mardi 1 juillet 2014

Récits et interprétations de la souffrance dans l’Europe des 17e et 18e siècles

Raconter la douleur ? Récits et interprétations de la souffrance entre littérature et sciences de la vie dans l’Europe des dix-septième et dix-huitième siècles


Appel à communications


Colloque international et pluridisciplinaire
(Mulhouse 19-21 novembre 2014)
Institut de Recherche en Langues et Littératures Européennes (ILLE EA 4363)
Université de Haute-Alsace

Ces dernières années, les études dans le domaine des humanités médicales se sont intensifiées et le nombre des chercheurs qui travaillent sur cette région interstitielle de la littérature, de la philosophie et de la médecine (étant donné que la différenciation des disciplines est postérieure et rétrospective par rapport à la production des textes) s’est accru. En 2005, le colloque Littérature et médecine. Approches et perspectives (XVIe-XIXe siècles)[i] a proposé un état des lieux de la discipline et depuis, plusieurs études et colloques ont repris en considération la relation entre littérature et médecine. Comme le rappelle Andrea Carlino, s’appuyant sur une réflexion de Benveniste, ces deux domaines du savoir convergent dans leur commun usage de la parole depuis les plus anciennes formes anthropologiquement organisées de la société indo-européenne.

C’est dans cette lignée que ce colloque souhaite s’inscrire, s’interrogeant sur la douleur et sa mise en récit, en littérature et en médecine. En effet, si la représentation que la médecine contemporaine se fait de la douleur est certainement tributaire des théories scientifiques du XIXe siècle, ses relations avec les époques précédentes ont été moins explorées, mais restent fondamentales pour comprendre la question de la douleur. Entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, l’étude médicale de la douleur commence à se détacher du cadre de la théologie chrétienne. La médecine de l’époque cartésienne, comme le rappelle Roselyne Rey dans sonHistoire de la douleur[ii], replace l’étude de la douleur au sein de la réflexion plus générale sur la sensation. Thomas Willis, en Angleterre, Albrecht Von Halle, en Allemagne, mènent leurs recherches dans cette direction et les philosophes des Lumières marquent une évolution encore plus importante au sein du processus d’émancipation de l’herméneutique chrétienne de la souffrance. Les études sur la douleur vont désormais nourrir le discours sur la sensibilité.

Dans quelle mesure ce changement de perspective aurait-il des liens avec la production littéraire, à une époque où les frontières entre les disciplines et entre les genres ne sont pas bien définies ? Quelle est la contribution de la République des lettres au développement ce cette nouvelle épistémologie ?

Notre réflexion se déroulera sur trois axes principaux :

a) narratologique et rhétorique : comment l’expérience de la douleur est-elle racontée, en littérature et/ou en médecine ? Les humanités médicales et la médecine narrative s’accordent sur l’importance des pratiques narratives dans la compréhension des états thymiques (plus ou moins pathologiques) de l’être humain. Jérôme Bruner, dans son texte sur la dimension cognitive de la narrativité[iii], a bien montré la fécondité d’une perspective multidisciplinaire axée sur la narration : narration du souffrant, à la première personne, ou bien celle du médecin, dans un souci d’objectivité, ou encore une coïncidence entre les deux, l’« autopathobiographie[iv] » de Georges Cheyne dans son The English Malady[v].

b) sémiotique : définit-on, décrit-on et nomme-t-on la douleur ? Quels mots sont utilisés ? Quelle épistémologie se dégage des mots qui disent la douleur ? À cet égard, on se souviendra de l’étude de A. J. Greimas sur la nostalgie[vi], qui retrace l’itinéraire méthodologique conduisant de la lexicologie à la sémantique historique. De même, on pourra prendre en compte la dimension qui, d’après la lecture de Starobinski[vii], mène de l’étude stylistique à la sémantique historique. Les études sur les formes d’intertextualités (réception, traduction, récurrences des termes) et sur la circulation des textes sont encouragées.

c) historique : quelle est l’évolution des théories et/ou des pratiques littéraires et médicales ? Il ne s’agira pas tant de retrouver les représentations de la médecine dans la littérature ou vice-versa, mais plutôt de circonscrire les manières de décrire, de représenter (et se représenter) l’expérience de la douleur, à une époque où les domaines « littéraire » et « médical » ne sont pas cloisonnés. Quelles sont les conditions matérielles de production de ces textes ? Quels sont les contextes qui les génèrent ? Quelle est la grille épistémologique qui les informe ?

La langue des communications sera le français, mais les études sur tout le domaine européen sont vivement souhaitées.


Organisation : Michel Faure (Université de Haute-Alsace, ILLE) et Marilina Gianico (Université de Haute-Alsace, ILLE).

Comité scientifique : Sabine Arnaud (Max Planck Institut, Berlin) ; Laurent Curelly (Université de Haute-Alsace) ; Dolores Martin-Moruno (Université de Genève) ; Roberto Poma (Université Paris Est / Créteil) ; Catriona Seth (Université de Nancy) ; Sophie Vasset (Université Paris VII / Diderot) ; Alexandre Wenger (Université de Genève / Université de Fribourg).



Les propositions détaillées, accompagnées d’une brève notice biobibliographique, sont à envoyer avant le 14 juillet 2014 à marilina.gianico@uha.fr. Les personnes dont les propositions auront été retenues recevront une réponse courant août.

Frais d’inscription 100 € ; 50 € pour les doctorants et jeunes chercheurs (le séjour et les repas, ainsi que les rafraîchissements à Mulhouse, sont pris en charge par l’organisation). Une sélection de contributions par le comité scientifique fera l’objet d’une publication à paraître courant 2015.



[i] Andrea Carlino, Alexandre Wenger (éd.), Littérature et médecine Approches et perspectives (XVIe-XIXe siècles), Genève, Droz, 2007.

[ii] Roselyne Rey, Histoire de la douleur, Paris, La Découverte, 1993.

[iii] Jérôme Bruner, Pourquoi nous racontons-nous des histoires ?, Paris, Retz, 2002.

[iv] Pour une définition du mot « autopathographie », voir Sophie Vasset, «Narrating pain in British medicine and fiction», dans Sabine Arnaud, Helge Jordheim, Le Corps et ses images dans l’Europe du dix-huitième siècle/ The Body and Its Images in Eighteenth-century Europe, Paris, Champion, 2012, p. 199-217.

[v] George Cheyne, The English Malady, éd. Roy Porter, Londres, Routledge, 1991.

[vi] A. J. Greimas, « De la nostalgie. Étude de sémantique lexicale », Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale, volume 7, 1988, p. 343-349.

[vii] Jean Starobinski, « Leo Spitzer et la lecture stylistique », dans La Relation critique, Paris, Gallimard, 1970, p. 57-108.

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