dimanche 15 mars 2020

L’enfant et l’asile

L’enfant et l’asile (XIXe-XXe siècles) 

Appel à articles dans le cadre du numéro 23 de la Revue d’Histoire de l’Enfance Irrégulière 

Sous la direction de Jean Christophe Coffin (Centre Alexandre-Koyré, CNRS) et d’Anatole Le Bras (Centre d’histoire de Sciences Po, Sciences Po) 

*English version below* 

L’enfant dans un asile ? Quelque drôle d’idée ! Encore ces aliénistes avec leur manie d’enfermer ? Peut-être ; toujours est-il qu’à la fin du XIXe siècle le choix de placer l’enfant dans une institution fermée n’est guère vu comme un choix aisé ; tout au plus une nécessité. Tout d’abord, c’est le placer faute de mieux parmi les adultes, ce qui est bien risqué. Ce type de placement ne peut être une solution d’avenir, tout au plus une réponse transitoire. Certes il y a des enfants qui doivent être placés dans des institutions ; l’enfant idiot, « dégénéré par excellence », est de ceux-là. Mais l’asile pour aliénés est-il le meilleur lieu ? Au fur et à mesure que quelques aliénistes tel Paul Moreau de Tours (1844-1908) s’autorisent à aborder ce que le coeur des hommes refuse, la pathologie mentale chez l’enfant, force est de constater que l’idée chemine. 

Après la Première Guerre mondiale, l’idée n’est plus contestée bien qu’elle ne soit pas encore pleinement entérinée. L’irrégularité de l’enfant n’est pas tout à fait la folie de l’enfant. Il n’en demeure pas moins que certains n’hésitent pas à envisager la psychose tandis que d’autres proposent comme le psychiatre Sancte de Sanctis (1862-1935) une nouvelle entité, la « démence précocissime ». Chaque décennie vient apporter son lot de preuves et le langage de la pathologie mentale de l’adulte inspire celui utilisé pour l’enfant comme en témoignent l’usage de « psychose infantile » et de « schizophrénie infantile » qui se répandent dans les années 1950. 

Au fur et à mesure que des catégories émergent ici et là, la question de la prise en charge de ces enfants semble toujours plus complexe. Les professionnels discutent, hésitent, fabriquent des solutions sans qu’apparaissent véritablement des consensus très nets. Placer l’enfant dans l’institution bien sûr mais de quel type : fermée ou ouverte ? Loin de la famille ou avec elle ? Car après tout celle-ci n’a-t-elle pas un rôle dans certaines troubles affectant l’enfant ? Doit-on façonner une réponse exclusivement médicale ou bien ne doit-on pas penser aussi une prise en charge dans laquelle le pédagogique serait inclus ? Nombre de ces interrogations demeurent d’actualité. 

Ce numéro de la RHEI invite à relire l’histoire des institutions psychiatriques au prisme de l’enfance. Il s’agit d’étudier la place des enfants dans l’asile puis l’hôpital psychiatrique au cours des XIXe et XXe siècle. Cela suppose de comprendre, aussi, pourquoi l’asile a pu constituer un repoussoir, un anti-modèle qui a déterminé de nombreux acteurs du champ de l’enfance à soustraire les enfants à son emprise, sur fond de concurrence professionnelle entre psychiatres, psychologues, pédagogues spécialisés… On peut penser qu’en retour, la question de l’enfance a joué un rôle de catalyseur dans les transformations de l’institution psychiatrique, qui a connu de profonds bouleversements au cours du XXe siècle. 

Les contributions peuvent donc porter à la fois sur des institutions psychiatriques et sur des institutions qui se pensent comme une alternative ou un complément à l’internement 

psychiatrique des enfants. Afin d’orienter les contributeurs et contributrices de ce dossier, nous proposons les quatre axes de réflexion suivants, qui n’ont rien d’exclusif : 

• Penser la folie infantile 
La folie de l’enfant est-elle pensable ? Au-delà d’une histoire internaliste des savoirs psychiatriques, quels facteurs historiques et sociaux ont rendu possible l’émergence de cette notion ? Comment, au cours du XXe siècle, l’interaction entre les catégories de la maladie et du handicap a-t-elle façonné des réponses institutionnelles différentes ? 

• Prendre en charge les enfants 
L’étude des quartiers pour enfants et des premières institutions spécialisées dès la fin du XIXe siècle est souhaitée car celles-ci constituent des mondes asilaires distincts et encore méconnus. Parallèlement il faut s’interroger sur la place réservée à l’asile quand on sait que d’autres modes d’intervention (pédagogique, judiciaire, assistanciel) caractérisent le champ de l’enfance « irrégulière » et « anormale ». 

• Parcours biographiques et expériences enfantines de la psychiatrie 
Quels enfants sont placés dans les institutions psychiatriques au cours des XIXe et XXe siècles ? La question du genre est ici déterminante car on peut supposer que l’internement n’a pas touché les filles et les garçons de la même manière. Que révèle l’étude des parcours biographiques de ces jeunes patients ? La question de la sortie d’institution semble ici particulièrement cruciale. Au cours des XIXe et XXe siècles, y a-t-il une expérience proprement enfantine de la psychiatrie ? Cet aspect met en jeu la question du témoignage et de l’accès à la parole. L’approche d’une histoire par le bas ou du point de vue du patient ne se heurte-t-elle pas à ses limites dans le champ de l’enfance ? 

• Perspective internationale et transnationale 
Ce numéro invite à réfléchir aux différences internationales dans les modes de prise en charge et aux dynamiques transnationales de la construction des savoirs psychiatriques sur l’enfance. Les questions posées et débattues ne sont pas propres à un seul pays, comme le montrent aussi bien les interventions lors du congrès international de psychiatrie infantile de 1937 que les rencontres internationales qui se tiendront dans l’après-Seconde Guerre mondiale ou sous l’égide de l’OMS dans les années 1960. 

Les travaux portant sur le XXe siècle étant plus limités, nous avons à coeur de les encourager. Enfin, si les études historiques sont naturellement attendues, nous ne considérons pas que le sujet de ce numéro puisse être organisé sans l’apport de travaux venant d’autres disciplines des humanités et des sciences sociales. 

Les propositions (une page) doivent être envoyées à jean-christophe.coffin@cnrs.fr et anatole.lebras@sciencespo.fr pour le 23 mars 2020. N’oubliez pas d’indiquer votre affiliation et vos informations de contact. 



The child and the asylum (19th and 20th centuries) 

Call for articles 

Revue d’histoire de l’enfance irrégulière, No. 23 

Under the supervision of Jean-Christophe Coffin and Anatole Le Bras 

Children in an asylum? What a funny idea! Those alienists with their habit of locking people up again? Perhaps; still, at the end of the 19th century the choice of committing the child to a locked institution is hardly seen as an easy choice; at most a necessity. First of all, it involves placing him among adults, which is quite risky. This type of placement cannot be a permanent solution, at most a transitory response. Of course, some children must be placed in institutions; the idiot child, the “degenerate by excellence”, is one of them. But is the asylum for the insane the best place? As some alienists such as Paul Moreau de Tours (1844-1908) allow themselves to describe what the hearts of men refuse, i.e. the mental pathology in children, the idea is taking shape. 

After the First World War, the idea is no longer contested, although it is not yet fully accepted. The child’s “maladjustment” is not quite mental illness. Some alienists are willing to consider psychosis, while others, like the psychiatrist Sancte de Sanctis (1862-1935), propose a new entity, “dementia precoccissima”. The terminology of adult mental pathology inspires the language of child psychiatry, as evidenced by the notions of “child psychosis” (or infantile psychosis), “childhood psychosis” and “infantile schizophrenia” which become widespread in the 1950s. 

As categories emerge, the issue of caring for these children appears as increasingly complex. Professionals discuss, hesitate and fabricate solutions without the emergence of a clear consensus. Institutionalizing the child, of course, but of what type of institutions: locked or open? Away from the family or with the family? After all, doesn't the family have a role in certain disorders affecting the child? Is the solution only medical or also pedagogical? Many of these questions are still relevant today. 

This issue of the RHEI invites to revisit the history of psychiatric institutions through the prism of childhood. The aim is to study the placement of children in the asylum and then into the psychiatric hospital during the 19th and 20th centuries. It also involves understanding to what extent the asylum represented an anti-model or was considered a repellent place that determined many actors in the field of childhood to remove children from its grip, against a backdrop of professional competition between psychiatrists, psychologists, specialized pedagogues, etc. One might think that, in return, the question of childhood played a triggering role in the transformations of the psychiatric institution, which underwent several upheavals during the 20th century. 

The contributions can therefore relate both to psychiatric institutions and to institutions that thought of themselves as an alternative or a complement to the psychiatric internment of children. In order to guide the contributors to this issue, we propose the following topics which are not exclusive: 


• Thinking childhood madness 
Is the child’s madness conceivable? Beyond an internalist history of psychiatric knowledge, what historical and social factors made the emergence of this notion possible? During the 20th century, how did the interaction between the categories of illness and disability shape different institutional responses? 

• Taking care of children 
The study of children’s wards and the first specialized institutions in the late 19th century is expected because they are still little-known. In the meantime, it is necessary to question the centrality of psychiatric institutions since other modes of intervention (educational, judicial, welfare) characterize the field of “maladjusted” and “abnormal” childhood. 

• Biographical background and children’s experiences in psychiatry 
What type of children were placed in psychiatric institutions during the 19th and 20th centuries? What does the study of the biographical backgrounds of these young patients reveal? What social and gender factors determined the confinement of girls and boys? The issue of discharge seems particularly crucial here. 

During the 19th and 20th centuries, is there a specific child experience of psychiatry? This aspect brings into play the question of testimony and access to speech. Is history ‘from below’ or ‘from the patient’s point of view’ still relevant in the context of child psychiatry? 

• International and transnational perspective 
This issue invites us to reflect on international differences in the modes of care and the transnational dynamics of the construction of psychiatric knowledge on childhood. The issues raised by the psychiatric care of children were not country-specific, as shown by the interventions at the 1937 International Congress of Child Psychiatry and the international meetings held in the aftermath of the Second World War or under the aegis of the WHO in the 1960s. 

Since there are fewer academic works on twentieth century psychiatry as a whole, we are keen to encourage them. And while historical studies are naturally expected, we consider that this journal issue should comprise contributions coming from other disciplines in the humanities and social sciences. 

The proposals (one page) should be sent to jean-christophe.coffin@cnrs.fr and to anatole.lebras@sciencespo.fr until March 23rd 2020. Please indicate your affiliation and contact information.

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