Appel à publication
La littérature a longtemps banni la représentation du corps, lieu du péché. Les fonctions naturelles y ont été frappées d’interdit : la sexualité d’une part, de l’autre tout ce qui relève du circuit alimentaire, sont estimés irreprésentables, sinon dans une veine burlesque ou picaresque. Au début du XIXe siècle, le romantisme, tout en faisant place à une certaine laideur, occulte encore le corps et ses fonctions. En réaction, certains romanciers, Balzac, Stendhal, ouvrent le roman à des sujets jusqu’ici écartés : l’argent, la politique, le peuple. Puis, avec l’avènement du réalisme, l’alimentation devient un thème littéraire récurrent : le repas est ainsi élevé au rang de motif ; toutefois, il l’est moins pour ses implications physiologiques que pour sa capacité à problématiser des enjeux essentiels. L’excrémentiel ne semble pas, a priori, pouvoir bénéficier d’un tel crédit épistémologique, tant est grande la répulsion première qu’il suscite. Et l’on peine à croire qu’il n’ait pas toujours fait l’objet d’une condamnation horrifiée, semblant par nature en disconformité totale avec toute règle sociale, morale ou esthétique. Mais précisément, la place dévolue par une société à l’excrément met au jour des tensions socialement, culturellement et esthétiquement significatives.
« Tout ce qui touche à l’homme est digne d’étude – Homo sum, humani nihil alienum puto – », lit-on au début de la Bibliotheca scatologica, publiée en 1849. Penser l’excrémentiel nécessite néanmoins un effort, celui de fouiller ce que la civilisation a tendance à enfouir, proscrire – on apprend à l’enfant, tenté de manipuler la matière sans entrave, à éviter tout contact. Dans son rapport à l’excrémentiel, que dit le XIXe siècle de lui-même ? Au-delà des provocations scatologiques dont le potentiel comique ou injurieux ne s’est jamais démenti et que l’on retrouve à bien des époques, l’excrémentiel semble bien se retrouver au cœur de préoccupations essentielles à la compréhension de l’époque : sanitaires évidemment – le mot hygiène naît au XIXe siècle –, mais aussi sociales et morales – avec l’avènement d’une classe bourgeoise soucieuse de se démarquer du peuple –, ou encore culturelles et esthétiques.
Le XIXe siècle apparaît, dans l’histoire des mentalités françaises, comme le moment où l’excrément devient le rebut par excellence. Cette évolution a supposé qu’une vision utilitariste du déchet humain, très ancrée dans les esprits, cède aux impératifs hygiénistes que la révolution pasteurienne assoit définitivement. L’excrémentiel suscite une terreur grandissante chez les bourgeois qui vont n’avoir de cesse de le réserver au peuple et de l’identifier à lui – « classes laborieuses, classes dangereuses ». On va désormais envisager l’excrément en termes non plus de fonction corporelle, mais de classes.
Sur le terrain politique et littéraire, l’insulte excrémentielle, si elle n’est évidemment pas le propre du XIXe siècle, tire de l’exacerbation bourgeoise de la pudeur – chaque année, l’Académie française décerne le prix de vertu fondé par M. Montyon en 1836 – une puissance transgressive décuplée. Quant à la littérature gauloise, le motif scatologique y conserve une efficacité comique qui ne se dément pas. La question que soulève le succès de l’inspiration excrémentielle est alors celle du goût, mauvais ou bon.
En dehors des textes à vocation comique, Le XIXe siècle interdit l’excrémentiel en régime littéraire, qu’il s’agisse des censeurs au nom de la morale, ou des auteurs au nom de la beauté. C’est donc en amont du texte littéraire que l’irréfutable consubstantialité de l’excrément avec la nature humaine produit un renversement de valeurs inattendu. Les travaux de Bakhtine ont mis en lumière l’essence carnavalesque de la scatologie et son paradoxal retournement de bas en haut. Parce que l’excrément est une production du corps humain, l’acte d’excrétion acquiert de la valeur et peut alors se faire image de l’œuvre littéraire : la matière disparaît derrière le verbe, elle devient elle-même œuvre. De là découle toute une métaphorisation excrémentielle de l’acte d’écriture envisagé sous l’angle de la copia – diarrhée verbale – ou au contraire de la brevitas – écrivains « constipés » auxquels Jules Renard promet la postérité.
Dans une perspective que l’on ne souhaite ni uniquement littéraire ni monographique, on pourra réfléchir à l’excrémentiel dix-neuviémiste sous les angles suivants, susceptibles d’en engendrer d’autres :
– le propre et le sale
– l’utile et le déchet
– le convenant et l’inconvenant
– le visible et le caché
– le fermé et l’ouvert
– le sublime et l’obscène
Les personnes souhaitant soumettre un article (entre 30 000 et 50 000 signes) sont invitées à envoyer un résumé (250 mots) et une brève notice bio-bibliographique à marie-ange.fougere@u-bourgogne.fr avant le 15 septembre 2020.
Réponse aux propositions mi-octobre. La date finale de remise des textes est fixée au 1ermars 2021.
Comité scientifique
Florence Fix
Marie-Ange Fougère
Philippe Hamon
Marie Scarpa
Bertrand Tillier
Jean-Didier Wagneur
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