Appel à communications
Colloque organisé par le Centre d’Histoire « Espaces et Cultures »
Université Blaise Pascal (Clermont 2)
14-16 Octobre 2015
Comité d’organisation
Marie Bolton, Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, CHEC (EA 1001)
Patrick Fournier, Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, CHEC (EA 1001)
Stéphane Frioux, Université Lumière Lyon 2, LARHRA (UMR 5190)
Claude Grimmer, Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, CHEC (EA 1001)
Popularisée par le roman de Balzac mais aussi par des personnalités exceptionnelles jusqu’en plein cœur du XXe siècle, à l’image du docteur Maurice Delort, le « médecin des neiges » de Vic-sur-Cère, la figure du médecin de campagne est souvent apparue comme atypique, voire héroïque : elle souligne ainsi la sous-médicalisation ancienne des territoires ruraux. Les « déserts médicaux », souvent dénoncés, ont été récemment remis sous les projecteurs par le pacte territoire santé proposé par le ministère de la santé à l’automne 2013. Toutefois, la réalité de cette insuffisante présence médicale n’est ni nouvelle, ni uniforme. Etudiée dans la longue durée, elle doit permettre de mettre en perspective les logiques sociales et territoriales à l’œuvre dans les rapports entre les milieux médicaux et la population et plus largement, entre les pouvoirs publics et les ruraux. Bien que la période contemporaine ait connu une prise en charge croissante de la santé des populations rurales (un des enjeux de la santé publique, d’abord dans le cadre d’un contrôle renforcé des populations et d’une volonté d’accroître leur productivité, puis dans un effort pour assurer une égalité relative entre les territoires et les populations), la redéfinition profonde des fonctions et de l’organisation des espaces ruraux au cours de l’histoire a brouillé les cartes et modifié à plusieurs reprises, parfois avec brutalité, les formes de la médicalisation des campagnes. Comment et par qui les ruraux ont-ils été soignés au fil des siècles ? Quels sont les efforts qui ont été menés pour lutter contre les maladies présentes dans les campagnes ? Quels en ont été les objectifs affichés ou cachés ? Quels enseignements les politiques publiques actuelles peuvent-elles tirer des expériences historiques ? Telles sont les questions auxquelles ce colloque voudrait apporter quelques réponses.
La médecine, discipline savante et fortement structurée, semble être logiquement une affaire urbaine. Telle est du moins la vision dominante véhiculée aussi bien par le sens commun que par les histoires de la médecine. La présence d’institutions en lien avec le monde médical (facultés de médecine, collèges ou écoles de médecine, hôpitaux en Europe depuis le Moyen Âge…), voire simplement de médecins officiellement reconnus comme tels, est un critère de centralité fort utile à la compréhension des équilibres territoriaux à différentes époques. C’est à partir des villes que le savoir médical de pointe s’est progressivement étendu en direction d’autres territoires et d’autres populations. Une approche prioritairement institutionnelle aboutit forcément à ce constat puisqu’elle est fondée sur le regard que les médecins eux-mêmes ont développé et sur les positions qu’ils ont cherchées à défendre face à différentes formes de concurrence.
La réalité des questions sanitaires n’est cependant pas strictement conforme à ce principe d’une domination hégémonique et continue de la médecine urbaine. L’objectif du colloque sera justement de montrer qu’au cours de l’histoire ont existé d’autres réalités médicales que les réalités urbaines, et que les interactions entre villes et campagnes ne fonctionnent pas à sens unique. Les savoirs en matière de santé sont de nature et d’origine diverse : les campagnes ont participé à leur formation de différentes manières, soit à travers des interventions et observations médicales, soit par les produits qu’elles fournissaient à la pharmacopée. Les personnes intervenant dans le domaine de la santé sont elles-mêmes très variées au cours de l’histoire des campagnes : rebouteux, « charlatans » réalisant divers actes médicaux ou vendant des remèdes en dehors de tout contrôle, chirurgiens de campagnes, matrones, dames de charité, petits notables locaux servant de relais à la diffusion des savoirs, officiers de santé au XIXe siècle, mais aussi membres du corps médical en consultation auprès de particuliers ou envoyés depuis la ville et ses hôpitaux à l’occasion de telle ou telle épidémie, voire implantés dans les territoires ruraux, surtout à l’époque contemporaine, tous participent à des formes de soin auprès des populations, s’affrontant et se complétant selon les lieux et les moments. Même si la question du charlatanisme s’est déplacée depuis la fin du XIXe siècle et l’accroissement de l’efficacité thérapeutique de la médecine officielle, la différence entre médecine des villes et médecine des campagnes mérite une attention spécifique car les relations que les populations rurales entretiennent avec le monde médical présentent des particularités dues à la fois à la sociologie rurale et aux contraintes territoriales.
Au-delà de l’étude de l’exercice de la médecine, ce colloque sera aussi l’occasion de réinterroger une question plus classique mais trop peu explorée depuis trente ans, celle de la santé des populations rurales. Si la démographie historique et les travaux consacrés à l’histoire sociale de la santé ont connu une période faste dans les années 1960 et 1970, avec notamment des éclairages très suggestifs pour les régions de l’Ouest de la France aux XVIIIe et XIXe siècles (Jean-Pierre Goubert, François Lebrun, Jacques Léonard), l’ambition de connaître l’état de santé des populations rurales est retombée depuis les années 1980 et les études comparatives manquent encore, non seulement à l’échelle de la France, mais aussi de l’Europe. Est-ce la conséquence de l’amélioration de la santé des populations qui donnait aux pouvoirs publics et au milieu médical l’impression d’avoir atteint des objectifs ambitieux et d’avoir gagné le combat de la santé pour tous ? Sans doute, mais l’apparition de nouvelles pathologies (ou la mise en évidence de pathologies cachées dues à l’usage de produits toxiques) et les problèmes sanitaires mondiaux qui restent énormes ont renouvelé l’intérêt pour l’efficacité de l’action médicale. Des travaux plus récents sur les territoires de l’assistance et de la santé non seulement en France mais aussi en Europe, particulièrement en Angleterre et en Italie (Mathieu Arnoux & Gilles Poster-Vinay, Samantha Williams…), ainsi que d’autres sur la médecine coloniale et la santé des populations en situation coloniale (James L. A. Webb, Claire Fredj…) montrent tout l’intérêt d’une approche globale et comparative permettant de repenser l’inscription des populations dans un environnement global, et pas seulement dans un territoire traversé par des flux de personnes et de savoirs. De même des travaux d’anthropologie médicale renouvellent la connaissance des pathologies dont souffrent les populations *et peuvent concerner aussi bien des villes que des campagnes tout en offrant des éclairages sur des périodes très anciennes.
Ainsi, l’ambition de cette rencontre est de mieux connaître la situation sanitaire et médicale dans les campagnes de France, d’Europe et des espaces coloniaux, tout en repensant les processus de médicalisation à l’œuvre et en réinterrogeant ce concept de médicalisation. Il s’agit notamment de prendre en considération autant les pratiques que les savoirs, les flux et les réseaux que les institutions, dans une perspective dynamique du Moyen Âge à nos jours. Les héritages mais aussi les mutations de paradigme feront l’objet d’une attention particulière afin de mettre en évidence la façon dont l’organisation médicale des campagnes actuelles a été construite et quels enseignements peuvent être tirés des choix effectués dans différentes configurations historiques.
Trois thèmes orienteront la réflexion :
1°) La santé des populations rurales en fonction d’environnements spécifiques.
A-t-il existé et existe-t-il encore des différences dans la nature et l’intensité des pathologies urbaines et rurales ? Pouvons-nous comparer hygiène des campagnes et hygiène des villes ? L’image sanitaire des campagnes est paradoxale et a varié selon les époques : souvent perçues comme des lieux de résistance à la modernisation médicale et sanitaire, les campagnes ont pu être aussi considérées comme éloignées des formes d’insalubrité (artisanales et industrielles) spécifiquement urbaines tout comme des foyers épidémiques les plus virulents. Toutefois, les concepts et méthodes de la médecine hippocratique, un modèle utilisé et réinterprété jusqu’au cœur du XIXe siècle et conservant une valeur heuristique, invitent à prendre en compte les relations entre santé et environnement en fonction des milieux de vie. Au-delà des théories miasmatiques et des modèles des constitutions médicales, relativement bien connus, il est possible de mesurer quels furent les impacts de l’environnement (zones humides, littoraux, zones arides, espaces montagnards, etc.) En outre, depuis le XIXe siècle, la question de la pollution des sols et des eaux par les engrais chimiques et les pesticides est devenue majeure, avec un impact sur les agriculteurs comme sur les populations rurales. Des activités rurales non agricoles telles que l’exploitation minière ont aussi des conséquences sur la santé. Par-delà les représentations, ce sont donc les réalités sanitaires et épidémiologiques qu’il faudra interroger.
2°) Les relations entre les populations rurales et les personnels de santé.
Quelle est la nature de ces personnels ? Quelles sont les représentations des médecins de campagne ? Comment le personnel médical établit-il des liens entre les villes et les campagnes ? Quelles relations les médecins entretiennent-ils avec les autres soignants de toutes natures et avec les populations qu’ils soignent ? Quelles sont les différences dans la nature des soins en fonction des personnes soignées ? Ces interrogations seront l’occasion de traiter des multiples configurations de savoir et de pouvoir nées de la multiplicité des interventions sanitaires et des soins opérées dans les espaces ruraux. Les innovations thérapeutiques peuvent rencontrer des résistances ; à l’inverse, des thérapies à l’efficacité non prouvée peuvent être adoptées. Le discours contre les charlatans et contre le passéisme des populations, particulièrement en milieu rural, est constitutif de la légitimation du corps médical. La nature de la demande sociale en matière de médecine peut apporter beaucoup d’informations sur le fonctionnement des sociétés rurales, leur degré d’ouverture à des influences extérieures et leur contribution à des débats sanitaires qui les dépassent largement. Les sociétés rurales ne sont homogènes ni dans le temps, ni dans l’espace. La participation des campagnes au développement d’un besoin de sécurité sanitaire mérite d’être explorée afin de nuancer le schéma d’une action politique et médicale qui s’imposerait par le haut. Les équipements sanitaires et médicaux des campagnes constituent ainsi des signes de dynamisme propre et sont plus ou moins nombreux et visibles selon les périodes : lieux de culte à des divinités ou des saints protecteurs, petits établissements hospitaliers, maisons de retraite et maisons médicalisées dans les campagnes contemporaines…
3°) Pratiques et savoirs médicaux dans les campagnes.
Les campagnes participent aussi à la constitution du savoir médical et au partage entre le sain et le malsain. Leur étude dans une perspective médico-sanitaire fournit une clé de lecture des représentations du rapport entre naturel et non naturel. Les théories médicales formulées dans l’Antiquité, autour des figures d’Hippocrate et de Galien, constituent une réflexion sur les pouvoirs de la nature. Pour la médecine savante, l’observation des phénomènes qui se produisent dans les campagnes est nécessaire, car à l’écart des perturbations induites par la vie urbaine. L’idée de nature a évolué et il sera utile de s’interroger sur l’impact de l’évolution de la vision des campagnes que renvoie la médecine savante, car cela permet de comprendre ce que la science médicale attend du monde rural. De façon plus concrète, on s’intéressera notamment à la récolte et à la culture de toutes sortes de produits et substances tirés aussi bien des règnes botanique et animal que minéral. Les livres de remède et de botaniques pourrons être mobilisés, jusqu’aux méthodes phytosanitaires et à la demande en produits biologiques qui se développe de nos jours. Quelles sont les substances utilisées pour confectionner les remèdes ? Quels sont les circuits de production et de commercialisation de ces remèdes ? On pourra s’interroger aussi sur les modèles que la médecine animale offre à la médecine humaine. Les savoirs accumulés dans les espaces ruraux d’Europe et du monde ont joué un rôle important dans les progrès thérapeutiques accomplis. L’observation empirique se nourrit des expériences populaires, les transforme (phénomène accentué par la naissance et le développement de la chimie médicale), mais peut aussi conduire à des attitudes de rejet. De nos jours, la fascination exercée par les thérapies considérées comme naturelles et assimilées à des pratiques ancestrales issues des campagnes prolonge ce phénomène, avec un appui scientifique et une composante commerciale pour répondre à un engouement social orienté vers le retour à la nature. Ainsi s’interrogera-t-on sur le rôle des campagnes somme réservoir de ressources médicinales et de savoirs médicaux exploités à de vastes échelles et créateurs de flux culturels, scientifiques et économiques qui ont transformé les pratiques de santé.
Ce colloque s’adresse aux historiens mais aussi à tous ceux qui, dans le domaine des sciences sociales, s’intéressent à la question de la médicalisation des campagnes. Des éclairages sur le temps présent seront également bienvenus. Les communications pourront porter sur l’ensemble de l’Europe et sur les situations en contexte colonial afin de favoriser une approche comparative. Les projets de communication devront comporter le nom, l’organisme de rattachement et l’adresse des chercheurs concernés ainsi qu’un titre, un résumé de 3000 à 5000 signes et quelques mots clés. Elles sont attendues avant le 10 janvier 2015 et devront être envoyées aux deux adresses suivantes :
Patrick.FOURNIER@univ-bpclermont.fr & claudegrimmer@gmail.com
Comité scientifique
Jonathan Barry, University of Exeter
Marie Bolton, Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand 2), CHEC (EA 1001)
Isabelle von Bueltzingsloewen, Université Lumière Lyon 2, LARHRA (UMR 5190)
Didier Foucault, Université Toulouse II-Le Mirail, FRAMESPA (UMR 5136)
Patrick Fournier, Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand 2), CHEC (EA 1001)
Claire Fredj, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, IDHE (UMR 8533)
Stéphane Frioux, Université Lumière Lyon 2, LARHRA (UMR 5190)
David Gentilcore, University of Leicester
Claude Grimmer, Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand 2), CHEC (EA 1001)
Laurence Moulinier-Brogi, Université Lumière Lyon 2, CIHAM (UMR 5648)
Marilyn Nicoud, Université d’Avignon, CIHAM (UMR 5648)
Christelle Rabier, EHESS, Centre Norbert Elias (UMR 8562)
Laurent Rieutort, Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand), CERAMAC (EA 997)
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