dimanche 13 mai 2018

Doctorat sur la maladie de Crohn

Approche socio historique des inégalités territoriales face à la maladie de Crohn : un enjeu de santé publique (Hauts de France, 1944-1988)


Proposition de bourse de thèse de socio-histoire


Université de Lille
Clersé – IRHiS


Présentation du sujet

L’approche socio historique qui est proposée vise à préciser les raisons de la très forte concentration géographique de la maladie de Crohn dans le Nord de la France, et plus précisément dans le Nord Pas-de-Calais, la Somme et la Seine-Maritime. Pour le profane, cette maladie se manifeste par une inflammation permanente des intestins qui évolue par crises et qui, le plus souvent, impacte la vie sociale et professionnelle des malades. C’est une maladie propre aux pays riches : le premier diagnostic est posé par le docteur Crohn à New York en 1935, d’autres suivent en Europe du nord puis la France est « atteinte » en 1975.

La maladie de Crohn est une énigme à laquelle les sciences humaines et sociales peuvent s’attaquer à condition de sortir des sentiers battus : l’explication par l’intensité et par l’ancienneté de l’industrialisation ne tient pas puisque des régions comme Rhône-Alpes ou la Région parisienne ne constituent pas des zones de forte incidence de la maladie ; retenir des critères économiques (une population moins aisée qu’ailleurs, ou plus ouvrière) ne tient pas non plus pour les mêmes raisons et aussi parce que dans les zones de forte incidence coexistent des populations aisées et moins aisées ; la distinction entre régions urbanisées ou rurales ne marche pas non plus … 

Le sujet de thèse proposé vise à mobiliser les outils des sciences humaines et sociales pour trouver les motifs de la forte concentration géographique de la maladie dans les caractéristiques de l’environnement des malades. Au delà, et ce point confirme le caractère pionnier de cette thèse, il conduira à définir une méthode d’analyse plus générale pouvant être appliquée à des maladies qui frappent des populations de zones géographiques concentrées.

Cahier des charges

Résolument bi-disciplinaire, la réalisation de ce doctorat permettra de croiser les méthodes de l’enquête et de l’interprétation historique, basées sur des archives, une analyse documentaire (notamment de statistiques) et une enquête qualitative. Si la pertinence de la socio histoire est reconnue depuis les travaux de Gérard Noiriel (Noiriel, 2008), son application pratique, dans le cadre d’un doctorat co-encadré par un sociologue et par une historienne, est peu ordinaire, ainsi que le mariage, dans ce cadre, de données quantitatives macro-sociales et de données empiriques microsociales (Buton et Mariot, 2009).

Il s’agit de comprendre pourquoi la maladie est concentrée dans le nord de la France et pourquoi elle se retrouve plus particulièrement dans certaines zones du nord (Amiens, Cambrai, Arras, Noyelles-Godault), alors qu’à quelques kilomètres on trouve des zones de très faible incidence (Roncq Bondues). Ces constats ont été établis par l’équipe du professeur Corinne Gower (praticien hospitalier, épidémiologie responsable scientifique, du registre Inserm/InVS EPIMAD. Maison régionale de la recherche clinique CHRU Lille) qui recense tous les cas de Crohn dans le registre EPIMAD depuis 1988. Ce registre est à notre disposition du fait de liens collaboratifs interdisciplinaires établis dans le cadre du projet HEROIC ("Highlighted in EnviRonmental and ecOnomic features in epIdemic area of Crohn's disease") depuis 2014.

L’hypothèse de départ du projet de doctorat pour rendre compte de ces inégalités territoriales réside dans l’environnement différentiel des populations fortement ou faiblement touchées.

La notion d’environnement est vaste. Elle comprend ici notamment : les changements de techniques de production, et en particulier des modes de culture (usage des engrais) et de consommation (uniformisation avec l’apparition des supermarchés, importations massive de produits nord américains : chewing-gum, coca cola ; développement du tabagisme) ; les changements des matériaux de construction des logements ; l’augmentation de la scolarité et des qualifications ; le développement des activités de service et de la sédentarité, qui ont aussi une incidence sur la santé... Les changements de l’environnement depuis la désindustrialisation des années 1970 sont potentiellement en cause, ainsi que le stress au travail ou les déménagements.

Le travail requis est donc particulièrement exigeant sur le plan cognitif et épistémologique. Face au foisonnement des déterminants de la santé, le doctorant devra à la fois faire preuve d’une largeur d’horizon (pluridisciplinaire) et de capacités analytiques pour trier les données et pour s’orienter. 

Il conviendra, premièrement, d’établir une typologie des populations concernées. Il s’agira de préciser très minutieusement les caractéristiques (démographiques, économiques et sociales) des populations de zones à forte incidence et de celles des zones de faible incidence. La consultation des données de l’INSEE permettra de cerner les habitudes de consommation et les modes de vie des populations des zones concernées. On mobilisera donc ici une analyse socio-éco-démographique des données statistiques disponibles pour fonder des moyennes (Halbwachs, 1936 ; Bryere et al., 2017). Pour approfondir la connaissance sur les populations actuelles, une enquête sociologique qualitative (observations, entretiens) sera requise sur la base de la délimitation de groupes-cibles pertinents à enquêter (Olivier de Sardan, 2008). La typologie sera donc nourrie à la fois par des données statistiques et par un « carottage » sociologique.

Deuxièmement, l’approche historique visera à produire des généalogies de populations. Le travail consistera dans un tri et un dépouillement des archives pertinentes pour cette recherche: archives municipales et régionales, pour tenter d’y trouver DES évènement susceptible d’avoir modifié l’environnement (on pense à un accident industriel, une fuite de cuve, etc.), analyse des traces de changements de modes alimentaires (perceptibles notamment dans des archives économiques comme les relevés des mercuriales de prix), analyse des archives de la presse régionale pour préciser l’importance de ces caractéristiques (ou d’autres, comme l’habitat) et leurs changements. Ces généalogies seront établies en remontant aux années 1950, soit à trois générations environ. Elles viseront à isoler les changement majeurs de la composition des populations concernées (analyse des mouvements migratoires) et de leurs comportements susceptibles d’être à l’origine du déclenchement de la maladie de Crohn chez les patients d’aujourd’hui, ou bien au contraire d’avoir fabriqué une sorte d’immunité des populations des zones de sous incidence. 

In fine, les informations recueillies dans les généalogies de populations concernées seront croisées avec celles des enquêtes sociologiques pour définir d’éventuels facteurs de fragilité ou au contraire de résistance face à la maladie de Crohn.

En sus de la codirection en histoire et en sociologie (Béatrice Touchelay et Ivan Sainsaulieu), garantissant l’accès aux ressources matérielles et humaines des deux laboratoires d’accueil (Clersé et Irhis), le doctorant bénéficiera du côté biomédical des échanges réguliers avec l’équipe du professeur Gower. Cette équipe est composée d’épidémiologistes, de statisticiens et de médecins. Ces échanges, assez rares dans le monde académique seront sans aucun doute très fructueux pour avancer de nouvelles hypothèses et discuter des pistes et des résultats obtenus.

Défis scientifiques et enjeux sociaux

Les études historiques sur la santé (Rainhorn, 2010 ; 2014), sur la diffusion des maladies, les épidémies ou sur le système de santé sont rarement centrées sur une seule maladie et jamais sur une maladie pour laquelle des clusters ont été définis. Elles abordent l’environnement des malades, mais rarement en remontant à plusieurs générations. 

Le défi intellectuel de ce doctorat vise à sortir de l’impasse sur les causes de la maladie de Crohn en élargissant les hypothèses mobilisées jusqu’alors, qui ne retenaient ni les arguments, ni les méthodes des sciences humaines et sociales. Il constitue un véritable enjeu des collaborations interdisciplinaires (Boutet et al., 2017). 

Ajoutons que ce doctorat devrait permettre de définir une méthode d’enquête susceptible d’être utilisée dans d’autres cas de forte concentration géographique d’une pathologie (on pense par exemple au cancer du sein, également surreprésenté dans le Nord de la France par rapport au reste du territoire national).

L’ouverture de cette recherche à la socio histoire et l’intégration à une équipe de spécialistes de sciences durs pour chercher les causes d’un problème de santé publique ouvriront au doctorant de larges champs professionnels.

Financement

Ce projet va être déposé auprès de l’Université de Lille et auprès d’autres institutions pour obtenir une bourse doctorale de trois ans. 

Bibliographie

Boutet Manuel, Mestre Daniel, Sainsaulieu Ivan et Vega Anne, « La réalité virtuelle en santé mentale : des enjeux interdisciplinaires en miroir », dans L’innovation en eau trouble. Science, techniques, idéologie. A. Saint-Martin et I. Sainsaulieu (dir.), 2017, Paris, p. 189-210. 

Bryere J, Dejardin O, Launay L, Colonna M, Grosclaude P, Launoy G., « Réseau français des registres des cancers (Francim), Environnement socioéconomique et incidence des cancers en France », Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, 2017; (4) : 68-77. 

Buton François et Mariot Nicolas, dir., Pratiques et méthodes de la socio-histoire, Paris, Presses universitaires de France, coll. « CURAPP », 2009, 206 p. », Politix, 2011/3 (n° 95), p. 238-242. 

Cicolella André, « Santé et Environnement : la 2e révolution de Santé Publique », Santé Publique, 2010/3 (Vol. 22), p. 343-351.

Jarrige François, « L’historien et la question écologique », Histoire@politique, 2017/1, n°31, p. 73-83.

Le Roux Thomas, « Accidents industriels et régulation des risques : l'explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 58-3, no 3, 2011, p. 34-62.

Locher Fabien, Quenet Grégory, « L’histoire environnementale : origines, enjeux et perspectives d’un nouveau chantier », RHMC, 2009/4, n°56-4, p. 7-38.

Massard-Guilbaud Geneviève, « La régulation des nuisances industrielles urbaines (1800-1940) », Vingtième siècle, n°64, octobre-décembre 1999, p. 53-65.

Noiriel Gérard, Introduction à la socio-histoire, La Découverte, « Repères », 2008.

Olivier de Sardan, Jean-Pierre , La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l'interprétation socio-anthropologique, Academia, 2008, 365p.

Pessis Céline, Topcu Sezin, Bonneuil Christophe (dir.), Une autre histoire des « Trente Glorieuses », modernisation, contestation et pollution, dans la France d’après guerre, Paris, La Découverte, 2013.

Rainhorn Judith, Santé et travail à la mine (XIX e -XXI e siècle), Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2014, 306 p.

Rainhorn Judith, « Le mouvement ouvrier contre la peinture au plomb » Stratégie syndicale, expérience locale et transgression du discours dominant au début du XXe siècle,
 Politix, 2010/3 n° 91, p. 7-26. 

Rosental Paul-André, Omnès Catherine, « L'histoire des maladies professionnelles, au fondement des politiques de « santé au travail » », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 56-1, no. 1, 2009, pp. 5-11.

Rosental Paul-André, « La silicose comme maladie professionnelle transnationale »,
 Revue française des affaires sociales, 2008/2 n° 2-3, p. 255-277.

Sicot Dominique, Inégalités et exclusion pendant les 30 Glorieuses, Alternatives économiques Hors séries n°20, Avril 1994.



Réponse attendue pour le 17 mai sous la forme : d’un CV de deux pages maximum précisant la situation actuelle et le cursus et d’une lettre de motivation adressée par mail à 

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