque envisage de revoir certains fondements du musée et de la pratique expographique afin d’y inclure une réflexion ontologique sur la préservation et la représentation de la personne.
Argumentaire
En cette période pandémique de notre histoire, qui lie à des restrictions physiques sans précédent un accès illimité de l’Internet, la population semble entretenir un intérêt singulier à personnifier les canons de l’histoire de l’art et à publier les résultats de leurs expérimentations sur les réseaux sociaux (GUNTHERT 2015, LANGLOIS 2015). Les musées, qui ont dû fermer leurs portes, entretiennent également sur ces réseaux ces modalités d’appropriation des œuvres qui opèrent par la reconnaissance de soi dans une production du passé. Mais avant cette période qu’il faut espérer brève de pandémie, les musées alimentaient déjà depuis peu la fascination populaire à s’imaginer en tant qu’œuvre, comme en témoigne leur plus grande ouverture envers la prise de photographies en salles par les visiteurs (CHAUMIER, KREBS & ROUSTAN 2013) et les activités de médiation et de marketing qui les invitent surtout à s’approprier les collections (CIÉCO). À cet intérêt présentiste (HARTOG 2003) dont témoignent les musées et les publics pour l’œuvre d’art et plus globalement pour le patrimoine matériel, s’ajoute celui de l’artiste qui depuis le nouveau millénaire initie avec plus d’insistance des performances dans les musées ou en les prenant pour sujet, en revisitant bien souvent des œuvres d’art ancien (BÉNICHOU 2015, BISHOP 2012, BOUCHER 2017). Si depuis cinq ou dix ans ces pratiques populaires et artistiques d’identification et de reprise semblent s’être amplifiées, la visibilité publique dont elles jouissent y joue un rôle (HEINICH 2012). La reconnaissance de la diversité culturelle et de genre a aussi un impact sur les usages rattachés aux œuvres du passé, une reconnaissance qui contribue en outre à poser des regards critiques sur l’exclusion. Ces usages peuvent aider à révéler les spécificités ainsi que les différences qui marquent les groupes et les individus. La plus grande inclusivité à laquelle les musées sensibles aux revendications sociales veulent parvenir (BARRÈRE & MAIRESSE 2015) se manifeste ainsi aussi à leur façon d’inviter les publics et les artistes à « prendre possession » de leurs œuvres pour les faire leurs.
Ces initiatives ne sont toutefois pas le seul produit de notre époque et les techniques du corps qu’elles requièrent se sont expérimentées au-dehors de la technologie, dans des contextes et des périodes parfois très éloignés des nôtres (BOUCHER 2017, BOUCHER & CONTOGOURIS 2019, BREDEKAMP 2010, RAMOS 2014, VOUILLOUX 2002). L’être humain se reconnait depuis un passé lointain dans l’œuvre d’art et les exemples d’identification à l’objet matériel ont été formulés depuis longtemps, au moins depuis les récits mythologiques antiques. En outre, de premières démonstrations muséales du genre peuvent être retracées dans le contexte révolutionnaire de l’ouverture aux publics (BENNET 1995) par le Musée du Louvre et les événements qui se déployaient dans son enceinte. L’exposition coloniale popularisée dans les expositions universelles ainsi que les présentoirs issus des divertissements populaires et développés avec ces premières planétaires (BOUCHER & PARÉ 2015, MONTPETIT 1996), ont également contribué à l’intervertissement du vivant et de l’inanimé, qui mène à se chosifier ainsi qu’à chosifier autrui. S’ils s’observent jusqu’à nos jours, tout particulièrement dans les manifestations artistiques, culturelles et sociales, les développements technologiques qui les facilitent sont ainsi venus multiplier les possibilités d’exercices et de résultats en plus d’accroitre le coefficient de visibilité. Mises en scènes qui sont numériquement capturées et partagées relancent conséquemment les pratiques historiques, qui en retour aident à prendre un certain recul sur l’actualité.
Que comprendre donc de tous ces corps d’hier et d’aujourd’hui qui s’exposent dans, avec ou à la place des œuvres ? Et des images, et des récits qui en témoignent ? Leurs postures relèvent-elles d’un désir d’identification et d’appropriation, de préservation ou au contraire de vivification et de critique, ou de simple ludisme ? En quoi nous obligent-elles à revoir la dialectique qui unit le sujet à l’objet et qui unit entre eux les groupes sociaux ainsi que les singularités ? Ce colloque ambitionne d’apporter des réponses à ces questions en s’attardant aux dispositifs expographiques élaborés par les artistes et les musées ainsi qu’appropriés par les publics à travers les époques. À partir de cas d’espèces et exemplaires, il s’agira, par exemple, d’envisager l’apport du tableau vivant, du miroir, du diorama et du zoo, de la reconstitution, du reenactment, de la performance et de la chorégraphie, de la captation analogique et numérique, de l’égoportrait, des applications mobiles ou des plates-formes de diffusion sur les pratiques, leur évolution et leur agentivité. En somme, ce colloque envisage de revoir certains fondements du musée et de la pratique expographique afin d’y inclure une réflexion ontologique sur la préservation et la représentation de la personne.
Nous invitons les chercheur.e.s, les professionnel.le.s de musées et les artistes à soumettre une proposition de communication, de conférence-performance ou de performance qui pourra être présentée en direct ou en différé, dans le cadre d’un colloque conçu pour être diffusé en ligne.
Les propositions devront inclure :
- Un titre (de 150 caractères maximum, espaces comprises);
- Un résumé (de 100 à 150 mots maximum);
- Une notice biographique (de 100 à 150 mots maximum).
Les propositions sont à transmettre à Jessica Minier < minj11@uqo.ca >
avant le 25 septembre 2020.
La contribution en personne des participant.e.s et l’accueil en salle d’un auditoire seront déterminés à l’automne-hiver 2020-2021, dans le respect des mesures de distanciation sociale.
Comité scientifique
Mélanie Boucher (Université du Québec en Outaouais)
Anne Bénichou (Université du Québec à Montréal)
Éric Langlois (Université du Québec en Outaouais)
Références
BARRÈRE & MAIRESSE 2015 – BARRÈRE, Anne, François Mairesse Dir., L'inclusion sociale : les enjeux de la culture et de l'éducation, Paris, L'Harmattan, coll. « Les cahiers de la médiation culturelle », 2015, 164 p.
BÉNICHOU 2015 – BÉNICHOU, Anne Dir., Recréer/scripter : mémoires et transmissions des œuvres performatives et chorégraphiques contemporaines, Dijon, Les Presses du Réel, coll. : « Nouvelles scènes », 2015, 525 p.
BENNETT 1995 – BENNETT, Tony, The Birth of the Museum: History, Theory, Politics, Londres et New York, Routledge, 1995, 278 p.
BISHOP 2012 – BISHOP, Claire, Artificial Hells: Participatory Art and the Politics of Spectatorship, London et New York, Verso, 2012, 382 p.
BOUCHER & PARÉ 2015 – BOUCHER, Mélanie, André-Louis Paré Dir., dossier « Diorama », Espace art actuel : Pratiques et perspectives, hiver 2015, 128 p.
BOUCHER 2017 – BOUCHER, Mélanie, « Pour une histoire du corps muséifié », Cultures et musées, dossier « Conserver et transmettre la performance artistique » (sous la direction de Jean-Marc Leveratto), no 29, 2007, p. 81-96.
BOUCHER & CONTOGOURIS 2019 – BOUCHER, Mélanie, Ersy Contogouris Dir., dossier « Stay Still : histoire, actualité et pratique du tableau vivant », La revue de l’Association d’art des universités du Canada (RACAR), vol. 44, no 2, 2019, 214 p.
BREDEKAMP 2010 – BREDEKAMP, Horst, Théorie de l’acte d’image, Paris, Éditions de la découverte, coll. : « Politique et société », 2010 (2015), 376 p.
CHAUMIER, KREBS & ROUSTAN 2013 – CHAUMIER, Serge, Anne Krebs, Mélanie Roustan Dir., Visiteurs photographes au musée, Paris, La Documentation française, coll. : « Musées-Mondes », 2013, 317 p.
CIÉCO – Groupe de recherche et réflexion CIÉCO : Collections et impératif évènementiel/The Convulsive Collections, Les collections muséales face à l’impératif évènementiel, consulté le 15 juin 2020, repéré à http://cieco.umontreal.ca/
GUNTHERT 2015 – GUNTHERT, André, « La consécration du selfie », Études photographiques, dossier « Interroger le genre / Retour sur l’amateur / Personnage de l’histoire », no 32, 2015, repéré à https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3529?lang=en
HARTOG 2003 –HARTOG, François, Régimes d'historicité : Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 2003, 262 p.
HEINICH 2012 – HEINICH, Nathalie, De la visibilité : Excellence et singularité en régime médiatique, Paris, Gallimard, 2012, 593 p.
LANGLOIS 2015 – LANGLOIS, Éric, « La cybermuséologie et ses nouveaux objets culturels : mise en contexte et études de cas », Muséologies, Les cahiers d’études supérieures, vol. 7, no 2, 2015, p. 73-93.
MONTPETIT 1996 – MONTPETIT, Raymond, « Une logique d’exposition populaire : les images de la muséographie analogique », Publics et Musées, no 9, 1996, p. 63-82.
RAMOS 2014 – RAMOS, Julie, avec la collaboration de Léonard Pouy Dir., Le tableau vivant ou l’image performée, Paris, Institut national d’histoire de l’art et Mare & Marin, 2014, 366 p.
VOUILLOUX 2002 – VOUILLOUX, Bernard, Le tableau vivant. Phryné, l’orateur et le peintre, Paris, Flammarion, coll. : « idées et recherches », 2002, 477 p.
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