vendredi 3 juillet 2015

Le corps hispanique

Une pensée du corps et de la vie dans la philosophie, la littérature et l’art hispaniques (fin XIXe-première moitié du XXe siècle) ?

Appel à contribution



26-27 mai 2016
CRIMIC-Paris Sorbonne
Salle des Actes - 1, rue Victor Cousin 
Paris, France (75005) 

Ce colloque international sur « Une pensée du corps et de la vie dans la philosophie, la littérature et l’art hispaniques (fin XIXe-première moitié du XXe siècle) ? » s'interroge sur la spécificité d'une pensée hispanique du corps. Le corpus de ce colloque sera théorique, mais non exclusivement philosophique. Cette « pensée hispanique », comme élaboration théorique, pourra être celle de poètes, musiciens, dramaturges, chorégraphes, danseurs, peintres — sous la forme de manifestes esthétiques par exemple —, théoriciens de la corrida, hommes politiques, religieux, mystiques, philosophes, etc., pourvu que ceux-ci traduisent, dans leurs écrits, une pensée du corps, de la chair ou du vivant.


ANNONCE

Lorsque María Zambrano, dans son texte de 1939, intitulé Pensamiento y poesía en la vida española, cherche entre autres à définir la spécificité de la pensée espagnole, elle considère le « réalisme » et le « matérialisme » comme deux termes rendant particulièrement bien compte de cette attention si particulière des Espagnols à “el hombre íntegro, en carne y hueso, en alma y espíritu. […]. El hombre entero, verdadero”[1]. En cela, ils se positionneraient certes face au monde, mais aussi dans le monde, immergés en lui, l’intériorisant dans une expressivité propre. Selon Zambrano, cette jubilation devant la matière ou à être en elle, serait telle qu’ils auraient développé un matérialisme qu’elle définit comme “consagración de la materia, su exaltación, su apoteosis; es un fanatismo de lo material, de lo táctil y de lo visual sobre todo”[2].

Ce colloque international visera plus largement à examiner l’existence, tout en l’interrogeant, d’une pensée de la matière vivante, de la chair, du corps, de l’incarnation chez les Espagnols. Il s’agira, par ailleurs, de se demander si cette pensée qui semble émerger ou poindre à nouveau en Espagne, dès la fin du XIXème siècle et se développer ensuite, est spécifique de cette période et/ou si elle existe de façon idiosyncrasique et structurelle en langue espagnole.

Cette célébration raisonnée de la chair vivante de l’homme s’exprime-t-elle aussi en Amérique latine ? Qui sont les auteurs hispanophones qui participent à l’émergence ou réémergence d’une telle pensée de la vie et de l’incarnation ? Est-ce un nouvel humanisme ? De quel type ? On a tendance à considérer que l’Espagne n’est pas une terre de philosophes, qu’elle n’a jamais produit de pensée de système, mais ne s’est-elle pas montrée a contrario particulièrement apte à exprimer son attachement à la personne, à l’homme en chair et en os, tressaillant de vie et qui exulte dans sa chair, et à le théoriser ? Les philosophes ne sont pas les seuls auteurs de cette théorisation. Le mouvement hispanique esthétique du “modernismo” — dont les Espagnols Antonio Machado ou Juan Ramón Jiménez, à titre d’exemples, ainsi que le Cubain José Martí ou le poète du Nicaragua, Rubén Darío, sont des figures de proue —, et les avant-gardes esthétiques, entre autres, y ont, eux aussi, œuvré. En réalité, beaucoup témoignent alors de la nécessité de dire l’homme dans la totalité de son être. Il n’est pas exclusivement esprit, ni seulement corps.

Or, comment expliquer que cette tendance se précise à la fin du XIXe et lors de la première moitié du XXe siècle ? Le retour de la métaphysique en Europe, après l’ère intellectualiste post-kantienne et post-hégélienne, qui signe un acheminement vers l’intériorité, également après l’ère positiviste, les magistères intellectuels de Nietzsche et Bergson, ont-ils motivé le (re)déploiement de cette pensée ? Ou bien (ré)émerge-t-elle en Espagne pour d’autres raisons ?

Quoi qu’il en soit, un néo-humanisme se développe ou se restaure alors, revendiquant de nouveau l’importance de l’incarnation dans des discours de types très différents. En 1900, Unamuno pousse son cri augustinien et bergsonien “¡Adentro!”, défendant l’idée que l’homme doit entrer en lui-même pour ne pas se perdre dans le conformisme intellectuel et mondain. Le créateur de concepts et de formes, à cette époque, se doit de parler de l’homme non abstrait, mais incarné, et dans sa totalité, son intégralité. Ce parti-pris (philosophique) interdit toute omission, et particulièrement celle du corps, du monde autour de lui, et de la vie. On pourra aussi s’interroger sur la physionomie du corps évoqué dans ces discours — un corps glorieux, exultant, dansant, dionysiaque ? Un corps souffrant, passionné, tragiquement éprouvé ? — ainsi que sur les modes d’expression de cette pensée, à son tour, vivante.

Ortega y Gasset, que le goût du concret, de l’authenticité et de la synthèse conduira à l’idée-méthode de la raison vitale, écrit à ce propos, en 1924 : “Necesitamos no perder ningún ingrediente: alma y cuerpo. Vamos, por fin, hacia una edad cuyo lema no puede ser: “O lo uno o lo otro” —lema teatral, sólo aprovechable para gesticulaciones. El tiempo nuevo avanza con letras en las banderas: “Lo uno y lo otro”. Integración. Síntesis. No amputaciones”[3]. La raison poétique de María Zambrano n’est-elle pas cette tentative de supprimer ce supposé fossé entre la pensée et la vie, cherchant le rétablissement de l’unité archaïque entre philosophie et poésie ?

Toutefois, notre intérêt ne se bornera pas à ces figures majeures. Les penseurs méconnus, les pratiques philosophiques « secondaires » (traduction, commentaire, etc.), ainsi que les productions hybrides (philosophie et arts, sciences, ou autres) qui témoignent ou d’une interdisciplinarité avant la lettre ou d’un dépassement du signifiant philosophique orthodoxe, seront les bienvenus.

Notre corpus sera théorique, mais pas exclusivement philosophique. Cette « pensée hispanique », comme élaboration théorique, non nécessairement intellectualiste, pourra être celle de poètes, musiciens, dramaturges, chorégraphes, danseurs, peintres — sous la forme de manifestes esthétiques par exemple —, théoriciens de la corrida, hommes politiques, religieux, mystiques, philosophes, etc., pourvu que ceux-ci traduisent, dans leurs écrits, une pensée du corps, de la chair ou du vivant.

Cette pensée pouvant être véhiculée par des moyens autres que le système philosophique et ses formes, nous souhaitons aussi analyser, en particulier mais pas seulement, l’attention des « penseurs » hispaniques à l’art et à la littérature, dans leur lien à cette pensée du corps et de la vie. On pense, par exemple, à l’importance capitale du Quichotte dans les réflexions d’Ortega y Gasset, d’Unamuno ou de Zambrano, ainsi qu’aux liens étroits que les poètes, et autres artistes, entretiennent avec la philosophie, comme par exemple Antonio Machado et son ontologie poétique, García Lorca élucidant l’essence du flamenco (Juego y teoría del duende), ou Valle-Inclán déformant esthétiquement le grotesque de la réalité sociale et politique à travers son esperpento théâtral. De quoi ces liens sont-ils révélateurs ? La pensée espagnole ou hispanique ne s’épanouirait pas toujours dans la sphère des spécialistes de la philosophie. Elle éclot souvent ailleurs et de cet ailleurs, semblerait jaillir une pensée spécifique du corps et de la vie.

Afin de proposer des éléments de dialogue et de suggérer des pistes de réflexion, plusieurs axes thématiques ont été retenus à titre indicatif.
Une philosophie hispanique de l’homme face au monde, ou immergé en lui ? Comment l’homme se positionne-t-il devant le monde ? L’intériorise-t-il dans son corps et/ou dans tout son être ? Cette éventuelle nécessité de parler de l’homme dans son intégralité, est-elle au fond un dépassement de l’opposition traditionnelle corps/esprit, par une pensée « totalisante » ?
Modalités d’expression de l’intériorité de l’homme et de sa vitalité : questions de genre, forme et lexique.
Un vitalisme spécifiquement hispanique ? Influence de paradigmes intellectuels non hispaniques ?
Une pensée du corps comme dialogue entre la pensée et le corps ?
Liens entre philosophie et art (littérature, peinture, sculpture, théâtre, musique, danse, tauromachie), philosophie et mystique/religion, philosophie et « politique ».
Notes

[1] María Zambrano, Pensamiento y poesía en la vida española [1939], Méjico, Madrid, Ediciones Endymion, 1996, p. 34.

[2] Ibid., p. 39.

[3] José Ortega y Gasset, “Vitalidad, alma, espíritu” in “El Espectador V”, Obras Completas, Madrid, Revista de Occidente, 1963, p. 455.

Modalités de soumission
Les propositions contenant un titre, un résumé d’environ 500 mots, quelques mots-clés, ainsi qu’une notice biographique, doivent parvenir aux adresses suivantes :
avant le 30 septembre 2015.

Les communications qui n’excèderont pas 20 minutes pourront se faire en français ou espagnol.



Organisateurs
Laura Brondino (MCF Civilisation hispano-américaine contemporaine-Paris Sorbonne)
Camille Lacau St Guily (MCF Civilisation de l’Espagne contemporaine-Paris Sorbonne)
María Ortega Máñez (Docteur-Paris Sorbonne, Enseignante-Sciences Po Paris)



CONTACTS
Camille Lacau St Guily
courriel : camillelsg [at] gmail [dot] com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire