dimanche 31 mars 2019

Couloirs de la chimie et santé environnementale

A l’ombre des fumées pétrochimiques. Couloirs de la chimie et santé environnementale

Appel à communications

Colloque international – Lyon, 28 et 29 Novembre 2019


Ce colloque propose d’étudier des industries chimiques, dont l’activité s’est fondée sur l’usage de substances dérivées de combustibles fossiles, en portant l’attention aux effets sanitaires et écologiques de ces activités sur les territoires et les sociétés locales. Au XXe siècle, les activités pétrochimiques ont façonné les territoires où elles s’installent. Non seulement leur édification impose la construction de vastes réseaux d’infrastructures connexes, mais elle rend possible la production de nouvelles substances dont la fabrication exige des dérivés du charbon ou du pétrole. Dès leur mise en fonctionnement, les nuisances générées par ces industries sont perceptibles par les sociétés locales. Ces activités sont rapidement accusées de provoquer des troubles de santé, par les travailleurs comme par les riverains. Si la conflictualité reste souvent latente, elle s’est exprimée parfois avec violence, en particulier lorsque sont survenus des « débordements industriels » spectaculaires qui ont brisé la discrétion des pollutions chroniques. Jusqu’à nos jours, cette conflictualité peut aussi s’exprimer avec véhémence lorsque la désindustrialisation rompt l’accord tacite qui pouvait exister entre les travailleurs et l’entreprise dont ils tiraient leur revenu. La fin de l’activité industrielle peut révéler les effets écologiques et sanitaires, nourrir le ressentiment des riverains affectés et créer des mobilisations qui se nourrissent parfois d’une réactivation de la mémoire des désastres.
Dès lors, les enquêtes sur les conséquences sanitaires de l’industrie contribuent à la recomposition des rapports sociaux sur les territoires industriels. Ces enquêtes de santé répondent à une demande sociale forte, provenant des travailleurs et des riverains exposés aux pollutions chroniques. La production de ces savoirs peut se donner pour objectif de remédier aux lacunes d’une science non-produite ou d’alerter sur la potentialité pathogène d’une usine lorsque des riverains mènent une enquête d’épidémiologie populaire, voire instaurer le doute sur les effets de certaines substances afin d’éviter l’adoption de régulations contraignantes pour l’activité des entreprises. Ce processus s’inscrit dans un contexte conflictuel : les savoirs sont ainsi discutés, contestés, controversés.
Les autorités publiques jouent un rôle ambigu, tantôt régulatrices, tantôt soutiens des industriels. Ce rôle est fonction de l’intensité des interpellations des différents groupes d’intérêts, mais aussi de l’implication des agents dans ces dossiers ou d’opportunités politiques (lorsque des controverses médicales s’imposent dans le débat public, lorsque des conflits surviennent entre le pouvoir municipal et le pouvoir national, etc). Ainsi, l’administration peut faciliter la production de savoir pour rendre visible et lutter contre certaines pollutions. Les échelles d’analyse de l’action publique peuvent s’articuler comme elles peuvent s’opposer entre elles : les conclusions des expertises sanitaires provenant d’institutions publiques nationales peuvent ainsi contredire des enquêtes conduites avec le soutien des autorités municipales. Malgré des phases de controverses véhémentes, l’attention aux enjeux sanitaires est marquée par des discontinuités fortes sur ces territoires : les conclusions des enquêtes sont parfois oubliées pendant plusieurs décennies, menant à la répétition d’enquêtes identiques. Ces processus d’oubli actif participent à la fois à la production d’une ignorance sur les effets sanitaires de l’industrie et au maintien des accommodements locaux qui assurent la pérennité de l’activité industrielle, en dépit de ses nuisances.
Les études monographiques sur les « couloirs de la chimie », à travers le monde, tendent à se multiplier en interrogeant la désignation indigène de ces territoires, ainsi de la « Cancer Alley » ou des « Toxic Corridors » américains, ou du « Triangolo della morte » sur le littoral sicilien. Ces mots décrivent tous des districts dont la fonction industrielle s’est construite ou renforcée au XXe siècle, dans la foulée d’investissements massifs dans des infrastructures permettant l’expansion de la chimie de synthèse fondée sur des dérivés de combustibles fossiles. Non seulement ces aménagements induisent un impact environnemental et sanitaire, mais ils créent aussi un phénomène de dépendance dont ces districts peinent à se déprendre.
Toutefois, les comparaisons entre les territoires pétrochimiques européens et nord-américains restent rares. En rassemblant des études menées dans différents territoires pétrochimiques, ce colloque entend poser les jalons d’une histoire comparée des couloirs de la chimie. En se démarquant des histoires qui prennent pour acquise l’équation entre la consommation croissante d’énergie fossile et la prospérité des territoires, ce colloque invite à mettre l’impact sanitaire de l’industrie au cœur des récits portant sur la pétrochimie. Pour cette raison, ce colloque accordera un intérêt particulier aux communications proposant de revisiter l’histoire des enquêtes de santé qui portèrent sur les territoires industriels, ainsi qu’aux communications permettant un dialogue étroit entre chercheurs en sciences sociales et chercheurs en santé publique. Trois axes principaux sont soumis à la discussion :
-        Le premier axe invite à étudier la manière dont les industries pétrochimiques façonnent des territoires, en composant avec les conflits portant sur leurs enjeux sanitaires. Par l’ampleur des infrastructures connexes qui lui sont nécessaires, la présence d’une raffinerie sur un territoire participe ainsi à la recomposition des rapports sociaux dans les municipalités qui l’entourent. Les activités de la chimie métamorphosent le territoire en érodant les arrangements sociaux existants entre groupes sociaux : les accords portant sur la gestion des ressources naturelles se trouvent altérées par la présence industrielle (eau, air, terre). Malgré le répertoire d’action déployé par l’industrie pour se rendre acceptable auprès de la société locale en dépit de ses risques (par la création d’emplois, la contribution à la fiscalité municipale, ou les compensations financières des plaignants lors d’épisodes de pollutions), les enjeux fonciers et la question sanitaire constituent les motifs d’une opposition d’une fraction des riverains et des travailleurs : elle devient probablement l’obstacle récurrent à la production d’un consentement unanime des acteurs locaux à la présence industrielle. Les communications devront permettre de mieux caractériser socialement les groupes qui se montrent concernés et contribuent à définir les contours des enjeux sanitaires, à l’échelle des territoires. Il s’agira de comprendre quelles sont les ressources des travailleurs et des travailleuses qui parviennent à contester les nuisances de l’industrie dont ils tirent leur revenu, tout en éclairant les ressorts de la construction d’une préoccupation parmi les riverains lorsqu’ils dressent le constat de troubles de la santé. Le rôle des proches de ces travailleurs dans la mise en visibilité des maladies industrielles mérite une attention particulière. A ce titre, il est important d’interroger la manière dont les rapports de genre structurent la formulation des enjeux de santé environnementale dans les territoires de la pétrochimie.
-        Le deuxième axe vise à caractériser plus précisément les temporalités dans la construction de la visibilité et de la prise en charge des impacts sanitaires et écologiques de la pétrochimie. En rupture avec une histoire des industries énergétiques dont le récit suit l’évolution des stratégies d’entreprises qui s’imposèrent sur le marché, ce colloque invite à réintroduire des temporalités plus heurtées. Ainsi, les maladies industrielles et les conséquences écologiques de l’industrie deviennent souvent visibles après un temps de latence. Il convient ainsi d’éclairer la manière dont ces effets différés sont pensés et pris en charge par les travailleurs et leurs organisations ; comment les professions de santé composent avec ces durées dans la réalisation des enquêtes sanitaires ; et dans quelle mesure ces temps de latence modifient les stratégies industrielles. De plus, les études de longue durée portant sur un territoire contribueront à construire une chronologie pour mieux cerner les « régimes du risque industriel » successifs, c’est-à-dire les rapports sociaux et les systèmes de régulation des risques de santé qui prédominent dans une période donnée et un lieu donné.
-        Un troisième axe proposera de mieux caractériser les savoirs sanitaires produits, la manière dont ces savoirs alertent sur une ou des substances, et dont ces savoirs sont mobilisés dans la transformation des pratiques de régulation des risques industriels. Il s’agira d’une part d’interroger les disciplines mobilisées pour produire des savoirs sur les effets sanitaires de l’industrie. Ainsi, alors que l’hygiène industrielle se donnait pour ambition d’étudier les effets des substances sur la santé des travailleurs dans l’entreprise, les enquêtes menées à l’échelle des territoires contestent cette démarcation entre l’intérieur et l’extérieur des espaces de travail. Il s’agira d’autre part de repérer les confrontations entre démarches d'épidémiologie universitaire et d'épidémiologie populaire. Bien que celles-ci puissent sembler moins robustes quant à l'administration de la preuve, elles contribuent à pointer des phénomènes épidémiques et à alerter à leur sujet des chercheurs qui, autrement, seraient restés à distance de ces situations sanitaires. Ces deux formes d’épidémiologie interrogent également la manière de fabriquer des régulations, dans la mesure où l’épidémiologie universitaire est régulièrement mobilisée dans l’action publique pour déceler des clusters de maladies liées à l’industrie, alors que l'épidémiologie populaire se donne pour objectif d'établir des pratiques de précaution pour prévenir l’exposition à des substances dont le caractère pathogène est soupçonné.
Ainsi, entre les pratiques des riverains, des universitaires, des élus du territoire ou bien encore des représentants des agences publiques, une diversité d’approches est indéniable. Il s’agit de les étudier et de les confronter pour mieux comprendre la lente et sinueuse histoire de l’impact sanitaire des infrastructures pétrochimiques sur lesquelles repose une grande partie des modes de vie et de consommation contemporains.


Les langues de travail seront l’anglais et le français.
Les propositions de communication doivent inclure le nom du ou des chercheurs, un court CV, et une proposition de 400 mots maximum. Les propositions de communications doivent être envoyées avant le 15 mai 2019.
Les propositions seront envoyées simultanément à renaudbecot@gmail.com et stephanefrioux@yahoo.fr
Les auteurs seront informés peu après le 15 juin 2019. Le comité d’organisation prendra en charge les frais de logement pendant la conférence, et les auteurs pourront aussi demander la prise en charge d’un montant raisonnable pour les coûts de transports s’ils en ont la nécessité.
Il sera demandé aux participants de faire parvenir un texte de travail (environ 30.000 caractères) avant le 31 octobre 2019.


Colloque soutenu par la Fondation de France.


Comité d’organisation
Renaud Bécot (Post-doctorant en Histoire contemporaine, LARHRA, Lyon)
Stéphane Frioux (Maître de conférences en Histoire contemporaine, Université Lyon 2 & IUF, LARHRA)
Gwenola Le Naour (Maître de conférences en Science politique, Sciences Po Lyon, Triangle)
Vincent Porhel (Maître de conférences en Histoire contemporaine, Université Lyon 1, LARHRA)

Comité scientifique
- Laura Centemeri (Chargée de recherche, Sociologie, CNRS - CEMS-EHESS Paris)
- Emilie Counil (Chargée de recherche, Epidemiologie, INED - Paris)
- Anne Dalmasso (Professeure en Histoire contemporaine, Université Grenoble Alpes - LARHRA)
- Xavier Daumalin (Professeure en Histoire contemporaine, Université Aix-Marseille – Directeur de l’UMR TELEMME)
- Philippe Davezies (Professeur émérite en médecine et en santé au travail, Université Lyon 1)
- Pierre Fournier (Professeure en Sociologie, Université d'Aix-Marseille – Directeur du Laboratoire méditerranéen de sociologie, LAMES)
- Julie Henry (Maître de conférences en philosophie, Ecole Normale Supérieure Lyon – Triangle)
- Anne Marchand (Post-doctorante en Sociologie et Histoire, Université Paris 13, Giscop 93)
- Pascal Marichalar (Chargé de recherche, CNRS - IRIS - Paris)
- Emmanuel Martinais (Chargé de recherche, ENTPE et EVS-Rives - Lyon)
- Geneviève Massard-Guilbaud (Directrices d’études, EHESS - CIRED - Paris)
- Judith Rainhorn (Professeure en Histoire contemporaine, Université Paris 1 - Centre d'Histoire Sociale)
- Christopher Sellers (Professeur en Histoire contemporaine, Stony Brook University - New York)
- Kayo Togawa (Chercheure, Section de l’Environment, Centre international de recherche sur le cancer, Organisation mondiale de la santé)




Bibliographie indicative.

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Xavier Daumalin, « La création du Secrétariat permanent pour les problèmes des pollutions industrielles Fos/étang-de-Berre. Tournant environnemental ou optimisation d’une ambition industrielle (1971-1985) ? », Rives méditerranéennes, à paraître.
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