jeudi 5 juillet 2018

Les écologies du XIXe siècle

Les écologies du XIXe siècle : subjectivités et environnements

Appel à articles

De la Révolution française à la Première Guerre mondiale, la notion moderne d'environnement n'est pas encore constituée, elle oscille entre plusieurs définitions rivales que saisit un lexique peu stabilisé. Qu'on y voie un ensemble de ressources naturelles ou un paysage, un « milieu » ou un « climat », un « habitat » ou un territoire à maîtriser, l'environnement est le point d'appui d'une diversité de rationalités et d’imaginaires, de dispositifs matériels ou de sensibilités, de pratiques sociales et d'identités, qui forment des assemblages instables et toujours recomposés. En quoi les multiples façons de penser, d'imaginer ou de s'approprier l'environnement, reflètent-elles autant de conceptions du sujet à partir de l’ère romantique ? En quoi ces conceptions sont-elles complémentaires ou rivales ? Sont-elles le produit d'événements singuliers, ou d'évolutions longues ? Comment peut-on en évaluer l'influence (intellectuelle, culturelle, sociale ou politique) ?
C'est à partir de ce questionnement que nous voudrions considérer la diversité des écologies du XIXe siècle.
Pour cela, on définira le terme « écologie » de façon large, sans le réduire à la science des relations entre les organismes vivants et les circonstances environnantes (qui naît au sein du débat darwinien dans les années 1860), mais afin de couvrir l'ensemble des savoirs et des discours concernant les rapports entre le monde social, moral et politique d'une part, et l'environnement naturel (ou plus largement le cadre de vie matériel) d'autre part. On s'efforcera ainsi, sans téléologie, de mettre en valeur l'évolution et la diversité du lexique, des conceptions et des préoccupations écologiques telles qu'elles s'expriment dans les différentes sciences de l'homme ou de la nature, ainsi que dans les savoirs administratifs, les techniques ou les productions littéraires et artistiques.
Le « sujet » moderne sera abordé de façon à tenir compte de la diversité des approches possibles en histoire environnementale : histoire politique, histoire des sciences et techniques, histoire de l'art ou de la littérature. Un paradigme dominant de l’histoire environnementale, telle qu’elle s'est développée aux États-Unis, a été celui de la commodification of nature, qui consiste à étudier la double transformation, de la nature en marchandise d'une part, et du sujet moderne en homo oeconomicus d’autre part1. Bien des travaux restent à faire dans ce domaine, et pourtant cette conception libérale, qui ne triompha jamais tout à fait, ne saurait résumer le XIXe siècle dans son ensemble. On s'intéressera donc aussi bien au sujet libéral de la révolution industrielle et commerciale, qu’aux subjectivités de l'hygiène, de la psychologie, de l'architecture et des travaux publics, de l'art, de la politique ou de la morale.
Il convient pour cela de saisir les dynamiques de la subjectivation individuelle ou collective. On pourra s’intéresser aux moments où l’environnement naturel fait irruption de façon inattendue, sous la forme de la dégradation, du risque ou de la catastrophe, et où se déploient des émotions environnementales2. C’est plus généralement toute la question de l’agentivité des non-humains, et celle de la coordination entre les dynamiques sociales et environnementales, qui conduit à interroger la frontière qui sépare le sujet de l’objet. A l’ère du rationalisme (apparemment) triomphant, les élites savantes et culturelles opposent de plus en plus nettement la nature et la culture, comme les objets aux personnes. Mais à travers le folklore, l’anthropologie ou les sciences sociales, la fascination est grande pour les croyances ou les « superstitions » relevant de cosmologies alternatives. Celles-ci demeurent bien vivantes au sein d’une population encore majoritairement rurale qui, en Europe ou dans les colonies, vit au contact d’une nature inégalement domestiquée au sein de laquelle les êtres naturels ne sont pas toujours perçus comme dénués de subjectivité3.
Un autre chantier considérable pour l’histoire environnementale a été ouvert par les travaux sur l'histoire des sensibilités aux paysages ou à la nature, qui ont mis en valeur les formes précoces de patrimonialisation de la nature après la Révolution française4. On pourra les prolonger ou les compléter en étudiant les alternatives aux écologies dominantes et les expérimentations minoritaires destinées à transformer le rapport moderne à la nature5. Les textes littéraires ou doctrinaux, de Wordsworth à Verhaeren en passant par Thoreau ou Michelet, mais aussi les grands moments révolutionnaires et autres expériences politiques, permettront d'identifier, dans les programmes et dans les pratiques, les soubassements écologiques de nouvelles subjectivités spirituelles ou religieuses, républicaines ou socialistes, libérales ou conservatrices6. Dans tous ces cas les contributions pourront mobiliser une diversité de sources : oeuvres littéraires, ouvrages politiques ou scientifiques, cultures visuelles, archives et écrits de la pratique, qui permettent d'aborder de façons différentes la question des subjectivités environnementales.

Ce dossier de Romantisme sera le troisième de l’année 2020, à paraître à l’automne. Les propositions de contribution (une page environ, comportant un résumé, une brève notice biobibliographique, ainsi qu’une adresse électronique et postale) sont à adresser avant le 15 janvier 2019 à Julien Vincent (Julien.Vincent@univ-paris1.fr). Les articles achevés (qui ne devront pas excéder 30 000 signes espaces compris) avec leurs illustrations devront être remis en novembre 2019.

Ils seront accompagnés d’un résumé en français de 800 signes, espaces compris.

1 Sur le contexte historiographique, voir Grégory Quenet, Qu’est-ce que l’histoire environnementale ?, Paris, Champvallon, 2014 ; voir aussi William Cronon, Nature's Metropolis. Chicago and the Great West, New York, Norton, 1991 ; Diana K. Davis, « L’éco-gouvernance en Algérie française », Tracés, 2012, n° 22, p. 189-204 ; Jean-Baptiste Fressoz, « Mundus oeconomicus : révolutionner l’industrie et refaire le monde après 1800 » dans Otto Sibbum et Kapil Raj (eds.), Histoire des sciences et des savoirs. Volume 2, Paris, Seuil, 2015, p. 369-389.
2 Sur l’« anxiété » environnementale, voir James Beattie, Empire and Environmental Anxiety: Health, Science, Artand Conservation in South Asia and Australasia, 1800-1920, Houndsmill, Palgrave Macmillan, 2011 ; sur la « nostalgie » environnementale, voir Caroline Ford, Natural Interests. The Contest over Environment in Modern France, Harvard(Mass.), Harvard University Press, 2016.
3 Eric Baratay, Le point de vue animal. Une autre version de l’histoire, Paris, Seuil, 2012 et du même, Biographies animales. Des vies retrouvées, Paris, Seuil, 2017 ; Eduardo Kohn, Comment pensent les forêts, Paris, Zones sensibles, 2017.
4 Voir notamment Alain Corbin, Le territoire du vide : L’Occident et le désir du rivage, Paris, Flammarion, 2010 ; Charlotte Klonk, Science and the Perception of Nature: British Landscape Art in the Late Eighteenth and Early Nineteenth Centuries, Yale, Yale University Press, 1996 ; François Walter, Les figures paysagères de la nation. Territoire et paysage en Europe XVIe-XXe siècles, Paris, EHESS, 2004 ; Claire Robert, « Aux racines de l’écologie : un nouveau sentiment de la nature chez les écrivains français au XIXe siècle », thèse de l’Université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle, 2008 ; John Sheail, Nature’s Spectacle The World’s First National Parks and Protected Places, New York, Routledge, 2010.
5 Arnaud Baubérot, Histoire du naturisme. Le mythe du retour à la nature, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004 ; Vicky Albritton et Fredrik Albritton Jonsson, Green Victorians: The Simple Life in John Ruskin’s Lake District, Chicago, University of Chicago Press, 2016.
6 Mark Stoll, Protestantism, Capitalism, and Nature in America, Albuquerque, University of New Mexico, 1997 ; David M Lodge et Christopher Hamlin (eds.), Religion and the New Ecology: Environmental Responsibility in a World in Flux, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2006 ; Steven Stoll, The Great Delusion, New York, Hill and Wang, 2008 ; Gisèle Séginger, « De la biologie à l'écologie : l'Évangile naturel de Michelet », Arts et Savoirs, 7, 2016 ; Pierre Serna, Comme des bêtes. Histoire politique de l’animal en révolution, Paris, Fayard, 2016 ; Serge Audier, La société écologique et ses ennemis, Paris, La Découverte, 2017.

Bibliographie indicative
AGRAWAL, Arun, Environmentality. Technologies of Government and the Making of Subjects, Durham (N.C.), Duke University Press, 2005.
ALBRITTON Vicky et JONSSON Fredrik Albritton, Green Victorians: The Simple Life in John Ruskin’s Lake District, Chicago, University of Chicago Press, 2016.
AUDIER Serge, La société écologique et ses ennemis. Pour une histoire alternative, Paris, Seuil, 2017.
BARATAY Éric, Le point de vue animal. Une autre version de l’histoire, Paris, Seuil, 2012.
BAUBEROT Arnaud, Histoire du naturisme. Le mythe du retour à la nature, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004.
BEATTIE James, Empire and Environmental Anxiety: Health, Science, Art and Conservation in South Asia and Australasia, 1800-1920, Houndsmill, Palgrave Macmillan, 2011.
CORBIN Alain, Le territoire du vide : L’Occident et le désir du rivage, Paris, Flammarion, 2010.
DAVIS Diana K., « L’éco-gouvernance en Algérie française », Tracés, 30 juin 2012, n° 22, no 1, p. 189-204.
DESCOLA Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
FORD Caroline, Natural Interests. The Contest over Environment in Modern France, Harvard (Mass.), Harvard University Press, 2016.
FOUCAULT Michel, « Le sujet et le pouvoir » (1982) in Dits et écrits, tome 4, Paris, Gallimard, 1994, p. 222-243.
FRESSOZ Jean-Baptiste, « Mundus oeconomicus : révolutionner l’industrie et refaire le monde après 1800 » dans Otto Sibbum et Kapil Raj (eds.), Histoire des sciences et des savoirs. Volume 2, Paris, Seuil, 2015, p. 369-389.
INGOLD Alice, « Écrire la nature. De l’histoire sociale à la question environnementale ? », Annales.
Histoire, Sciences Sociales, 2011, vol. 66, no 1, p. 11-29.
JARRIGE Francois et LE ROUX Thomas, La Contamination du monde - Une histoire des pollutions à l’âge industriel, Paris, Seuil, 2017
KOHN Eduardo, Comment pensent les forêts, Paris, Zones sensibles, 2017.
MATHIS Charles-François, In Nature We Trust : les paysages anglais à l’ère industrielle, Paris,
Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, 2010.
QUENET Grégory, Qu’est-ce que l’histoire environnementale ?, Paris, Champvallon, 2014.
ROBERT Claire, Aux racines de l’écologie : un nouveau sentiment de la nature chez les écrivains
français au XIXe siècle, Thèse, Université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle, Paris, 2008.
SERNA Pierre, Comme des bêtes. Histoire politique de l’animal en Révolution (1750-1840), Paris,
Fayard, 2017.
STOLL Mark, Inherit the Holy Mountain : Religion and the Rise of American Environmentalism,
Oxford, Oxford University Press, 2015.

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