lundi 14 mars 2016

La vie dans et après la psychiatrie

Normale ou ordinaire, accomplie ou autonome ? La vie et ses formes pour les personnes souffrant d’un trouble mental chronique dans et après la psychiatrie

Appel à communications

A l’Université Saint-Louis (Bruxelles), les 8, 9 et 10 septembre 2016
Date limite : 2 mai 2016

La psychiatrie contemporaine est traversée par d’importantes lignes de tension qui opposent différentes conceptions de ce que sont un trouble et un malade psychiatriques, de ce qu’il faudrait entreprendre pour permettre aux personnes concernées d’accéder à une vie meilleure, et enfin de la façon de définir cette vie.
L’objectif de ce colloque est de cerner les façons par lesquelles une perspective de sciences humaines
et sociales peut aider à mieux décrire et comprendre les pratiques quotidiennes, les discours théoriques, les espaces, les acteurs (avec une attention particulière portée aux personnes malades), afin d’en dégager les conceptions de la vie et du vivant humain qui y évoluent et s’y entrechoquent parfois, formant ainsi le paysage normatif complexe des mondes de la psychiatrie contemporaine.
Organisation: Nicolas MARQUIS (CASPER/USLB, CERMES3) et Baptiste MOUTAUD (CNRS-LESC)

Argumentaire
Les analyses en sciences humaines et sociales font très largement état des bouleversements qu’a pu connaître le champ de la psychiatrie depuis les années 1970 : mouvement de désinstitutionalisation, montée en puissance de la médecine des preuves et des outils de standardisation clinique, légitimité grandissante des approches cognitivistes et comportementalistes au détriment de la psychanalyse et des perspectives psychodynamiques, expansion des neurosciences et de la génétique, développement du mouvement du recovery, etc. Ces transformations ont accompagné ou conduit à une recomposition des champs de force théoriques comme des pratiques les plus concrètes, à l’ouverture de nouveaux espaces de prise en charge, à la création de nouveaux dispositifs et formes de soins (pharmacologiques, thérapeutiques, architecturaux, etc.), à l’émergence de nouveaux acteurs (individuels ou collectifs). Plus encore, ces éléments ont participé à transformer les conceptions non seulement de ce que sont un trouble et un malade psychiatriques, de ce qui devrait être entrepris pour soigner ou du moins pour permettre aux personnes qui en souffrent d’accéder à une vie « meilleure », et enfin des critères utilisés pour définir en quoi pourrait consister cette vie.
Dans les mondes de la psychiatrie, les promoteurs comme les détracteurs de ces nouveaux développements peuvent avoir tendance à limiter aux plans de la théorie et des principes éthiques (de la littérature du champ, des lois, des règlements, etc.) la justification tant des objectifs poursuivis par les façons de prendre en charge les personnes souffrant de troubles mentaux chroniques que des moyens mis en oeuvre pour les réaliser. Or, ces perspectives risquent de laisser dans l'ombre une partie pourtant extrêmement importante du travail réalisé dans les mondes de la psychiatrie : le travail concret de retissage ou de reconfection d'une vie « meilleure » (ou d’une vie « ordinaire », « autonome », « accomplie », « normale », ou d’une vie qui se rapprocherait d’un idéal de guérison selon les points de vue et les positions). Ce travail est inévitablement sous-tendu par des conceptions souvent peu explicitées de ce qu’est une vie qui vaut la peine d’être vécue, les éléments et moyens (biologiques, cognitifs, structuraux, relationnels, matériels, symboliques, etc.) qui la composent et dont chacun doit disposer pour la mener au mieux.
Le point de départ de cet événement scientifique est que les sciences humaines et sociales peuvent participer à mettre au jour ces discours, ces pratiques concrètes, ces représentations qui les sous-tendent, et les façons dont elles s’engrènent avec des éléments du contextuel global (théorique, moral, économique, etc.). Le premier outil par lequel les disciplines de sciences humaines et sociales parviennent à augmenter la compréhension de ce qui s’y joue est la description. Le premier objectif du colloque est ainsi de rassembler des chercheurs en sciences humaines et sociales qui ont investigué empiriquement différents dispositifs dans le champ de la santé mentale, en les invitant à lire ou à relire leur matériau à l’aune de cette question de la reconfection d’une vie ordinaire, et à discuter des façons dont il est possible de mener une telle enquête.
Le second outil des sciences humaines et sociales utile dans la production d’intelligibilité est celui de l’analyse conceptuelle. L'hypothèse fondamentale que l’on cherchera à tester est que ces pratiques psychiatriques et les conceptions qui les sous-tendent, peu formalisées si pas invisibles (par exemple parce qu’elles sont référées au « bon sens » ou au « réflexe »), constituent néanmoins un analyseur saillant des considérations indigènes, émiques, « de sens commun », des représentations normatives de ce qu'est ou devrait être la vie humaine, représentations ayant cours dans un contexte social et culturel notamment caractérisé par la valorisation d’un idéal d’autonomie. Le second objectif du colloque est donc de mettre au travail les théories et concepts qui permettent de lier les questions de la vie ordinaire dans et après la psychiatrie à des évolutions sociales, culturelles et économiques notamment. 
Le troisième objectif du colloque est d’organiser, à travers une construction particulière, des échanges entre chercheurs en sciences humaines et sociales, acteurs du champ de la santé mentale et personnes directement concernées par ces pratiques, dans l’espoir de permettre aux premiers de confronter descriptions et hypothèses à des regards ancrés, et aux seconds de discuter du surplus d’intelligibilité offert par les sciences humaines et sociales. 
L’appel à communication est ouvert à toutes les disciplines des sciences humaines et sociales mais aussi aux différents acteurs des mondes de la psychiatrie et de la santé mentale. Les propositions de communications pourront bien évidemment interroger les conceptions de la vie qui traversent les diverses théories, dispositifs et pratiques de soin de la psychiatrie contemporaine, la manière dont professionnels, acteurs du champ et malades les négocient et les mobilisent. Sans prétention à l’exhaustivité, les interventions pourront aussi par exemple porter sur les aspects suivants :

o Les conceptions de la vie encodées dans des outils tels que les échelles psychométriques, les échelles de fonctionnement et de qualité de vie, ou les études médico-économiques, les normes de pratiques et protocoles, afin de cerner les éléments constitutifs de la vie quotidienne qui y sont valorisés, ainsi que les façons par lesquelles les personnes elles-mêmes mobilisent ces différents éléments pour construire leur quotidien ;

o Les formes d'évaluations pratiques mobilisées par les différents acteurs du soin (ainsi que par les patients eux-mêmes) pour qualifier ce que signifie « aller mieux », ou « aller moins bien » : quels indices, quels critères, quelles formes de négociation peut-on observer ?

o Le rôle des institutions et des structures hors les murs (sociales et médico-sociales, mais aussi les lieux d’apprentissage et d’enseignement ou encore les structures d’entraide ou les corps intermédiaires) dans la définition et l’élaboration du retour à l’ordinaire des usagers de la psychiatrie. Il peut s’agir d’éclaircir, par exemple, ce qu’est le quotidien des personnes en milieu protégé. Quelle vie y mène-t-on ? Comment a été pensé son cadre juridique et administratif ? Quels éléments considérés comme fondamentaux à la vie des personnes doit-il apporter ?

o Les anthropologies sous-jacentes aux règles administratives et textes juridiques qui encadrent les espaces de prise en charge dans ou hors des institutions (ici une perspective historique serait également bienvenue) ;

o Les enjeux différenciés qui entourent les populations de patients selon les âges de la vie : Comment sont pensées et élaborées les conceptions de la vie « bonne » en santé mentale des personnes selon qu’ils sont enfants, adolescents, adultes ou dans les troisième et quatrième âges ? Quels sont les acteurs, ressources ou institutions mobilisés dans cette construction et dans le maintien de cette vie (ou sa reconfection) ? ;

o Alors que la voix des malades tend à être de plus en plus valorisée par le monde médical, quels sont les nouveaux espaces de discours, les supports où s’expriment ces voix et quelles conceptions de la vie « ordinaire » véhiculent-elles (associations d’usagers, groupes d’entraide, ouvrages, récits de malades dans les revues médicales, etc.) ? Mais aussi quelles formes de vies alternatives peuvent y être valorisées ? Sur quels fondements ? Quelles idées de l’humain portent-elles ?

o Sur un spectre qui irait de la vie contrainte de l’institution totale à l’idéal émancipateur du rétablissement, quelles formes de vie promeut la psychiatrie contemporaine, dans différents dispositifs, répondant à diverses orientations théoriques (neurosciences, cognitivisme, approches psychodynamiques, etc.) ? Quels autres savoirs et pratiques d’évaluation mobilise-t-on en parallèle (concurrence) ? Quels instruments de sciences sociales et de philosophie permettent de cerner l'association entre contrainte et liberté ?

o Enfin, des communications abordant les aspects méthodologiques de l’étude de la vie ordinaire seront appréciées. Comment les recherches en sciences humaines et sociales ont-elles accompagné les changements qui ont touchés la psychiatrie depuis les années 1970 ? Quels sont leurs nouveaux terrains ? Quels sont les outils et les méthodologies pertinentes pour étudier la « vie ordinaire » mais aussi pour en cerner les contours ?
Les résumés des propositions de communications (environs 2000 signes) devront nous parvenir d’ici le 2 mai 2016.
Elles doivent être envoyées à : nicolas.marquis@usaintlouis.be et baptiste.moutaud@cnrs.fr
Selon le budget final du colloque, une aide financière pour le séjour (transport et/ou hébergement) pourra être apportée par l’organisation. Priorité sera donnée aux doctorants et chercheurs non contractuels. Merci d’indiquer si vous pensez avoir besoin d’une aide financière.


Avec le soutien financier du :
• Centre d’anthropologie, sociologie, psychologie – études et recherches (CASPER) de l’Université Saint-Louis – Bruxelles
• Centre de recherche médecine, santé, santé mentale et société (CERMES3), CNRS, INSERM, EHESS, Université Paris-Descartes
• Conseil de la recherche de l’Université Saint-Louis (Bruxelles)
• Fonds national de la recherche scientifique belge (FNRS) (demande en cours)
• Programme de l’Agence Nationale de la Recherche « Normastim »
• Programme européen Marie Curie fellowship
• Programme « La personne en médecine » (demande en cours)
• Visitbrussels.be (demande en cours)
Comité d’organisation :
Jean-Pierre DELCHAMBRE (USLB), Alain EHRENBERG (CNRS), Jean-Louis GENARD (ULB),
Nicolas MARQUIS (CASPER/USLB, CERMES3), Baptiste MOUTAUD (CNRS-LESC), Robin
SUSSWEIN (USLB), Nathalie ZACCAÏ-REYNERS (ULB)
Comité scientifique :
Isabelle AMADO (Hôpital Sainte-Anne-C3RP), Pierre-Henri CASTEL (CNRS-LIER), Jean-Pierre
DELCHAMBRE (USLB), Gérald DESCHIETERE (UCL), Alain EHRENBERG (CNRS-CERMES3), Marie GAILLE (CNRS-SPHERE), Jean-Louis GENARD (ULB), Nicolas HENCKES (CNRS-CERMES3), Céline LEFEVE (Université Paris Diderot-SPHERE), Anne LOVELL (INSERM-CERMES3), Nicolas MARQUIS (CASPER/USLB, CERMES3), Baptiste MOUTAUD (CNRS-LESC), Robin SUSSWEIN (USLB), Nathalie ZACCAÏ-REYNERS (ULB)

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