Appel à contributions
Pour un numéro spécial des Cahiers François Viète, vol. III, n°11 dirigé par Isabelle Lémonon Waxin, Juliette Lancel & Valérie Burgos Blondelle
Ce projet de volume thématique pour les Cahiers François Viète propose l’écriture d’une histoire des savoirs qui intègre systématiquement le genre comme outil d’analyse. Il a pour objectif d'interroger la place des femmes et les rapports entre hommes et femmes dans le monde savant. Il se donne pour ambition de décrire et d’analyser sur une large temporalité (XVIIe – XXIe siècle) les pratiques, les rôles et les représentations des femmes dans la production des savoirs à partir de travaux inédits en histoire des sciences et des techniques. Ce travail sur le temps long permettra de mettre en évidence les évolutions, les récurrences voire les ruptures éventuelles associées à des changements historiques sociaux, politiques ou scientifiques. Loin de dresser un à un des portraits de femmes savantes, le dossier vise à comprendre les mécanismes d’intégration, d’exclusion ou d’invisiblisation des femmes au sein de l’entreprise savante et à y circonscrire la diversité de leurs activités. Étudier les femmes, comme le rappelle Dominique Pestre, « c'est faire émerger des continents d'activités engloutis, c'est faire réapparaître des gestes et des rôles essentiels effacés des mémoires, c'est permettre de penser la variété des actes de production de savoir, une complexité trop rapidement ramenée à quelques grands hommes et lieux. […] cela revient à faire que, au-delà des questions de genre, l'historien en vienne à raconter une histoire plus complète et passionnante, à ce qu'il fasse l'extraordinaire travail d'effacement et de ré-attribution qu'implique la fabrication des mémoires savantes1. » Ce volume thématique propose de multiplier les approches afin d’évaluer au mieux la complexité de l’intrication des facteurs de classe et de genre en croisant les questionnements de l’histoire sociale, intellectuelle et des femmes… Il s’articulera autour de trois problématiques.
Productions, circulation représentations
La première interrogera les modes de production et de circulation des savoirs accessibles aux et/ou mobilisés par les femmes depuis le XVIIe siècle. Quelles fonctions occupent-elles dans le monde savant : simples observatrices ou actrices à part entière ? Lors de cette analyse, il conviendra, selon les époques, de questionner l’importance des liens familiaux avec des savants ou de la domesticité dans l’accès des femmes à des rôles dans la production des savoirs. Il sera également nécessaire de porter un regard attentif sur l’influence de la nature du contenu scientifique des productions, de la sociabilité savante et des normes de genre sur la circulation des productions de femmes. La question des représentations sera également abordée afin d’identifier des facteurs potentiels d’inclusion ou d’exclusion portés par les discours.
Espaces, frontières, marges
La seconde problématique se propose d’investir la notion d’espace. Celle-ci est équivoque lorsqu’on aborde des problématiques liées au concret, à la géophysique, et elle se complexifie encore lorsqu’on y introduit des propriétés économiques, sociales, culturelles… « Sans référence à l’espace physique, des propriétés sociales permettent d’accéder à des systèmes consistant en des abstractions de dimensions sociétales2 ». L’espace se révèle alors être un système de positions et de relations de positions. Pierre Bourdieu explique que « l’espace social, c’est l’espace des positions sociales, c’est l’espace des pratiques sociales, c’est l’espace des styles de vie3». Ce volume explorera différents espaces physiques et/ou sociaux, particulièrement pertinents quant à l'analyse de la production et circulation des savoirs par les femmes au sein et “entre” ces espaces (les observatoires, les salons, les journaux, l’espace public…). La dynamique intra et inter espaces sera étudiée à la lumière de leur historicité, introduisant ainsi les questions de frontières et de marges. Un des objectifs sera de s'interroger sur la manière dont ces espaces sont genrés.
Cette analyse permettra de mieux situer les rôles endossés par les femmes dans l’entreprise de production des savoirs, de délimiter la frontière de leur participation à cette entreprise, de comprendre leurs stratégies d'accession et de participation au monde savant, et de mettre en relief les va-et-vient de ces savoirs d'un espace à l'autre. Les femmes sont-elles intégrées aux « espaces masculins » du savoir, se situent-elles à leurs frontières, créent-elles leurs propres espaces, ou encore sont-elles situées à la marge ?
Le volume tentera également d'appréhender les discours sur les femmes dans et entre ces différents espaces. Comment participent-ils à l'élaboration d'un savoir sur les femmes et/ou sur le féminin ? Comment ce savoir est-il perçu par les femmes : assimilation, résistance, détournement, réappropriation ?
Pratiques et pouvoir
Le troisième axe de questionnement sera centré sur le “faire”, en s’attachant à la fois aux pratiques matérielles de sciences ou de savoirs et à la capacité d’action, à l’agentivité des femmes concernées. Au travers du pouvoir acquis (ou perdu) se révèle une pluralité d’enjeux sociaux, politiques, économiques et intellectuels. Le volume thématique souhaite créer une dialectique entre l’activité scientifique concrète et quotidienne des femmes, et leur capacité, consciente ou non, intentionnelle ou non, à agir sur le monde qui les entoure. Le concept d’agentivité (agency), passé de la philosophie aux études de genre, est ici à mettre en relation avec celui d’empowerment, défini par Cynthia Kraus comme la “marge de manoeuvre” d’un individu, sa “capacité à résister au pouvoir”. Le pouvoir est alors à entendre dans son acception foucaldienne et son lien avec le(s) savoir(s). En se focalisant sur les gestes, la pensée opératoire, les objets vecteurs de production de savoirs et leur coût implicite ou non, les lieux et les individus impliqués, le volume propose l’usage de l’agency et de l’empowerment comme outils d’analyse et non comme fins. Loin d’alimenter le mythe des pionnières, il vise à comprendre, par l’étude des sources et l’exploration des terrains, l’impact de l’investissement des femmes dans les pratiques de savoirs.
CALENDRIER
Les contributions pourront être proposées en français ou en anglais. L’appel à contribution se
déroulera en trois temps :
1. Avant le 15 décembre 2019, envoi d’un document d’intention à l’équipe coordinatrice ( ilemonon@gmail.com ) . Ce texte (.doc ou .odt) expliquera en 5 000 signes environ (espaces compris) le contenu de l’article en se référant de manière explicite aux termes de l’appel à contribution qui ont retenu l’attention des auteur·e·s.
Il permettra une pré-sélection des articles par les coordinatrices du numéro spécial.
Les auteur·e·s seront informé·e·s de la recevabilité de leur proposition le 15 janvier 2020.
2. Avant le 1er juin 2020, envoi des articles dont les propositions ont été acceptées (entre 30 000 et 50 000 caractères, espaces compris, liste de références non comprise) aux coordinatrices ( ilemonon@gmail.com) . Les articles seront soumis à relecture et expertise par deux rapporteur·e·s selon la procédure en double aveugle de la revue. Il est demandé aux auteur·e·s de suivre les consignes éditoriales des Cahiers François Viète.
3. La version définitive des articles, après la phase d’expertise, est à rendre pour le 1er septembre 2021.
4. Mise en ligne et dépôt chez l’imprimeur : 1er novembre 2021.
1 Pestre, Dominique, Introduction aux science studies, La Découverte, Paris, 2006, p. 76-82.
2 Bernard Michon et Michel Koebel, « Pour une définition sociale de l'espace », in P. Grandjean (dir.), Construction identitaire et espace, Paris, L'Harmattan (coll. Géographie et culture), 2009, p. 39-59.
3 Bourdieu Pierre, « Espace social et genèse des "classes" », in Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 52-53, juin 1984, Le travail politique p. 3-14.
3 Bourdieu Pierre, « Espace social et genèse des "classes" », in Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 52-53, juin 1984, Le travail politique p. 3-14.
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