mardi 22 mai 2018

Les politiques du psychisme

Politiques du psychisme III. Connexions et trajectoires


Appel à communications


Conférence organisée par: Grégory Dufaud (IEP Lyon-LARHRA), Nicolas Henckes (CNRS-CERMES3), Marianna Scarfone (Université de Strasbourg-Sage)

Dates : 6-7 décembre 2018

Lieu: Paris

Date d’envoi des propositions de communication: 10 juin 2018



Si le terme d’hygiène mentale circule dès le XIXesiècle, il s’impose dans le premier tiers du XXesiècle dans la plupart des pays européens et d’Amérique pour caractériser ce qui apparaît alors comme de nouvelles façons d’aborder les pratiques et les savoirs psychiatriques autant que leur mise en politique. L’hygiène mentale est d’abord un projet de réforme, basé sur la promotion de formes alternatives d’assistance psychiatrique et de pratiques de prévention dans le champ de la santé mentale. Ce double objectif s’incarne dans de nouvelles structures psychiatriques créées par des psychiatres-entrepreneurs. Ainsi, en 1908, le psychiatre Gustav Kolb fonde, en Bavière, un service libre afin d’aider les malades à réintégrer la société. Le service libre est pensé comme un complément de l’asile : les soins hors les murs visent à prolonger les traitements reçus par les malades mentaux pendant leur internement. Au-delà des questions institutionnelles, les mouvements d’hygiène mentale font aussi la promotion de pratiques de prévention en direction de populations ou de problèmes divers : enfance, travail entre autres. En cela ils contribuent à la fois à une extension des juridictions des professionnels du psychisme et à l’institutionnalisation d’une série de politiques publiques.

Mais l’hygiène mentale ne s’est pas intéressée exclusivement aux pratiques psychiatriques ; elle est également un projet d’organisation scientifique des sociétés dont l’origine a diverses sources intellectuelles. En France, la promotion de la prophylaxie mentale par Édouard Toulouse s’inscrit dans un programme plus large de biocratie, qui veut incarner le gouvernement par les sciences. Sa pensée est inspirée par, d’un côté, la philosophie positiviste et évolutionniste et, de l’autre, l’idéologie républicaine. Plus généralement, l’essor de l’hygiène mentale reflète la montée dans les sociétés européennes d’utopies scientifiques et politiques puisant autant dans les idéaux de réforme sociale que dans les idéologies totalitaires.

L’historiographie de l’hygiène mentale s’est jusqu’à présent surtout concentrée sur les États-Unis où elle a étudié la création et les évolutions du National Committee for Mental Hygiene et l’œuvre d’Adolf Meyer. En Europe, les recherches, en plus d’être fragmentaires, concernent principalement les pays d’Europe occidentale, politiquement stables et relativement avancés sur le plan sanitaire. Elles permettent néanmoins deux observations fondamentales : la simultanéité de l’émergence de l’hygiène mentale en divers lieux au début du XXesiècle et la grande variété de ses formes d’un endroit à un autre. De sorte qu’il paraît difficile de parler d’un courant unique malgré l’existence de mouvements internationaux visant à stimuler les échanges et rapprocher les expériences locales, voire à promouvoir des standards communs. A cet égard la difficulté à caractériser de façon univoque l’hygiène mentale, ses objets et ses approches tient peut-être à ce que les mouvements locaux ont été une chambre d’échos des idées de leur époque, des mouvements à la fois opportunistes et plastiques, loin d’être consensuels.

Cette conférence est la troisième d’une série d’événements destinés à éclairer pour la première fois dans sa diversité l’histoire de l’hygiène mentale dans l’aire européenne. Les deux premières journées, organisées respectivement à Strasbourg dans le cadre du congrès de la Société Française d’Histoire des Sciences et des Techniques en avril 2017 et à Villejuif en février 2018, ont apporté des analyses sur des figures, des expérimentations institutionnelles ou des questions spécifiques travaillés dans diverses configurations nationales : France, Italie, Allemagne, Grèce. Plusieurs points étaient au centre des communications :
Les logiques de constitution et d’identification des mouvements d’hygiène mentale. La définition de l’hygiène mentale ne reposait pas d’abord sur une caractérisation par ses promoteurs d’un objet, de méthodes ou d’objectifs. Au contraire frappe la diversité des logiques d’identification à l’œuvre selon les lieux et les moments. Le cas français est éloquent : si le service libre est à bien des égards l’étendard de la Ligue d’Hygiène Mentale d’Edouard Toulouse, d’autres expérimentations similaires sont promues au même moment par des acteurs locaux qui, tout en participant à certaines activités de la Ligue, ne mettent pas en avant leur identification et celle de leurs entreprises à l’hygiène mentale. L’étude des mouvements d’hygiène mentale permet ainsi de comprendre les logiques de formation, d’agrégation et de transformation des mouvements sociaux dans le champ du savoir. Les communications présentées lors des deux premières conférences ont d’ailleurs montré la pertinence de démarches visant à situer ces mouvements, leurs protagonistes et leurs expérimentations institutionnelles dans différents contextes locaux, nationaux et internationaux. Les logiques de constitution des projets peuvent varier profondément selon le niveau d’analyse : opportune au niveau local, la référence à l’hygiène mentale peut perdre de son intérêt au niveau national ou inversement.
Les positions sociales et disciplinaires des promoteurs de l’hygiène mentale. Tels Robert Sommer en Allemagne ou André Répond en Suisse, tous les professionnels impliqués sont loin d’appartenir à l’élite de la psychiatrie au moment où ils s’engagent dans la formation de leur mouvement. Acteurs de second plan de leur discipline, ils se mettent à la fois en situation de créer des ouvertures vers d’autres champs ou d’autres contextes nationaux, et d’expérimenter localement. Si cette position ne leur permet pas toujours de bousculer les savoirs légitimes, elle en fait en revanche des entrepreneurs ou des vulgarisateurs, jouant un rôle particulier dans la diffusion dans le champ politique ou vers le public des thèses de la psychiatrie de l’époque.
La problématisation de l’expertise. Si l’idée que l’hygiène mentale est d’abord une affaire d’experts est au cœur de la plupart des mouvements nationaux, tous ne comprenaient pas de la même manière la nature de l’expertise, ses publics et ses adversaires. Ainsi, si le mouvement français a surtout visé à éduquer le public et les élites politiques du pays en s’opposant à une supposée réaction disciplinaire portée par une partie des acteurs du champ de la psychiatrie lui-même, l’hygiène mentale allemande a pu placer au centre de son projet politique la lutte contre le charlatanisme. De même, la promotion par le mouvement américain de l’expérience d’anciens patients tranche avec le caractère technique de l’expertise mise en avant par les hygiénistes mentaux français.

Ces perspectives ouvrent, nous semble-t-il, plus grand encore le problème de la définition et l’identification des mouvements d’hygiène mentale. Comment caractériser l’hygiène mentale ? Comment analyser les mouvements qui l’ont portée ? Quelles relations l’hygiène mentale entretenait-elle avec d’autres mouvements ?

Si ces perspectives, dans leur ensemble, méritent d’être approfondies et que les communications à leur sujet seront les bienvenues, nous proposons en outre dans cette troisième conférence de porter une attention particulière aux connexions et trajectoires des mouvements d’hygiène mentale :
Les mouvements d’hygiène mentale nationaux ne peuvent être compris les uns indépendamment des autres et indépendamment du milieu institutionnel, social et politique auquel ils appartenaient. Les relations qu’ils entretenaient entre eux — et qui ont été en partie portées par des mouvements transnationaux — ont permis la circulation de modèles, d’idées et d’acteurs. Nous accueillerons avec intérêt des propositions de communication abordant ces deux grands enjeux. D’un côté, des analyses seront bienvenus sur les circulations des personnes, des savoirs et des techniques d’un contexte à un autre, qu’il soit national ou socio-politique. De l’autre, la question des mouvements transnationaux mérite d’être explorées, et notamment la constitution et l’action des mouvements internationaux d’hygiène mentale.
Une question importante en suspens est l’identification de la trajectoire d’ensemble des mouvements d’hygiène mentale. En particulier si les études disponibles jettent souvent un éclairage riche sur leurs débuts, elles ont souvent peu à dire sur la disparition des mouvements de l’hygiène mentale. Cette question pourra être examinée à partir de deux perspectives. D’un côté, dans la ligne des remarques précédentes, les communications pourront insister sur les forces et processus internes aux mouvements d’hygiène mentale qui ont contribué à leur évolution. De l’autre, on sera intéressé par des analyses permettant de situer la place qu’a occupée l’hygiène mentale dans les transformations larges de la psychiatrie au cours de la seconde moitié du XXesiècle – désinstitutionnalisation, création des chimiothérapies, ou essor des mouvements d’usagers.

Cette conférence est soutenue par le Labex TEPSIS et le CERMES3/This conference is supported by Labex TEPSIS and CERMES3

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