vendredi 11 mai 2018

Écrire l’histoire de la désinstitutionnalisation psychiatrique au Canada

Écrire l’histoire de la désinstitutionnalisation psychiatrique au Canada

Panel conjoint SCHM-SHC


Organisé par Alexandre Klein  (Université Laval)

Université de Regina
Lundi 28 mai 2018, 13h30-15h. 


Le mouvement de désinstitutionnalisation qui toucha l’ensemble du Canada au cours des années 1960 visait à faire sortir les malades mentaux des asiles et à instaurer une prise en charge sociale et communautaire de la maladie mentale. Ce processus législatif, pratique et idéologique majeur dans l’histoire des soins de santé mentale a fait l’objet, au cours des dernières années, d’un intérêt nouveau de la part des historien(ne)s. Constatant dans leur majorité l’absence de réelle désinstitutionnalisation, ils-elles ont chacun(e) à leur manière, dans les différentes provinces canadiennes, retracer un mouvement de déshospitalisation, autrement de sortie de l’hôpital des patients, qui ne rimait pas nécessairement avec la fin de l’institutionnalisation. Bien au contraire, les ex-psychiatrisé(e)s, une fois sorti(e)s des asiles se retrouvaient souvent en errance entre de multiples institutions de soins qui loin de favoriser leur réinsertion sociale conduisaient souvent à une psychiatrisation accentuée de leur existence.
Ce panel, bilingue, entend revenir sur ces travaux récents étudiant la désinstitutionnalisation psychiatrique au Québec, en Ontario et en Saskatchewan afin d’interroger le renouveau du travail historien engagé par ces chantiers. Pour cerner l’histoire complexe et contrariée de ce mouvement, il convenait en effet de s’éloigner des archives institutionnelles ou scientifiques habituelles pour établir des ponts documentaires comme relationnels entre les hôpitaux et les communautés ainsi qu’entre les différents acteurs (médecins, infirmières, travailleurs sociaux, administrateurs, psychologues, etc.) des soins de santé mentale. Grâce à des collaborations interdisciplinaires ou à l’usage de concepts et d’approches issues d’autres disciplines, les historien(ne)s ont pu mettre à jour les phénomènes de déshospitalisation et de transinstitutionnalisation qui se cachaient derrière le drapeau de la désinstitutionnalisation agité par les législateurs et les politiques. À partir du récit, réflexif, des démarches méthodologiques mises en place pour aborder leur objet, les historien(ne)s de ce panel entendent participer à une réflexion plus vaste sur l’écriture contemporaine de l’histoire, notamment de la psychiatrie, et sur les apports des autres disciplines au renouveau de l’historiographie.  


Présidence : Susan Lamb


Suivre le processus de désinstitutionnalisation psychiatrique québécois sur la longue durée. Un historien et une sociologue à l’Hôpital des Laurentides.

Alexandre Klein
(Université Laval)

On connait assez peu de choses sur le déroulement du processus de désinstitutionnalisation psychiatrique au Québec après la tenue, en 1961, de la commission Bédard qui engagea sa mise en place dans l’ensemble de la province. L’histoire de cette politique de santé mentale reste en effet trop souvent associée au récit héroïque de son instauration ou à son seul volet législatif. C’est pour combler ce manque que nous avons choisi, avec la sociologue Laurie Kirouac, de nous pencher en 2016, dans le cadre de la préparation d’un collectif sur l’histoire de la désinstitutionnalisation dans le monde psychiatrique francophone, sur l’histoire de l’Hôpital des Laurentides. Nous souhaitions en effet retracer, dans cet hôpital choisi, dès 1962, comme un lieu d’expérimentation de la sectorisation psychiatrique par le gouvernement Lesage, l’installation puis le développement de cette nouvelle politique de santé mentale.
Si notre association disciplinaire, entre histoire et sociologie, visait tout d’abord à permettre une étude sur la longue durée, soit entre 1960 et 2012, nous constatâmes rapidement qu’elle assurait surtout l’écriture d’une autre histoire de la désinstitutionnalisation psychiatrique dans cette institution. En effet, le peu de sources historiques disponibles se contentait de répéter le tableau idyllique d’un centre psychiatrique avant-gardiste et choyé. Or, le réexamen de verbatims d’entrevues réalisées entre 2010 et 2013 avec des personnels soignants de l’établissement en poste entre les années 1970 et 2000 nous offrit une tout autre vision des événements. Au-delà des espoirs et des ambitions affichés dans les années 1960, cette plongée historique dans la réalité de terrain de l’hôpital nous dévoilait surtout les difficultés inhérentes à la mise en place de cette désinstitutionnalisation, et révélait finalement les échecs d’une politique publique sous-financée et parfois incohérente avec les enjeux locaux.  Ainsi, la mutualisation des approches historique et sociologique nous a permis de dresser un portrait plus complet et plus complexe du devenir de la politique de désinstitutionnalisation psychiatrique au Québec depuis son implantation. C’est sur cette expérience d’interdisciplinarité que je souhaiterais revenir dans cette présentation, afin d’en préciser les apports pour le travail de l’historien et d’en analyser les conséquences pour l’historiographie de la psychiatrie québécoise.



Diversity and Deinstitutionalisation:
Doing History in Healthcare teams

Erika Dyck
(University of Saskatchewan)

Mental health care shifted significantly in the second half of the 20th century.  It transformed from a system of custodial care to outpatient and community-based services.  The process that came to be known as deinstitutionalization, or the closing down of large psychiatric hospitals, occurred differently across the country.  It also transferred the focus of care away from hospitals and into diverse settings relying more on primary care teams and community services to fill gaps in care needs. Transferring people into a system of care in the community also revealed many non-medical factors required in mental health care. Tracing this historical shift in defining and designing mental health care in Canada engages historians in a study of diverse networks of care. In this presentation I explain how we created a team-based approach to researching and writing about deinstitutionalization in Canada.  Our co-produced book emulates some of the tensions, challenges, as well as the benefits of working together with diverse perspectives to solve complex problems. Our team congealed around the central idea that mental illness and poverty are intrinsically linked, and then we drew from our differences in experience, skill, and training to articulate a historical narrative that wove together input from ex-patients, psychiatrists, administrators, trainees, psychologists, and historians, sharing authorship.



« Imaginaire et sensibilités »
La mise en récit de la déshospitalisation psychiatrique en Ontario

Marie-Claude Thifault
(Université d’Ottawa)

La perspective des parcours de vie, souvent présentée comme une théorie par les professionnels de la santé, a été utilisée, entre autres, dans le cadre du collectif La fin de l’asile ? (PUR) pour rendre compte de trajectoires de vie atypiques ayant comme moments décisifs des espaces temps caractérisés par des crises familiales, de grandes désorganisations, des tentatives de suicides ou de profondes dépressions qui nécessitent un arrêt d’agir… une hospitalisation en milieu psychiatrique.

Afin d’illustrer les parcours transintitutionnels des patients psychiatres de la capitale nationale, nous avons mis en récit plusieurs décennies de suivis psychiatriques. Plutôt que de restreindre notre analyse à des comportements associés à un diagnostic et de décortiquer un épisode psychiatrique en particulier, nous avons documenté la récurrence des troubles psychiques et leurs conséquences.  La mise en récit des parcours de vie psychiatriques est originale et inédite pour comprendre l’impact de la maladie mentale de type chronique sur la vie des personnes touchées et sur leurs proches. Cette approche, influencée par les travaux de Corbin, a le souci de percer « le secret des comportements de ceux qui nous ont précédés, au croisement des émotions et des représentations, de l’imaginaire et des sensibilités » (Demartini et Kalifa : 2005).

Des centaines de pages de dossiers, surtout des notes d’observations nursing et d’évaluation psychiatrique, ont été consultées pour documenter un parcours de vie psychiatrique présenté dans La fin de l’asile ? À partir de cette source, pour révéler la trajectoire et les points tournants dans la vie d’une femme qui a fréquenté le programme de santé mentale de l’Hôpital Montfort pendant une vingtaine années, nous avons dû nous en remettre aux observations et aux mots des autres (infirmières, psychiatres, travailleuses sociales), lire entre les lignes et être sensibles aux silences (Bourgault : 2015). Nul doute, notre enquête est rigoureuse et construite sur des faits. Toutefois, l’historienne est-elle libre ou non dans la mise en forme du récit ? Quelle valeur scientifique accorde-t-on aux textes qui s’éloignent des cadres habituels, des formes traditionnelles et quelle place l’historiographie accorde-t-elle aux trames narratives ou aux écritures créatives ?

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